Elle est arrivée au début de l’été, pleine de l’entrain de sa jeunesse et de son diplôme tout frais, sur un poste laissé vacant par l’animateur en arrêt.
Nous étions tous fatigués de l’année écoulée. Virus partout, bonus nulle part. Et nous rêvions de nos congés à venir.
Elle était pleine de sourires et d’idées, le directeur lui avait dit que si tout se passait bien elle pourrait espérer un contrat pour la rentrée, l’animateur serait encore absent un bon moment et il fallait le remplacer.
Elle a circulé dans les services, faisant connaissance des uns et des autres, soignants fatigués et résidents isolés, cadre débordée et agents surmenés. Elle avait plein de projets et peu de budget, mais elle ne se décourageait pas. Il y a toujours une solution, nous disait-elle, et elle repartait en coup de vent, gribouillant un petit mot à la volée.
Elle a lancé plein d’idées. Mais elles sont toutes retombées. Un atelier pâtisserie ? Oui mais monsieur Pivert est en régime sans sucre et madame Colombe mange en texture mixée. Une sortie dans le parc ? Oui mais il pleut et monsieur Héron attend une visite. Une écoute musicale ? Oui mais la salle d’activité est occupée et monsieur Tilleul est sourd.
Alors elle adaptait le menu, prenait un parapluie, trouvait une autre salle, conviait un autre résident…
Elle a insisté, jonglant entre les salles et les résidents, donnant un coup de main aux équipes débordées pour que tout le monde puisse être prêt pour les activités. Jusqu’au projet de trop.
L’idée était pourtant simple. Une fête agricole se tenait non loin de là. Admirer des animaux et savourer quelques spécialités locales, voilà qui était simple et pas cher. Elle avait juste besoin qu’un soignant se détache du service quelques heures. On pourrait partir après le repas et rentrer vers dix-huit heures : quatre résidents, deux accompagnants et un minibus, rien de compliquer à trouver.
« Il faut voir le planning », a dit Sophie, parce que si c’est Martine et Patrick, ils ne voudront pas bouger.
« Il te faut une autorisation », a renchéri Dylan.
« Il faut une enveloppe », a dégainé Sophie, en principe c’est le budget sorties.
« Mais pas du tout ! » a répondu Dylan, c’est leur argent perso, il faut voir avec les familles et les tuteurs.
« Tu as réservé le minibus ? Tu as contacté l’organisateur pour l’accessibilité ? Tu as fait valider ton projet par la cadre ? Si vous rentrez à dix-huit heures ça va vous mettre en retard pour le repas. »
Elle a envoyé des mails, à la cadre, aux soignants, aux tuteurs, à l’organisateur. Elle a demandé le minibus, le budget, l’autorisation de sortie, l’effectif. Mais il manquait toujours une réponse, une enveloppe, un accompagnateur.
A la toute fin, elle a laissé tomber, parce que tout était trop compliqué. Alors elle a repris sa routine : une balade dans le parc, un goûter amélioré, une écoute musicale. Au fur et à mesure que nous revenions bronzés et reposés de nos congés, elle s’est étiolée et découragée.
Elle est repartie à la fin de l’été, pleine de lassitude et de projets avortés.
Et n’est jamais revenue.