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Prostitution : sous les radars de la protection de l’enfance

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Adrien Taquet, secrétaire d’Etat chargé de l’enfance et des familles, vient de dévoiler, ce 13 juillet, un rapport de travail sur la prostitution des mineurs. Ses préconisations restent cependant conditionnées aux réels moyens accordés à la protection de l’enfance et à la mise en place d’un accompagnement des professionnels autour de ces questions.

« Un phénomène qui concerne 7 000 à 10 000 adolescents en France. » Derrière ces chiffres officiels se cache en réalité une grande difficulté à mesurer l’ampleur du problème. Car la prostitution des mineurs, touchant des jeunes de tous horizons qui présentent divers facteurs de vulnérabilités et seraient de plus en plus jeunes, passe à l’heure actuelle régulièrement sous les radars de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Et peu d’études sur le sujet permettent d’objectiver le nombre de jeunes concernés. Alors, face à cette difficulté de récolter des données fiables, comment déployer une stratégie efficace de prévention ? Si de nombreux professionnels lancent désormais l’alerte, observant une banalisation et une transformation du phénomène, favorisées par l’émergence de nouveaux canaux via les réseaux sociaux et accentuées par les périodes de confinement, le sujet était encore relégué il y a seulement quelques années. Récemment transformé en sujet politique, il vient de donner lieu, de manière inédite, à la production d’un rapport spécifique et le déploiement d’un plan de lutte sera annoncé à l’automne. Mais beaucoup reste encore à faire.

Au niveau institutionnel, il s’agit d’abord d’améliorer la coopération entre les acteurs et de mettre en place des protocoles efficaces de repérage et d’accompagnement entre le parquet, la justice et la protection de l’enfance, l’Education nationale et les professionnels de santé. Mais pour les travailleurs sociaux, il s’agit surtout d’être soutenus pour ne pas continuer à se laisser dépasser. En effet, à y regarder de plus près, la prostitution des mineurs met en exergue le manque criant de moyens pour assurer la réussite d’une politique volontariste sur des sujets si complexes et protéiformes. « Formation », « réactivité », « temps », « disponibilité des partenaires », « solutions d’hébergement appropriées », « prévention spécialisée » et « suivi en psycho trauma » sont autant d’outils identifiés pour l’accompagnement qui font très souvent défaut. Dans de nombreux cas, il faut attendre plusieurs mois avant qu’une action éducative en milieu ouvert (AEMO) soit réellement mise en place. « Si on avait des professionnels qui étaient en effectif suffisant, qui avaient les compétences et le temps pour bien faire leur travail, je pense qu’on aurait déjà une amélioration », affirme Arthur Melon, secrétaire général de l’association Agir contre la prostitution des enfants (ACPE).

Trouver la bonne posture

Mais le manque d’outils n’est pas le seul écueil. Le sujet force également les professionnels à remettre en question leurs pratiques et leur approche à l’égard des notions de sexualité et de consentement chez les adolescents. Une réflexion longtemps laissée de côté : « Beaucoup de travailleurs sociaux sont hermétiques à cette question. Ils ne voient pas la prostitution parce qu’ils ne veulent pas la voir, ou ils vont mettre en place des comportements qui font que les jeunes ne vont pas être en confiance et ne vont pas en parler. Ils ne vont pas avoir la simplicité d’aborder ces choses-là avec les jeunes. Or c’est une question qu’il faut dédramatiser dans la pratique sociale en se déconditionnant de toute entreprise de morale », affirme Vincent Dubaele, directeur d’Entr’Actes, un centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud) implanté à Lille qui, depuis une quinzaine d’années, tente de limiter les risques sanitaires et l’ancrage des mineurs et des jeunes majeurs dans la prostitution. A contrario, ce dernier met en garde les professionnels contre une trop grande focalisation : « Il est nécessaire de décaler le faisceau du projecteur, d’arrêter de ne voir que la prostitution réelle ou supposée du jeune, d’essayer de voir autre chose chez lui. Le jeune ne se résume pas à sa sexualité. La combattre de manière frontale n’a pas de sens. Il faut fabriquer des alliances avec les jeunes, travailler sur la confiance, le temps. Aujourd’hui, c’est tout sauf cela. On est dans la réactivité parce qu’on agit sous-tendu par des émotions autour des questions de sexualité chez les ados. »

Responsable en Ile-de-France de huit permanences de l’ACPE dénommées Ado Sexo, Hélène David développe un réseau à travers la France pour accompagner professionnels, familles et jeunes autour de la problématique. Cette spécialiste des conduites à risque chez l’adolescent refuse, elle aussi, de rentrer dans tout débat idéologique. Son objectif est de prendre le temps de réfléchir aux centres d’intérêts des jeunes pour identifier des pistes valorisantes de suivi : « Ce n’est pas en leur disant qu’ils vont mal parce qu’ils sont fragiles psychologiquement qu’on arrive à leur donner envie de changer. Ils ont plutôt envie de rebrousser chemin et de ne plus nous entendre. Mon approche est motivationnelle. Si l’adulte lui assène des : “Regarde tous les désagréments que ça te fait”, on est en train de l’écrabouiller et le jeune a encore moins d’énergie pour vouloir faire autrement. On doit tenter de trouver ce qui peut leur donner de l’envie de se mettre en mouvement. »

Travailler en équipe

Sortir du jugement, prendre en compte les ressources du jeune pour tenter de le remobiliser sur une autre activité sont des axes qui doivent, selon les professionnels, s’accompagner d’une logique partenariale. Hélène David souligne ainsi l’importance d’une démarche conjointe entre associations spécialisées, ASE et psychologues. Vincent Dubaele insiste quant à lui sur l’intérêt des « mesures protectionnelles mandatées », qui créent un cadre. Mais les interventions de terrain sont aussi déterminantes : « Nous allons y prioriser la relation qui pourra servir de tremplin. Quand j’ai renoué le contact avec un jeune sorti des écrans radars, derrière il faut que je puisse identifier son référent social et que celui-ci accepte de travailler avec moi, pour réfléchir ensemble à la meilleure façon de le suivre. »

Fruit d’une prise de conscience, la lutte contre la prostitution des mineurs a déjà fait l’objet de plusieurs mesures gouvernementales ces dernières années. Mais celles-ci peinent encore à se concrétiser. En février 2021, un rapport de la Cnape (Convention nationale des associations de protection de l’enfant) rappelait que l’éducation à la sexualité est inscrite dans la législation française depuis 2001. Et que, par ailleurs, la loi de 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et qui prévoyait « une information sur les réalités de la prostitution et les dangers de la marchandisation du corps dans les établissements secondaires » était insuffisamment appliquée, ou trop tardivement. Voire carrément passée à la trappe.

Le second plan d’action national contre la traite des êtres humains de 2019-2021 envisageait, pour sa part, la création d’un mécanisme national pour la détection, l’identification, l’orientation et l’accompagnement des victimes. Ce dispositif, capital pour les mineurs non accompagnés, est toujours en cours d’élaboration. Et il manque d’ambition, selon Geneviève Colas, qui coordonne le collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains » pour le Secours catholique – Caritas France : « La mission interministérielle travaille surtout à la mise en place de critères d’identification des victimes. Mais cela n’a pas de sens d’identifier les victimes si, derrière, les professionnels ne sont pas formés pour les accueillir et les aiguiller sur les plans social, juridique ou de la santé. »

Où éloigner les jeunes pris dans les réseaux ?

S’il existe aujourd’hui quelques séjours de rupture, très peu d’options s’offrent encore aux professionnels pour écarter en urgence les jeunes pris dans des réseaux de prostitution. Les déplacer dans d’autres foyers, eux-mêmes non sécurisés, ne pouvant constituer une option satisfaisante. Face à cet enjeu, le gouvernement a prévu dans son dernier plan d’action contre la traite la création d’un dispositif expérimental, dénommé « Koutcha », spécialisé dans l’accueil de mineurs. Une structure, destinée à recevoir des victimes de toutes formes d’exploitation (sexuelle, incitation à commettre des délits, mendicité, etc.), à la différence des modèles des barn houses étrangères, qui rassemblent en un même lieu les seules victimes d’exploitation sexuelle. Koutcha devrait voir le jour dans quelques mois. Pour Olivier Peyroux, le président de cette association, l’objectif est de traiter « une problématique complètement à part, de construction psychologique, de jeunes confrontés à des réseaux criminels et difficiles à prendre en charge pour un foyer “classique”. En revanche, il faut vraiment qu’il y ait une palette de solutions car Koutcha n’accueillera qu’un nombre très limité de jeunes. »

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