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Employeurs et salariés : la nécessaire convergence

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Immédiates et désastreuses, les premières conséquences des accords du Ségur de la santé se seront bien peu fait attendre. Mais de ce loupé pourraient naître des perspectives plus positives, sur le plan du dialogue social et sur celui du rapprochement des conventions collectives.

Une formation aux métiers d’accompagnateur de personnes en situation de handicap, à l’intention des demandeurs d’emploi, d’une durée de six semaines, et financée à hauteur de 20 % par l’association. C’est ce qu’a mis au point avec des partenaires locaux (Pôle emploi, le conseil régional, le Greta…) l’antenne départementale de Haute-Savoie du réseau Paralysie cérébrale France, qui voit fondre ses effectifs et ne parvient pas à recruter « dans le prolongement de la situation extrêmement tendue de l’emploi dans le secteur médico-social, largement amplifiée par les incohérences du Ségur de la santé », écrit-elle dans un communiqué. La représentation de ce réseau en Gironde devrait suivre prochainement, et proposer cette même action de formation. De nombreux autres employeurs reconnaissent, même si aucun n’a accepté d’objectiver le constat en nous donnant des chiffres, que des salariés démissionnent d’établissements de personnes handicapées pour gagner des structures de suivi de personnes âgées, ou quittent le champ associatif pour rejoindre le secteur hospitalier.

Les déplacements se font au gré des annonces successives : revalorisation des seuls soignants d’abord, ou de l’unique secteur hospitalier, avant un élargissement à telle catégorie de professionnels, ou tel type d’établissement. Elles se seront fait peu attendre : les conséquences du Ségur de la santé sont déjà perceptibles, à des degrés divers selon les secteurs. Et outre les traductions immédiates, d’autres effets moins visibles et plus indirects apparaissent. Ces derniers, de moyen terme, pourraient finalement s’avérer moins néfastes que les premiers.

Sur le plan symbolique, tous les acteurs dénoncent un manque de reconnaissance des professionnels. Mécaniquement, l’attractivité d’un secteur déjà en tension en pâtit : « Nous avons d’abord observé moins de recrutements. Arrivent aujourd’hui des démissions », observe Prosper Teboul, directeur général d’APF France handicap. « On ne parvient pas à recruter des infirmiers, des aides médico-psychologiques, des éducateurs de jeunes enfants ou même des personnels administratifs, déplore Marie-Laure de Guardia, présidente du Gepso (Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux). Nous devenons moins attractifs encore, et affrontons aussi une perte de compétences. » La déléguée nationale complète, mentionnant que certains directeurs d’établissement de la protection de l’enfance lui ont confié ne pas avoir reçu un seul CV pour une offre d’emploi, une première depuis le début de leur carrière.

Injonctions contradictoires

Bien entendu, les difficultés de recrutement ne datent pas de la signature des accords du Ségur, mais ceux-ci renforcent la tendance, en particulier dans les champs jusqu’ici totalement écartés des revalorisations, comme la protection de l’enfance et le secteur social. Mais même au sein des établissements publics, puisque tous les professionnels n’ont pas été revalorisés, des difficultés se font jour. Selon la CFDT, pourtant seule organisation syndicale des salariés signataire de l’accord de méthode en faveur du privé non lucratif et du protocole à destination du secteur public négociés ce printemps pour rectifier le tir du Ségur (voir le dossier juridique page 18), 139 000 agents des établissements publics sont pour l’heure privés de cette revalorisation. De quoi soumettre les professionnels à des injonctions contradictoires, enrage Marie-Laure de Guardia : « Les lois nous demandent des ratios de personnels, par rapport à un nombre d’enfants, de ne pas les héberger dans des hôtels… Et dans le même temps, nos effectifs diminuent. Alors on met des pansements, on recourt à des intérimaires par exemple. » En bout de course, soulignent les acteurs, les publics accompagnés, par essence fragiles, voient la qualité de leur prise en charge s’amoindrir.

Face à tout cela, le climat social se tend, les ressentiments s’exacerbent, les journées de mobilisation (locales, nationales, générales ou par profession) se répètent, des grèves perlent. Employeurs, organisations syndicales, mais aussi financeurs, avec les conseils départementaux, le notent.

Et ce n’est pas le seul sujet de convergence entre employeurs et salariés. Car, une fois n’est pas coutume, tous demandent d’une seule voix une rémunération égale pour tous. « C’est une première, se félicite Mireille Stivala, secrétaire générale de la fédération CGT santé et action sociale. Les employeurs voient bien l’importance des difficultés de recrutement et ils revendiquent aussi d’avoir les moyens financiers d’accorder les augmentations, sans que ne pèse sur eux un reste à charge. » Cette mobilisation commune semble « conjoncturelle » à Evelyne Rescanières, son homologue à la CFDT. « Il s’agit de porter un combat commun, pas seulement des questions salariales, parce que c’est la place du médico-social qui se joue », invoque pour sa part Marie-Laure de Guardia. Prosper Teboul se montre plus nuancé : « Je ne sais pas expliquer les inégalités de traitement à mes équipes. Des inéquités dont nous pouvons être considérés comme responsables, en tant qu’employeurs. »

Vers un rapprochement des conventions collectives

Autres conséquences sur le plan opérationnel pour les employeurs : des difficultés pour favoriser les mobilités, explique Marina David, responsable juridique de la direction des ressources humaines (DRH) à la Croix-Rouge française ou l’impossible différenciation des personnels soignants qui interviennent dans des équipes pluridisciplinaires, abonde Charlotte Ballero, DRH pour la même association. Plus complexe encore d’un point de vue managérial : nombre d’employeurs indiquent que certains de leurs professionnels encadrants pourraient se voir moins bien payés que ceux qu’ils chapeautent.

Malgré ces difficultés de court terme, certaines conséquences à plus long terme du Ségur de la santé semblent sinon positives, à tout le moins encourageantes à plusieurs acteurs. A commencer par le rapprochement entre les conventions collectives, posé comme une condition de nombre de déclinaisons des protocoles et accords de méthode signés et sans doute à venir. Ce dont se félicitent tant la CFDT que la Croix-Rouge ou Nexem (principal représentant des employeurs associatifs du secteur social, médico-social et sanitaire). « Les employeurs ont présenté un front extrêmement uni, se réjouit Alain Raoul, président de Nexem. Nombre de combats restent à mener, mais, tout de même, on perçoit une réelle accélération. Le bilan est mitigé parce que nous n’avons pas encore obtenu tous les résultats escomptés, mais de grandes orientations sont prises. »

En somme, les négociations continuent, ce qui conduit certains de nos interlocuteurs à retenir leurs confidences, pour ne pas briser les chances de succès d’une négociation avec les pouvoirs publics. D’autres remarquent que ces discussions pied à pied, ces miettes obtenues les unes après les autres, permettent finalement de faire œuvre de pédagogie auprès des élus, notamment des parlementaires et conseillers départementaux, pour leur expliquer ce qu’est le champ médico-social, ses spécificités, son utilité. Une forme d’investissement pour l’avenir, ou à tout le moins de préparation des prochaines échéances.

Ce sera la conférence sociale, annoncée cet automne, qui doit réunir acteurs et financeurs. D’aucuns espèrent qu’enfin elle apportera une vision globale des enjeux, qui a tant fait défaut aux accords du Ségur. « Si rien n’est fait, 2022 sera catastrophique », avertit Prosper Teboul.

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