Tout est allé si vite.
Hier encore, j’étais chez moi. Hier encore, j’étais Florimonde.
Et puis une chute, une simple chute, la femme en blanc à mes côtés, les murs blancs de la chambre d’hôpital, et aujourd’hui les draps blancs de l’Ehpad. Une chute, une simple chute, mon corps qui dégringole, et ma vie avec.
Tout est allé trop vite.
Hier encore, j’étais chez moi et je prenais le thé à l’ombre du cerisier. J’étais la charmante voisine et l’épouse aimante, vieille dame souriante et discrète. Je ne gênais personne. Hier encore, ma vie m’appartenait.
Et puis cette chute, cette simple chute. Et l’impression soudaine d’être devenue coupable de vivre, de vivre dans ma maison, coupable d’être inconsciente des mille et un dangers de la vie, coupable d’être vieille, tout simplement.
Il y a eu ce défilé dans ma chambre, moi allongée, fatiguée et douloureuse, dans la tenue honteuse de l’hôpital, eux debout ou assis, avec leurs blouses immaculées et leur air de déjà tout savoir, comme s’ils m’avaient déjà condamnée.
Antécédents médicaux, régime alimentaire, ressources financières, personne de confiance… Ils remplissaient leurs cases et leurs grilles, une croix pour chaque sentence, et plus il y avait de tests, plus il y avait de croix, une multitude de croix dans leurs colonnes sagement alignées, une multitude de croix pour un sombre verdict : la tutelle et l’Ehpad.
J’étais Florimonde, fille, sœur, épouse, mère, amie, voisine. Je ne suis plus que la ptite dame de la chambre 107, GIR3, régime sans sel et aide à la toilette. Je suis un nom sur un plan de soins, un numéro dans un couloir, une vieille parmi les vieux.
J’avais une grande maison chaleureuse pleine de souvenirs, et je n’ai plus qu’une petite chambre froidement impersonnelle.
J’avais un jeune voisin musicien qui jouait du piano toutes fenêtres ouvertes. Je n’ai plus que le bruit de la télé du grand salon et les ronflements du voisin.
J’avais de la glycine odorante et le discret parfum des sachets de lavande au creux de mes draps. Ici, tout a la même odeur, mélange entêtant d’urine et de nettoyant chimique parfum citron.
Je dormais dans le grand lit que j’avais partagé avec mon époux, le lit dans lequel mon fils était venu au monde, le lit des étreintes folles et des câlins enfantins du dimanche matin. Ici, j’ai un lit médicalisé, le même dans toutes les chambres, potence pour se redresser et sonnette à portée de main, draps blancs et couverture rayée bleue.
J’avais le sourire du boucher, le « bonjour » du facteur et la visite de la petite voisine qui venait glaner un gâteau en rentrant de l’école. Je n’ai plus que la gaieté forcée des soignants toujours pressés.
J’avais un chat ronronnant au coin du feu. Ici, deux canaris déplumés chantent inutilement pour un public indifférent.
J’avais ma vie, mes habitudes et mon silence. Je n’ai plus que le bruit d’une demeure qui n’est pas la mienne.