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Paroles d’étudiants : « On a les épaules pour devenir travailleurs sociaux ! »

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Ils ont affronté les cours en visioconférence, l’annulation de stages, l’absence de soirées entre promos et de pauses-café entre les enseignements. Les étudiants en travail social sortent d’une année chamboulée. Si certains ont choisi de se réorienter, d’autres ont tenu à aller au bout de leur formation, confortés dans leur projet professionnel.

« Une période compliquée. » Qu’ils soient en première ou en dernière année, à Paris ou à Perpignan, voilà comment les étudiants en travail social parlent de l’année scolaire 2020-2021, marquée par la pandémie de Covid-19. « A peine entrée en première année de DEES [diplôme d’Etat d’éducateur spécialisé], j’ai eu une semaine de présentiel pour découvrir ma promotion, puis les cours ont basculé en distanciel, raconte Océane Ferthouat, inscrite à l’institut régional du travail social (IRTS) de Bordeaux. Ça a été très dur : je ne suis revenue en présentiel qu’en juin. »

Au début de ce même mois, la Fédération nationale des étudiants en milieu social (Fnems) a publié une enquête fondée sur un panel de 457 étudiants. Pour 31 % d’entre eux, la question des cours à distance est l’une des préoccupations majeures. « Parfois, je me connectais, j’éteignais la caméra et j’allais faire autre chose, en laissant le cours en bruit de fond », poursuit Océane. Peu préparés à l’enseignement à distance, les formateurs ont parfois eu du mal à mettre sur pied des cours intéressants. La jeune fille se souvient d’un cours sur le partenariat : une vidéo de deux heures avec un diaporama et la voix du professeur par-dessus. « Enchaîner les cours et les séminaires en visio pendant toute une journée, c’est épuisant, témoignent Myriam Florence et sa colocataire Camille, toutes deux en deuxième année à l’IRTS de Montpellier. D’autant qu’on a dû rendre beaucoup de devoirs et de notes par écrit. Ça laisse l’impression de s’être auto-formé. » Souvent, cours en visio rime avec davantage de travail, estiment les étudiants. Par peur d’un cours incomplet, les formateurs ont pu être tentés de donner plus de devoirs à rendre. « Nous avons fini par leur en parler, afin qu’ils saisissent bien le volume de travail qu’ils nous demandaient, alors que certains composent avec des emplois, d’autres avec des familles. Par la suite, ils se sont montrés très arrangeants », raconte Lucie(1), en première année de DEES.

Même pour ceux qui assurent n’avoir pas eu trop de difficultés avec les cours en vidéo, les problèmes techniques sont devenus quotidiens. Entre les cours des formateurs de l’école par le biais des plateformes payantes et ceux des intervenants extérieurs qui jonglent entre les sites gratuits, les étudiants s’y perdent. S’ajoutent aussi les questions d’équipement, comment suivre des cours sans ordinateur ou avec une mauvaise connexion internet. A l’IRTS Parmentier Paris Ile-de-France, une enquête menée par les délégués des promotions indique que 20 à 30 % des étudiants connaissent des problèmes de cet ordre. Sans ordinateur, ils visionnent les cours sur leur portable, parfois avec une connexion dégradée qui rend la tâche plus difficile. « L’école a fait beaucoup, rapporte Sasha Viquesnel, délégué de la promotion DEES première année de cet IRTS. Des prêts de matériel ont été organisés aussi entre les étudiants. Les équipes ont mis en relation ceux qui avaient un ordinateur ou une clé Internet en plus avec ceux qui en avaient besoin. »

« Manquer de liens sociaux dans un diplôme du travail social, Un comble ! »

Surtout, les étudiants déplorent l’absence d’interactions dans les cours en visio. « Avec le manque de liens et les échanges limités, on lâche vite. C’est difficile de prendre la parole sans couper celle de quelqu’un, de lever la main devant l’écran… », explique Camille, en deuxième année de diplôme d’Etat d’assistant de service social (DEASS). Or ce sont ces échanges qui font le sel des formations en travail social, témoignent les futurs professionnels. « Réaliser les analyses de pratiques en visio rend la chose superficielle », estime Emma, en dernière année pour devenir éducatrice spécialisée à la Fondation Infa de Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne). « Face à la caméra, c’est dur d’aller au fond des sujets. On risque de passer rapidement sur certains éléments, alors que le but de cet enseignement est de remettre en cause ce que l’on a pu vivre et réaliser dans un contexte professionnel, d’évoquer nos difficultés. Partager nos expériences, c’est la valeur ajoutée de la formation ! » Un constat que partage Sasha Viquesnel, de l’IRTS Parmentier : « Ne pas avoir de pauses-café entre les cours, ne pas fumer de cigarette avec ses camarades ni pouvoir rester dans la classe pour parler avec les formateurs… Toutes ces dimensions informelles de la formation ont vraiment manqué cette année. » Lucie, du même établissement, sourit : « C’est un comble que, dans un diplôme du travail social, des métiers où le contact est important, on manque de liens sociaux ! »

Du fait de cette année particulière, certains étudiants s’inquiètent de la valeur de leur diplôme. « Quelle professionnelle serai-je à la fin ? s’interroge Camille. Les enseignants nous disent que les stages valideront nos acquis, mais ça me paraît léger. » Son amie Myriam acquiesce : « L’année prochaine, je vais me concentrer sur certains cours pour les certifications et combler mes manques. Je risque de passer à côté de certaines compétences, mais la priorité sera d’avoir mon diplôme. » Si cette inquiétude en matière de légitimité est normale, les futurs travailleurs sociaux ne doivent pas s’alarmer outre mesure, juge Romain Birolini, président de la Fnems. « Ce qui compte, c’est d’acquérir des expériences sur le terrain, qui peuvent pallier le manque de connaissances théoriques. » Un avis que partage Paul, en troisième année d’éducateur spécialisé à Montrouge (Hauts-de-Seine) : « La formation sert d’abord et avant tout à insuffler une position professionnelle. Ensuite, on apprend à être travailleur social tout au long de son parcours. » Après tout, « si on a tenu cette année, c’est qu’on a les épaules pour devenir travailleurs sociaux ! », sourient Camille et Myriam.

Sans sociabilité étudiante, un sentiment d’isolement

Le Covid a également pesé sur la sociabilité et l’« esprit de promo » des étudiants : comment travailler en équipe et nouer des amitiés lorsqu’on a vu ses camarades presque exclusivement au moyen d’une webcam ? Pour Océane Ferthouat, qui a dû laisser son appartement à Bordeaux pour retourner vivre chez ses parents, dans un petit village, ça a été assez dur. « J’étais seule, sans raison de m’habiller ou de sortir de chez moi. Du coup, lorsque je voyais que d’autres jeunes de ma promo, restés à Bordeaux, passaient du temps ensemble dans des parcs, je l’ai mal vécu : je me sentais encore plus exclue. » Il y a cette sensation de ne pas avoir pu pleinement profiter de la vie étudiante, expliquent Myriam et Camille, qui « ont l’impression d’avoir 30 ans ! » Dans l’impossibilité de se voir physiquement, les étudiants se sont aussi emparés des réseaux sociaux, témoigne Sasha Viquesnel. « On a créé des groupes sur Whats­App et Facebook. Finalement, lorsque nous nous sommes revus en présentiel, nous n’avions pas l’impression de nous être quittés tellement nous discutions quotidiennement entre nous ! » Pour le délégué de sa promotion, cette période a davantage soudé les étudiants : « Il y a une vraie cohésion ! »

Au rythme des nouvelles consignes sanitaires, des succès et déconvenues de la vie étudiante, la motivation de continuer les études a aussi été touchée. Selon l’enquête de la Fnems, si la situation sanitaire et les conditions de formation n’évoluent pas, 12,8 % des étudiants interrogés ne se sentent pas de poursuivre leur cursus. Angoisses sur le mémoire, stress pour les certifications ou doutes sur la formation, « tous les étudiants connaissent ça durant la formation. Mais là, avec le Covid, cette remise en cause est plus violente, raconte Camille. La période est tellement incertaine qu’on a du mal à se projeter, dans notre diplôme d’Etat ou ailleurs. » Souvent, les stages ont représenté un déclic pour ceux qui hésitaient, comme Océane. « En décembre, j’avais vraiment du mal à voir à quoi les cours me servaient. Mais lorsque j’ai commencé mon stage, j’ai su que c’était ce que je voulais faire. Ça m’a donné un coup de fouet pour me remettre dans la formation ! » Mais nombreux sont ceux qui ont rencontré des difficultés pour trouver ces stages.

Abandon : une inquiétude pour les étudiants en première année

D’autres ont pris la décision d’arrêter, comme Julien, alors en deuxième année d’éducateur de jeunes enfants dans un IRTS du Sud. « J’avais déjà des difficultés, ce qui m’avait amené à redoubler ma première année. Là, avec les cours en distance, c’était trop compliqué. Je me suis rendu compte que les études, ce n’était pas pour moi. » Mais parce que le jeune homme est certain qu’il travaillera avec des enfants, il songe à s’inscrire en CAP « petite enfance » en septembre prochain. Si la Fédération est en train d’essayer de répertorier les abandons de cette année, « il y a une vraie inquiétude quant à ceux qui sont entrés en première année dans ce contexte particulier », souligne Romain Birolini. Le président de la Fnems pointe aussi les effets de la réforme de l’accès aux formations du travail social, désormais régi par l’intermédiaire de Parcoursup depuis 2018. « Les épreuves écrites ont été remplacées par un examen de dossier. Quant aux oraux de l’année dernière, ils n’ont parfois pas pu se tenir avec le contexte sanitaire. Il peut donc y avoir des jeunes pas forcément préparés à ces formations ou, en tout cas, avec peu d’expérience et ayant des images arrêtées du travail social. » Mais il apparaît que, souvent, ceux qui arrêtent leurs études semblent continuer vers le travail social ou le paramédical. « Après tout, avoir envie d’aider les gens, c’est une vocation qui marque et guide les parcours », sourit Paul.

Notes

(1) Le prénom a été modifié.

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