Actualités sociales hebdomadaires - Comment définir l’accompagnement en santé mentale ?
Clément Bonnet : Cette notion est apparue en France à la fin du siècle dernier, après une longue période ponctuée par les congrès annuels de psychiatrie et de neurologie où il était question de prise en charge, de suivi et d’hygiène mentale. Progressivement, les discours sont passés à l’accompagnement. Ces évolutions ont suivi les mutations qui s’opéraient dans le champ de la santé mentale, avec l’émergence de la notion de « handicap » dans la loi de 1975. Actuellement, l’inflation du terme ne peut qu’opacifier sa signification. Il s’agit d’accompagnement quand le projet d’un établissement vise à faciliter l’apprivoisement du milieu environnant ou d’assurer la présence d’un patient aux obsèques de son parent ou encore d’aider un résident à aller de sa chambre au salon pour nouer les premières relations sociales. C’est un engagement relationnel avec un début et une fin. La spécificité en santé mentale réside dans le fait que ce n’est pas la personne vulnérable qui demande à être accompagnée. C’est un tiers, soit la famille ou une équipe soignante. Une partie du travail des professionnels consiste donc à devenir partie prenante de ce soutien afin de pouvoir décider et agir. C’est ce qui différencie l’accompagnement de l’assistance.
En quoi se distingue le soutien en psychiatrie et dans le médico-social ?
En psychiatrie, l’accompagnement se concentre sur la souffrance de la personne et la diminution de ses symptômes. L’accompagnement médico-social se préoccupe moins de la symptomatologie que des efforts engagés pour que la personne puisse vivre mieux et trouver une place dans la société ou dans l’institution. Cependant, il n’est pas si facile de trancher. Les accompagnements thérapeutique et social coexistent souvent. On ne soigne pas les gens en les laissant dans une bulle. A contrario, l’accompagnement social peut produire des effets thérapeutiques. En santé mentale, il s’avère très compliqué de dissocier le « care » et le « cure ». Lorsque les troubles sont si importants qu’ils entravent l’autonomie, l’un ne peut pas fonctionner sans l’autre. Dans ce cas, la thérapeutique ne suffit pas, à l’inverse de celui d’une personne souffrant de façon moins intense et pour laquelle des médicaments ou une psychothérapie permettront, la plupart du temps, de retrouver une vie normale.
Que pensez-vous de la pair-aidance, dont la pratique se répand ?
Je suis très favorable à l’aide par les pairs et un fervent militant des groupes d’entraide mutuelle (GEM). Leur mise en place représente l’un des progrès les plus importants en santé mentale ces dernières années. Une personne accepte beaucoup mieux des conseils ou des recommandations émanant de quelqu’un qui a vécu les mêmes problèmes que s’ils proviennent d’un psychiatre, d’un infirmier, d’un psychologue ou d’un éducateur. Il ne faut pas s’en priver et, au contraire, le développer. Toutefois, il y a des limites et je suis opposé à la professionnalisation des pairs accompagnants, qui risquerait d’aboutir à une impasse. Un pair-aidant rémunéré change de statut. En devenant un professionnel, il va perdre ce qui fait sa force essentielle : son savoir expérientiel. Même formé, je ne pense pas qu’il faille le professionnaliser au sein des équipes soignantes, où son intégration va engendrer des oppositions. Il doit garder une indépendance hiérarchique. En revanche, il est utile qu’un pair-aidant participe à des séances psycho-éducatives et à la formation des infirmiers psychiatriques ou des assistantes sociales du secteur, par exemple. Mais il est illusoire d’imaginer que sa présence puisse à elle seule favoriser un supplément d’humanité et de rétablissement.
Les familles se sont souvent senties disqualifiées par les professionnels…
Il reste quelques poches de résistance, mais, globalement, la situation a énormément évolué. Les familles sont bien mieux accueillies par les équipes psychiatriques, et les équipes médico-sociales travaillent beaucoup avec elles. Nous assistons aujourd’hui à la constitution d’un réseau tripolaire – famille-soignant–soigné – qui exige plus de modestie de la part des professionnels pour s’ouvrir à l’imprévisible et renoncer à la volonté de tout contrôler. Les familles sont davantage considérées comme des ressources potentielles. Nous ne pouvons pas faire grand-chose sans elles. Le destin des personnes en situation de handicap psychique est très différent selon qu’elles peuvent compter sur des proches ou non. Avant, les familles étaient vues comme des obstacles, à tel point que les services psychiatriques les écartaient. Elles étaient jugées malfaisantes, nocives et même responsables des troubles de leur enfant. Nous savons maintenant que les familles ont un réel souci de coconstruction du soin.
Comment mieux accompagner quand la psychiatrie manque cruellement de moyens ?
La psychiatrie est effectivement en crise et la pénurie de moyens s’aggrave. Les psychiatres désertent le secteur public et, dans certains endroits, il est impossible d’avoir une consultation en CMP [centre médico-psychologique]. Les équipes médico-sociales ont de très grandes difficultés pour travailler avec les équipes psychiatriques. C’est un drame pour le suivi et la continuité des soins. Il n’est pas rare que des professionnels du médico-social se retrouvent seuls face à des personnes ayant des troubles sévères. Cela entraîne des conflits avec les services de psychiatrie. Ceux qui en font les frais sont les patients, dont certains se retrouvent dans la rue ou dans les prisons. La psychiatrie est, d’une certaine manière, en train de se protéger des nouvelles demandes. Comme elle n’a plus les disponibilités pour y répondre, elle refuse de s’engager, de recevoir, d’aller sur le terrain ou à domicile. C’est assez catastrophique.
Pourquoi réclamez-vous une agence de santé mentale territorialisée ?
La création sur un territoire d’environ 200 000 habitants d’une agence avec une gestion commune des services psychiatriques et médico-sociaux me semble le plus efficace afin que ceux-ci travaillent ensemble. Aujourd’hui, en dehors de quelques sites particuliers, c’est très compliqué. Un infirmier psychiatrique pourrait collaborer pendant un an à un service psy pur et dur, puis aller dans un SAVS [service d’accompagnement à la vie sociale], par exemple. Il sera ainsi plus facile de comprendre ce que font les uns et les autres. Il est nécessaire d’abattre la muraille entre les deux entités, qui est très dommageable pour les usagers utilisant à la fois le sanitaire psychiatrique et le médico-social. Cet accompagnement plus souple et plus fluide apporterait de meilleures réponses aux patients au long cours. Etre accompagné est avant tout ne pas être seul. Or la solitude caractérise la situation de la grande majorité des personnes souffrant de troubles psychiques et, pour les aider à s’en sortir, il ne suffit pas d’être avec elles. Une rencontre véritable est impérative.