Des revalorisations pour les soignants s’ils travaillent auprès de personnes âgées, mais pas auprès d’hommes et de femmes porteurs d’un handicap. Des rémunérations variables pour un même métier selon que la structure – ou parfois le service au sein d’une même association – est financée par le département ou par l’assurance maladie. Les accords du Ségur de la santé, dans leur version initiale autant qu’au travers des protocoles signés ce printemps pour tenter de gommer leurs ratés, ont créé nombre d’inéquités, et donc de mécontentements. Ils représentent même, selon le chercheur Frédéric Pierru, une formidable « machine à frustrer tout le monde » (page 12).
Mais comment a-t-on pu en arriver là, alors même que nombre d’experts saluent le déblocage de milliards d’euros et quelques mesures appréciables ? La réponse est simple : tous dénoncent d’une même voix tant une vision hospitalo-centrée des politiques publiques qu’un manque de vision stratégique. Un « saucissonnage », à l’inverse de la transversalité et des coopérations tant vantées pendant la crise sanitaire, regrette Prosper Teboul, directeur général d’APF France handicap.
Alors la grogne monte. Chez les salariés, qui vivent ces inégalités à la fois comme une injustice à l’égard de collègues qui remplissent les mêmes missions et comme un manque de reconnaissance supplémentaire. Chez les employeurs, également, qui perçoivent déjà des conséquences très concrètes d’une situation délétère dont ils ne sont pas à l’origine (page 10). Tous ont refusé de nous communiquer des chiffres sur le nombre de postes vacants en raison de difficultés accrues de recrutement. Mais aussi, désormais, à la suite de départs, du fait de l’abandon du secteur du handicap au profit de celui des personnes âgées ou d’un changement d’orientation professionnelle.
Car, même fâchés et mobilisés aux côtés de leurs salariés pour demander des revalorisations pour tous et faire cesser les inégalités de traitement, ils demeurent sur la réserve, comme pour ne pas brûler les dernières chances de négocier des améliorations avec les pouvoirs publics, lors de la prochaine conférence sociale envisagée pour l’automne prochain.
En attendant, les colères sont à la hauteur des espoirs suscités (page 8). Et ce, même dans la fonction publique hospitalière, où encore 3 % des professionnels restent écartés des revalorisations, comme en témoigne Delphine Natu, directrice d’un foyer de vie en Eure-et-Loir, dans le podcast SMS de la semaine.
Paradoxalement, ces protestations, nourries à court terme des effets désastreux du Ségur de la santé, pourraient ouvrir, à plus longue échéance, des perspectives plus réjouissantes. Ainsi cette période de tourmente pourrait-elle faciliter le rapprochement si souvent évoqué, jamais encore réalisé, entre les différentes conventions collectives du secteur.