C’est une grosse machine à frustrer tout le monde, à la hauteur des attentes qu’avait pu susciter ce Ségur. Nombreux sont ceux qui ont le sentiment d’avoir été instrumentalisés, puisque, finalement, le but consistait à phagocyter le front hospitalier qui redémarrait après le premier confinement. Le Ségur a divisé, en n’admettant pas, par exemple, le collectif Inter-urgences, ou à la suite du départ de Sud, pour mieux imposer des décisions déjà prises. En lâchant un peu, une augmentation ici, une reprise partielle de la dette des hôpitaux là, le gouvernement a attisé les amertumes.
Ils ont largement récompensé les praticiens hospitaliers qui en avaient moins besoin que les infirmiers ou les aides-soignants, et offrent une vision très conservatrice. Prenons l’exemple de l’objectif national de dépenses de l’assurance maladie [Ondam]. Le Ségur n’a modifié en rien son niveau ou ses compartiments entre sanitaire, médico-social et médecine de ville. On est bien loin de la révolution attendue par les acteurs du Ségur. De plus, Bercy a très peur de l’effet domino, des demandes des uns à la suite des revalorisations de salaires accordées aux autres. La déception est grande, parce qu’il n’y a eu aucune vision stratégique globale. Les silos se sont reconstitués, le sanitaire d’un côté, le médico-social de l’autre, au sein des agences régionales de santé [ARS], pourtant supposées porter une vision globale. S’appuyer sur des identités professionnelles fortes représente une force pour le secteur, mais c’est aussi la cause du maintien de silos. Ils existent plus que jamais. Et le médico-social reste le parent pauvre du système parce qu’il n’est ni médical, ni social. Il est dans un trou structurel, et pris dans un conflit de tutelles entre les départements, les ARS et l’Etat central qui serre les budgets. La crise de la Covid n’a fait que renforcer des problèmes préexistants. La plupart du temps, les crises sociales sont foncièrement conservatrices, alors qu’on attend d’elles qu’elles offrent une prise de conscience.
Il conviendrait peut-être de dépasser les ARS, et d’aller vers ce que les Anglais appellent les « primary care trusts », des structures de niveau infrarégional, qui couvriraient des bassins de vie de 300 000 à 400 000 personnes. Elles auraient entre les mains tous les budgets de la médecine de ville, des soins hospitaliers, sociaux et médico-sociaux. Voilà une révolution possible du système de santé ! Les budgets seraient fongibles. Cela éviterait la sous-médicalisation des Ehpad [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes], ou le surinvestissement dans la médecine de ville. Même moi je sais bien que disant cela, je formule une part de rêve… Et pourtant, on serait en droit de demander une meilleure gestion de nos impôts face à des enjeux aussi importants que le vieillissement de la population.