« Le 5 juillet, le Premier ministre a réuni le Comité interministériel du handicap (CIH), confirmant le nouveau format qu’il avait souhaité impulser : d’une part, le réunir tous les six mois, en lieu et place d’un rendez-vous annuel, voire plus rarement encore dans les quinquennats précédents. De l’autre, y convier, au même titre que les ministres, les représentants des associations via le Collectif handicaps et de l’ensemble des parties prenantes par le biais du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH).
On retiendra déjà la présence d’un nombre important de ministres et le discours clair du Premier ministre pour mobiliser son équipe, comme tout manager pourrait le faire. Le rappel d’actions menées, et quelques annonces nouvelles donnent un dossier de presse étoffé. En tant que mouvement associatif, nous pouvons reconnaître la multiplicité des actions menées, la sincérité de nombreux engagements et le rôle central, mais à renforcer, des hauts fonctionnaires au handicap et à l’inclusion.
Les dix mois qui nous séparent des prochaines échéances électorales doivent s’avérer utiles. “Utiles”, cela signifie que nous devons maintenant sortir des groupes de travail, des chantiers et des rapports afin d’aboutir à des changements concrets et réels dans la vie des personnes concernées. Sans nul doute, les personnes, les associations et le gouvernement partagent ce souhait ainsi que cette insatisfaction, voire cette colère, à constater sur le terrain combien le temps est long pour aboutir.
Le gouvernement s’est, il est vrai, mobilisé pour renforcer l’accès à l’école de tous les enfants en situation de handicap. Mais à chaque rentrée la scolarisation demeure un leurre pour un certain nombre d’entre eux, qui restent encore sans moyens de compensation, sans école ou avec un nombre limité d’heures d’enseignement. Le statut des AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap), qui ne sont pas tous suffisamment formés, reste trop précaire pour assurer un accompagnement de qualité dans la durée. De plus, si la coopération entre le médico-social et l’école a progressé, elle reste peu lisible pour les familles. L’accès à l’école inclusive s’apparente encore trop à un parcours du combattant pour des parents confrontés à une incertitude épuisante.
Le gouvernement a décidé un moratoire concernant le déplacement annuel de 350 personnes handicapées accompagnées en Belgique. Cependant, du fait d’altérations des fonctions mentales, cognitives, psychiques ou de polyhandicap, nombre de personnes – enfants, adolescents et adultes – qui bénéficient d’une orientation par la MDPH (maison départementale des personnes handicapées) vers un établissement social ou médico-social sont sans solution faute de place et, le plus souvent, se retrouvent au domicile familial. Ce moratoire sans réponses nouvelles augmente de facto leur nombre.
Certes, le gouvernement a impulsé une feuille de route ambitieuse sur les MDPH et adopte des droits à vie. Mais l’inégalité de traitement des personnes handicapées entre les départements et même au sein des départements est criante et inexplicable.
Certes, le gouvernement étend à une partie des métiers du médico-social les revalorisations du Ségur de la Santé. Mais les tensions restent fortes sur les conditions de carrière et de rémunération des salariés du médico-social, qui ne sont pas tous couverts, avec des conséquences directes sur les personnes en situation de handicap et leurs familles.
Certes, le gouvernement a créé l’aide à la vie partagée pour faciliter la mise en place de l’habitat inclusif. Mais cela ne suffit pas car de nombreuses autres mesures étaient attendues et le pilotage national doit se perfectionner, ce qu’a reconnu le gouvernement lors du CIH.
Certes, enfin (mais la liste pourrait être beaucoup plus longue), le gouvernement met en place des ambassadeurs de l’accessibilité, annoncés par ailleurs depuis 2014, nous savons tous que cela ne suffira pas et ne répondra pas à la discrimination vécue par les personnes handicapées, tous handicaps confondus, qui ne peuvent pas se déplacer librement dans la cité, vivre avec leurs proches et sortir du “confinement permanent” dans lequel elles sont plongées. Plus de cinquante ans après la loi de 1975, l’accessibilité universelle n’est toujours pas une réalité. Par ailleurs, seules 16 % des démarches administratives les plus utilisées par les Français sont accessibles numériquement.
La politique du handicap est constituée de délais non respectés, d’échéances bafouées, de droits non appliqués, d’inégalités territoriales et de communications sans lendemain. Les personnes en situation de handicap et leurs familles n’en peuvent plus. Elles n’en peuvent plus d’entendre un gouvernement évoquer, sans aucun doute avec sincérité, l’objectif d’une société inclusive et de ne voir dans leur vie quotidienne que peu d’améliorations. Voire des décalages flagrants entre les ambitions et les mesures adoptées.
Ainsi, à propos de la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), le gouvernement s’est entêté lors du CIH, fermant la porte résolument à toute évolution sur le sujet, malgré la colère très forte. Une colère qui dépasse même les seules personnes handicapées, tant l’individualisation du mode de calcul de l’allocation est devenue un thème de mobilisation partagé, dont les médias se sont fait l’écho. Le gouvernement peut rappeler que les partis de l’opposition n’ont pas adopté cette mesure lorsqu’ils étaient au pouvoir. Mais jamais un gouvernement n’avait eu auparavant la possibilité de la faire adopter avec le soutien de l’ensemble des partis politiques. Nous aurions donc pu penser que ce sujet, devenu « ni droite ni gauche », trouverait un écho dans la majorité actuelle. Lors du Comité interministériel du handicap, le Collectif handicaps a maintenu avec force et détermination la demande d’introduire cette mesure de justice sociale en revenant sur le texte adopté au Sénat, car elle trouve sa justification dans le statut particulier de l’AAH par rapport aux autres minima sociaux.
Rendre ces dix mois utiles, c’est prendre des décisions fortes et rapides sur des sujets qui ont été soumis à concertation pendant des mois et pour lesquels les associations se sont fortement impliquées.
Le CIH a permis de formuler des annonces sur la réforme des Esat, qui a fait l’objet de nombreux travaux, afin de conforter leur fonctionnement et d’améliorer le statut des travailleurs. De même des perspectives ont-elles été données sur la vie intime et sexuelle des personnes handicapées, qui nécessite certainement de développer des forces de conviction pour faire évoluer la situation.
En revanche, la déception est forte à la suite du CIH sur l’élargissement de l’élément “aides humaines” de la prestation de compensation notamment aux personnes avec un handicap mental, cognitif ou psychique. Un travail remarquable, soutenu par notre collectif, a été accompli par les associations directement concernées. Mettre fin à une discrimination de plus de quinze ans signifie, bien sûr, lever quelques freins ou obstacles, mais cela aurait été de nature à rendre l’action politique crédible. Sur ce sujet, le gouvernement ne propose qu’une étude-action, ce qui renvoie au prochain quinquennat toute modification des textes, et donc toute amélioration. Des délais bien trop longs.
Rendre ces dix mois utiles, c’est aussi ne pas restreindre les ambitions gouvernementales sur la politique de l’autonomie. Lors du précédent CIH, le Premier ministre avait clairement indiqué que la politique de l’autonomie concernerait toutes les personnes, quels que soient leur âge, leur état de santé et leur handicap. Nous ne pouvons que regretter d’apprendre dans la presse les éléments de préparation d’une éventuelle loi apparemment réduite au grand âge, alors même que le “virage domiciliaire” est un sujet particulièrement transversal. Nous savons que le chantier de l’autonomie ne sera pas bouclé avant la prochaine élection présidentielle. C’est sans nul doute un dossier qui sera au cœur du prochain quinquennat. Mais si une loi doit être adoptée dans les dix mois, faisons en sorte qu’elle continue de porter la même ambition politique.
Avant le prochain CIH, qui se tiendra dans six mois, l’audition de la France par le Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies donnera l’occasion au gouvernement d’expliquer les décalages entre, d’une part, les bilans et les annonces et, de l’autre, l’amélioration trop lente de la vie quotidienne des personnes en situation de handicap et de leurs familles. »
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