« Dans les prochains jours, un “projet de loi relatif à la protection des enfants” va être soumis à l’Assemblée nationale. Il affiche l’intention d’améliorer le fonctionnement des institutions en charge de la protection de l’enfance, mais comporte peu de mesures importantes. Ceci traduit le fait que l’Etat et les départements n’ont toujours pas trouvé de consensus sur la manière de porter ensemble les responsabilités de cette politique publique. Au-delà de ce constat général, nous notons que ce projet, très technique et institutionnel, ignore surtout ceux qui sont les premiers éducateurs, donc les premiers protecteurs de leurs enfants : les parents.
Bien sûr, il existe des situations, toujours trop nombreuses et trop graves, où des parents se révèlent durablement incapables d’exercer leurs responsabilités. Il ne s’agit donc pas de raviver les débats, parfois idéologiques, qui ont voulu opposer les tenants du droit des familles et les défenseurs des droits des enfants. La loi de 2016 relative à la protection de l’enfance a été bien inspirée de lui donner comme pivot la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant.
Rappelons que la politique de protection de l’enfance vise des situations qui peuvent concerner de graves maltraitances ou carences dont les jeunes sont victimes mais aussi, et très souvent, des situations sans mauvais traitements où les parents n’arrivent plus à assumer leurs responsabilités éducatives.
Notre expérience nous montre, en tant qu’acteurs de terrain, que dans de nombreux cas de figure il est possible, sous certaines conditions, d’aider les parents à restaurer la qualité de leurs liens avec leurs enfants et d’exercer leurs responsabilités éducatives. Aussi, chaque fois que cela est possible et en prenant soin de toujours respecter l’intérêt des enfants, les accompagner dans les liens avec leurs parents est une manière de prendre en compte leurs besoins fondamentaux. Il faut donc être très attentif à ne jamais discréditer les parents que nous cherchons à accompagner. C’est pourquoi l’action publique doit rappeler que la protection de l’enfance veut préserver les enfants des dangers mais aussi tout mettre en œuvre pour mobiliser et soutenir les familles lorsqu’elles en ont besoin. En 2019, plus de 300 000 enfants ont bénéficié, toutes causes confondues, de mesures de protection qui, dans la plupart des situations, visaient également à assister les familles. Il est impensable d’aider un enfant durablement sans prendre soin de ses proches.
Face aux difficultés éducatives et relationnelles, le rôle de prévention de la protection de l’enfance devrait être d’aider les familles avant la dégradation des situations, avant qu’il ne devienne nécessaire de leur imposer des décisions judiciaires. L’objectif doit être de protéger les enfants bien avant que leur famille ne devienne le lieu même d’un danger pour leur développement, leur intégrité physique et psychologique. Aujourd’hui, il existe déjà des structures (protection maternelle et infantile, centres médico-psychologiques, aide sociale à l’enfance, etc.) qui pourraient les aider si elles avaient de quoi fonctionner pleinement et si elles étaient incitées à développer des alliances d’acteurs.
Mais il nous semble également indispensable que les familles qui ont besoin d’aide se sachent accueillies en confiance, avec bienveillance, avec autant d’attention à leurs compétences qu’à leurs “carences”. Alors, elles oseront demander de l’aide. Aujourd’hui, le discrédit dont sont victimes les familles ayant besoin de l’aide sociale à l’enfance (ASE) devient un obstacle à la protection de l’enfance quand il les pousse à éviter de solliciter le soutien qui leur serait nécessaire.
Si l’intervention de la protection de l’enfance est souvent une aide essentielle et pertinente face à des situations dont les enfants peuvent être victimes, elle est trop souvent perçue par les familles, mais aussi par la société en général, comme une sanction face à une incapacité, à une faute. Malheureusement, la protection de l’enfance intervient souvent trop tardivement devant des situations qui se sont aggravées avec le temps. Les juges sont alors amenés à prendre des décisions qui s’imposent aux familles et que celles-ci peuvent percevoir comme des sanctions. Le sens de la protection de l’enfance s’en retrouve inversé.
Les conséquences se révèlent désastreuses lorsque les familles qui ont besoin d’aide, quelles que soient les causes de leurs fragilités, se voient désignées comme dangereuses, parfois même “toxiques”. Les soutenir et les accompagner suppose de nouer avec elles des relations de confiance.
Devant l’opinion publique, la protection de l’enfance est souvent médiatisée à l’occasion de drames qui n’ont pu être évités. Mais les situations les plus médiatiques ne doivent pas être le premier indicateur des dangers auxquels les enfants peuvent être exposés. Ceci concerne aussi bien les abus sexuels que toutes les formes de maltraitance, en famille comme en institution. Lorsque l’attention de la société, des politiques ou des médias n’est retenue que sur les faits les plus dramatiques, les difficultés les plus silencieuses, les plus nombreuses, celles que les familles ou les enfants n’osent pas évoquer – par peur de déranger ou par peur du reproche – deviennent non seulement invisibles, mais illégitimes. En effet, comment et à qui parler de ses difficultés avec son enfant dont on ne comprend ni ne supporte le comportement si l’image de l’ASE n’est associée qu’aux drames les plus odieux et aux maltraitances les plus graves ?
La protection de l’enfance ne devrait pas être d’abord une politique de réaction face aux dangers pour les enfants. Elle devrait exprimer la vision d’une société qui veut également aider les parents à protéger leurs enfants, à les préserver des dangers. C’est pourquoi, aujourd’hui, pour en revenir au projet de loi du gouvernement sur la protection de l’enfance, nous demandons que les familles soient associées, comme le seront les jeunes eux-mêmes, à la nouvelle gouvernance de la protection de l’enfance.
Si l’accueil et la formation des enfants orphelins a été le premier engagement de la Fondation Apprentis d’Auteuil, il y a longtemps que nos activités se sont largement ouvertes aux familles et aux parents “premiers éducateurs de leurs enfants”. Avec cette expérience, nous savons que leur contribution est indispensable, non seulement pour nous aider à mieux comprendre leurs difficultés, mais également parce que les familles ont entre elles des capacités insoupçonnées à s’entraider, s’écouter, se comprendre. A condition de leur en donner les moyens, de leur proposer des lieux et des circonstances pour qu’elles se rencontrent. Nous plaidons pour que notre société se construise et s’organise pour être protectrice et de ses enfants et de leurs familles. »
Contact : www.apprentis-auteuil.org