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“L’expérience de la xénophobie crée un besoin crucial de reconnaissance”

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Pendant près de dix ans, cette chercheuse a suivi des immigrés chinois de différentes générations. En leur donnant la parole dans un ouvrage, elle dévoile les préjugés racistes dont ils sont victimes et la mobilisation de la jeune génération qui ne veut pas rester silencieuse.
Comment le racisme envers la population chinoise se manifeste-t-il ?

Il s’appuie sur l’idée que les Asiatiques sont discrets, obéissants, travailleurs acharnés, sérieux et bons élèves, qu’ils ont de l’argent. Ces stéréotypes en accréditent d’autres, bien moins positifs. Ils sont souvent assimilés à des entrepreneurs ou employés clandestins, à des individus qui se livrent au blanchiment d’argent et fraudent le fisc. Dans les représentations, les femmes sont hypersexualisées à cause de l’industrie du porno et souvent considérées comme des objets de désir, soumises. Du coup, dans la vie réelle, particulièrement dans la rue et sur les lieux de travail, elles subissent un harcèlement non négligeable sur le mode : « J’ai toujours été attiré par les femmes asiatiques. » En revanche, les hommes sont vus comme asexualisés et ne correspondant pas au standard de la virilité masculine. Parmi les préjugés, il y a aussi le fameux « péril jaune », expression issue de la fin du XIXe siècle et qui désigne la peur d’un pays sous-développé pouvant devenir une puissance économique et démographique. Le coronavirus ayant été découvert à Wuhan, la pandémie a réactivé ce fantasme. Les commerces alimentaires chinois ont été désertés et beaucoup de personnes perçues comme chinoises, y compris les enfants, ont été stigmatisés et agressés verbalement et physiquement. Donald Trump a même parlé de « virus chinois ». D’où le hashtag #JeNeSuisPasUnVirus partagé sur les réseaux sociaux.

En France, quand la diaspora asiatique a-t-elle commencé à réagir à ces violences ?

Les manifestations de protestation contre le racisme ordinaire ont commencé en 2010, à la suite de multiples agressions de commerçants dans le quartier de Belleville, à Paris. Elles ont continué en 2016 avec la mort d’un couturier chinois à Aubervilliers, violenté par trois jeunes. Puis, en 2017, après le décès par balle d’un père de famille tué par les forces de l’ordre. La présence dans l’espace public de cette communauté considérée comme une minorité « silencieuse » a interpellé. Elle traduit l’émergence d’une jeune génération qui brise le silence et donne une visibilité au racisme anti-Asiatiques en France, même s’il est moins intense et fréquent qu’envers les populations africaines et maghrébines. Les études scientifiques sur les discriminations portent surtout sur les populations provenant des territoires d’outre-mer ou de l’immigration postcoloniale. Ce livre entend apporter des éléments de compréhension en brossant un tableau d’ensemble des nouveaux immigrés arrivés après les réformes économiques chinoises de la fin des années 1970 qui ont conduit à un chômage massif. Aujourd’hui, les Chinois représentent le plus gros flot d’immigrants légaux en France derrière les Marocains et les Algériens.

Cette communauté est-elle aussi homogène et intégrée qu’on veut bien le croire ?

L’étude des origines géographiques, des motifs de départ et des parcours d’intégration démontre une grande diversité. Celle-ci contredit l’image monolithique d’une population qui s’est appropriée « les valeurs de la République par l’école et le travail », comme l’a déclaré le président Sarkozy lors d’une fête du Nouvel An chinois. Dans un contexte politique hostile à l’immigration, ce discours tend à renforcer la hiérarchisation raciale et devient une arme à trouble tranchant qui contribue à enfermer l’ensemble des Asiatiques dans une représentation figée de population « modèle » et de « commerçants qui réussissent ». Cette discrimination positive en fait les victimes toutes désignées de violences racistes. Or, parmi les Chinois en France, il y a des travailleurs sans papiers, des jeunes sans emploi ou des familles précarisées. Il existe une ambivalence entre l’intégration économique et culturelle de cette population. Grâce à ses réseaux communautaires, elle bénéficie peut-être d’une meilleure réussite professionnelle que d’autres immigrés mais, en contrepartie, elle est tributaire de contraintes familiales qui l’empêchent de rencontrer d’autres mondes. Ainsi, la première génération garde un style de vie très « chinois », tandis que la deuxième génération a une approche plus diversifiée et voudrait se libérer du carcan lié à l’impératif de réussite sociale.

Vous laissez entendre que cette jeunesse est écartelée…

Les jeunes se sentent souvent plus Français que Chinois. Le sentiment de repli communautaire qui peut se dégager relève surtout d’une forte concentration dans certains secteurs économiques. Mais la jeunesse chinoise née en France ou y ayant reçu une éducation a pris conscience du racisme structurel qui distingue sa génération de celle de ses parents. Elle dénonce plus globalement tous les présupposés racisés associés aux autres Asiatiques, et rappelle que les Vietnamiens, les Laotiens… ont été combattants pour la France, travailleurs forcés dans les campagnes, enfants des colonies. Je constate d’ailleurs l’arrivée d’un panasiatisme reconnu par les pouvoirs publics. Certains retournent même le stigmate en appelant à une identité « jaune » au travers du slogan « Yellow is beautiful », inspiré du mouvement des Black Panthers dans les années 1960. Néanmoins, si certains jeunes décident de reprendre le restaurant ou le magasin familial après leurs études, c’est que le marché de l’emploi national est disqualifiant pour les jeunes issus de l’immigration. Et que s’opposer à ses parents ne signifie pas forcément se construire en dehors d’eux. Les jeunes Chinois sont tiraillés entre leur volonté de s’émanciper et celle de ne pas décevoir leurs parents. Et comme beaucoup d’enfants d’immigrés, ils s’interrogent sur leur place dans la société. Les populations musulmanes sont amalgamées au terrorisme, les Français d’origine chinoise, eux, sont soupçonnés d’être tous d’accord avec le sort réservé aux Ouïghours ou l’invasion du Tibet.

Le développement international de la Chine change-t-il la donne ?

L’expérience de la xénophobie engendre chez tous les enfants d’immigrés un besoin crucial de reconnaissance. Mais il est certain que la nouvelle place de la Chine sur l’échiquier mondial, plus valorisante, transforme les positionnements et fournit une ressource identitaire mobilisable aussi bien individuellement que collectivement. A ce titre, l’Association des jeunes Chinois de France (AJCF) lutte depuis 2011 contre toutes les formes de discrimination et n’hésite pas à nommer le racisme, ce qu’avait du mal à effectuer leurs aînés, situés plus à droite du spectre politique. Une identité asiatique apprend à se déconfiner et à rejoindre d’autres voix antiracistes.

Chercheuse

à l’Institut national d’études démographiques (Ined) et membre de l’institut Convergences Migrations, Ya-Han Chuang est l’auteure d’Une minorité modèle ? Chinois de France et racisme anti-Asiatiques (éd. La Découverte, 2011).

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