Frétillante, la jeune golden retriever d’un an et demi entre dans la pièce comme une habituée. Cela fait quelques minutes que Sarah et Laurence l’attendent. Leur impatience est palpable. « On y va ! », lance Sarah, 25 ans, polyhandicapée en fauteuil roulant. Les exercices démarrent immédiatement. Magali Valeriola, l’ergothérapeute, sort de son sac une pochette de croquettes, en glisse une dans la main de Sarah, qui ouvre les doigts au-dessus de la bouche de Pixelle. La chienne ne boude pas sa récompense. « Bravo ! C’est super, Sarah ! », l’encourage Magali. « Il y a encore peu de temps, elle n’arrivait pas à réaliser ce geste », commente la professionnelle. Elle passe à l’étape supérieure : Sarah doit déposer des croquettes dans l’une des cavités d’un petit plateau gris. Un exercice difficile pour la jeune femme, atteinte de déficience visuelle. « Excellent, c’est top ! Allez, encore une fois ! », complimente l’ergothérapeuthe. Catherine Pruvost, éducatrice au sein de la maison d’accueil spécalisée (MAS) La Clé des champs, à Champs-sur-Marne (Seine-et-Marne), partage son enthousiasme.
L’établissement accueille 48 résidents à temps plein, et 10 patients en accueil de jour, tous polyhandicapés ou mentalement déficients. A la suite de la visite d’une ferme thérapeutique dans ses murs, en constatant les vertus apaisantes des animaux sur les résidents, l’équipe encadrante a voulu explorer davantage la médiation animale. Depuis quatre ans, la MAS a recours à l’Association française de thérapie assistée par l’animal (Aftaa), fondée en 2006 par un éducateur canin, Baudouin Duriez. Petit à petit, il a recruté des professionnels de santé (ergothérapeutes, psychologues, psychomotriciens, éducateurs spécialisés) à qui il enseigne les fondamentaux. Lorsqu’il intègre l’association, le travailleur médico-social se voit attribuer un chien – toujours un golden retriever – préalablement formé pendant un an en famille d’accueil à la zoothérapie. Dès ses premiers mois, le chien est habitué à se rendre en structure médicalisée pour s’habituer à cet environnement particulier. Si l’animal appartient légalement à l’Aftaa, c’est le praticien qui en a la charge totale aussi longtemps qu’il travaille avec l’association.
Magali Valeriola, qui exerçait auparavant en tant qu’ergothérapeute « classique » dans des structures telles que des services d’aide à l’acquisition de l’autonomie et à l’intégration scolaire pour malvoyants et aveugles, travaille depuis trois mois avec l’association. Et avec Pixelle, qui s’aventure aussi pour la première fois sur le terrain de la médiation animale. « Nous formons un véritable duo, elle m’apporte une véritable plus-value dans ma pratique professionnelle. Je ne pourrai plus me passer de travailler avec un chien. » Son amour des canidés remonte à loin. Elle n’en reste pas moins stupéfaite de constater, séance après séance, les bienfaits de la présence de Pixelle sur les patients qu’elle rencontre : « La chienne apporte énormément de motivation et de bien-être aux résidents, ça leur donne du sens. Je pourrais leur demander de déplacer des pions pour qu’ils puissent s’exercer, mais ça ne les intéresse pas. Cela n’a pas de sens pour eux. Alors que donner une croquette à la chienne, jouer à la balle avec elle, c’est un bon moment et ils font des progrès incroyables. Il arrive que des patients parlent au chien, alors qu’aucun des professionnels qui les encadrent au quotidien ne les avaient jamais entendus formuler un son. »
C’est au tour de Laurence, 54 ans, d’interagir avec Pixelle. Elle sourit, sans mot dire. Déplier ses doigts pour lâcher la balle rose prend du temps, mais, pour elle aussi, c’est une bonne journée. La chienne se jette joyeusement sur la balle tombée à terre. « On passe à l’autre main », annonce Magali Valeriola. Laurence s’exécute, plus rapidement. Les félicitations pleuvent. Avec elle, le travail se concentre sur les exercices des articulations, mais également sur le bien-être et la relaxation que lui procure la présence de la chienne. Magali déplie la petite table qu’elle transporte toujours avec elle, Pixelle y grimpe, et se trouve désormais à hauteur des bras de Laurence. Pour Catherine Pruvost, les progrès de Laurence depuis qu’elle participe aux séances de médiation animale sont indéniables : « On sentait qu’elle avait du potentiel au niveau de ses mains, mais au quotidien elle refusait tout exercice, elle gardait les mains fermées tout le temps. Quand le chien est arrivé, elle s’est mise à sourire, elle a aussi commencé à s’ouvrir aux autres, alors qu’elle est très solitaire. »
Au bout de trente minutes, la session prend fin pour les deux femmes, qui regagnent les parties communes du centre. Patrick entre dans la pièce, avec son imposant fauteuil roulant : « Non, non, je ne veux pas. » Magali Valeriola le chambre en souriant : « Tu dis toujours ça et tu repars toujours content, Patrick ! » En attendant Colette, qui a disparu juste avant le début de la séance, Magali le met à contribution. Elle dépose une croquette sur la main inerte et crispé du quinquagénaire. « Patrick, tu dis à Pixelle : “Pas toucher”, après tu lui dis : “Tu peux” », lui explique Magali. Le patient s’exécute. Pixelle saisit délicatement la croquette entre ses dents. « Aïe ! Elle m’a mordu », s’exclame Patrick. Magali ne tombe pas dans le panneau, et embraie sur un autre exercice. Il doit dégager la balle de ses doigts pour qu’elle tombe vers la chienne. « Pour quelqu’un de pas motivé, c’est super, Patrick ! », l’encourage la professionnelle.
Colette entre soudain dans la pièce. Elle souffre de déficience intellectuelle. Elle s’asseoit à côté de Patrick. Magali Valeriola lui propose de donner la croquette et de demander à Pixelle de donner la patte. Colette enchaîne avec souplesse les deux actions. L’ergothérapeute n’en revient pas : « Avant, il fallait lui faire répéter plusieurs fois chaque étape. Là, elle est arrivée à un certain automatisme. Pour réactiver la mémoire, c’est excellent. » Colette n’est pas peu fière et s’adresse à la chienne avec autorité. C’est l’un des aspects que les séances avec le chien lui permettent de travailler. Catherine détaille : « Colette aime donner des ordres. Le chien permet de lui faire travailler la patience, le partage. Maintenant, elle est plus attentive. »
Magali Valeriola garde toujours un œil sur les patients et l’autre sur sa chienne. Elle les félicite tous à tour de rôle et guette les signes de fatigue de son animal. « Pixelle est une chienne très émotive. Quand elle s’en va à l’autre bout de la pièce, cela veut dire qu’elle veut qu’on la laisse tranquille. » L’Aftaa donne pour règle aux professionnels avec qui elle collabore de ne pas solliciter les chiens plus de trois heures par jour et de toujours ménager au moins une heure de pause entre deux séances. Pour la détendre, Magali emmène Pixelle courir dans un parc ou dormir pendant un trajet en voiture pour recharger ses batteries.
Magali comprend que sa chienne est fatiguée et interrompt l’exercice en cours. Elle termine généralement la séance avec quelques lancers : « Même quand elle est crevée, elle trouve toujours de l’énergie pour jouer à la balle. » Pour conclure, l’ergothérapeuthe leur fait récapituler les exercices accomplis pendant la demi-heure écoulée. Les patients quittent la pièce après avoir dit « au revoir » au chien. « Là, c’est certain, ils sont partis parler du chien aux autres résidents. Même ceux qui n’ont jamais vu Pixelle la connaissent. Le chien a une grande place dans l’établissement », glisse Catherine en souriant.