Recevoir la newsletter

Quasar, un message d’espoir pour l’avenir

Article réservé aux abonnés

Porté par l’auteur-compositeur Malik Soarès, le spectacle « Quasar » sera joué le 30 juin à Mantes-la-Jolie. Ce projet multidisciplinaire implique à la fois des artistes, des chercheurs en sciences sociales et des enfants placés. Avec l’idée de leur rendre hommage et de lutter contre les préjugés.

Le projet de Malik Soarès est en tout point surprenant. Déjà, il est rare de voir dans le milieu de la culture la question des enfants placés portée sur le devant de la scène. Il est encore plus exceptionnel qu’un tel projet soit initié par un artiste lui-même passé par les structures de l’aide sociale à l’enfance. Nourrisson, Malik Soarès a été retiré à sa mère pour être confié à des pouponnières de l’ASE. Il fréquente ensuite les foyers et les familles d’accueil, avant de refuser un contrat jeune majeur à 18 ans. « A chaque rendez-vous avec les institutions, on ne m’écoutait pas. On était dans des protocoles rigides », dénonce celui qui construit sa carrière d’artiste en autodidacte : guitariste, chanteur, compositeur et interprète. « Pendant dix ans, j’ai mis mon passé de côté. Puis j’ai récupéré mon dossier de l’ASE et ai ressenti le besoin d’en développer quelque chose. Le spectacle est une manière d’exprimer mon histoire sans que cela soit autocentré sur elle », précise-t-il.

Aussi, dans ce processus de création, l’artiste a tenu à intégrer des enfants actuellement placés. Dès 2018, il collabore avec trois foyers d’accueil d’urgence des Yvelines : à Mantes-la-Jolie, le foyer Saint-Nicolas et la maison de l’enfance et, à Rambouillet, la maison d’enfants à caractère social (Mecs) Emergence. Au total, 16 jeunes de la protection de l’enfance participent à l’aventure. Pendant neuf mois, ils se rencontrent régulièrement.

Malik Soarès intervient, accompagné d’artistes, du vidéaste Claude Rambaud, qui réalise un documentaire sur la démarche, ou encore du sociologue Pierre-Emmanuel Sorignet. Professeur à l’université de Lausanne, danseur et lui-même famille d’accueil, ce dernier a d’abord réalisé une série d’entretiens avec Malik Soarès, puis avec les enfants qu’il a interrogés sur la profession de leurs parents, les métiers qu’ils voulaient exercer plus tard : « Les questions sur les futurs et les possibles sont importantes parce qu’on se positionne souvent par rapport à nos parents », explique le chercheur. Durant ces ateliers, il utilise aussi le corps pour permettre aux enfants de s’exprimer « La danse, c’est quand la parole ne suffit plus et que le corps prend le relais. Il y a quelque chose qui peut lâcher et là, pour certains de ces enfants, ça a fait mouche », détaille le sociologue.

L’équipe reçoit également les enfants dans les théâtres de la région, où ceux-ci découvrent le hip-hop, la danse contemporaine, l’alto. « On leur a en quelque sorte créé une boîte à outils artistique », observe Malik Soarès. L’objectif est aussi de leur offrir un lieu où ils peuvent se livrer, en toute confiance. Dans Quasar, le spectacle monté par le musicien, ils témoignent, filmés, de ce que représentent pour eux la famille, l’amour, l’avenir. « Nous avons bataillé pour qu’il n’y ait pas d’éducateur présent pendant les ateliers. Nous voulions que, pour une fois, la parole des enfants soit totalement libre », raconte le metteur en scène. Une requête finalement acceptée par les directions des différents établissements.

Collectif 12

Comme chaque dimanche depuis plusieurs mois, et bien que la participation des enfants au spectacle soit désormais terminée, Malik Soarès et Claude Rambaud rejoignent ceux du foyer Saint-Nicolas au sein du Collectif 12, un lieu de création artistique de Mantes-la-Jolie. Six enfants âgés de 7 à 11 ans arrivent en courant et sautent au cou des deux hommes. Leur joie est palpable. Ils demandent d’emblée : « Ce n’est pas la dernière séance ? », « L’avant-dernière », répond le vidéaste. Au programme, aujourd’hui, la construction d’une capsule temporelle. Mais, avant cela, Malik Soarès s’enquiert de la semaine des enfants : « Vous avez des choses à me raconter ? » « Oui, j’ai vu maman ! », s’exclame Lucas(1), un petit blond. « Moi, mon frère s’est cassé le bras », renchérit Chloé, une petite fille aux grands yeux clairs.

Puis il est temps de passer à la réalisation de la capsule. Le principe est simple : fournir un témoignage aux générations futures. Un projet anodin, qui soulève pourtant chez les enfants de grandes questions sur le futur, l’âge adulte ou encore les rêves. « Moi, je serai la grand-mère la plus cool du monde plus tard », affirme Manon. « Quand j’aurai 20 ans, je serai aventurière », complète une autre. D’autres tiennent à raconter l’aventure Quasar dans cette lettre abandonnée au lecteur de l’avenir. « On n’est pas très contents que ça se termine déjà », lâche Amina. Ce qui a beaucoup touché cette fille d’une dizaine d’années, c’est la sincérité de Malik Soarès : « Il nous a dit qu’il avait été placé toute sa vie et que lui n’avait pas eu toutes ces activités-là. C’est la première fois que je rencontre un adulte qui a été à l’ASE lui aussi. Ça me touche beaucoup de penser à sa situation », souligne Amina avec une maturité déconcertante. Claude Rambaud suggère à ceux qui ont du mal à écrire de laisser un message vidéo. A l’étage, le jeune Lucas, 8 ans, se confie face caméra. « Chers parents, avec Quasar, on a fait un vaisseau spatial, il y avait des extraterrestres. J’étais au foyer Saint-Nicolas et mon meilleur rêve, c’était d’aller dans le futur », conclut-il, poignant. « Dans Quasar, on était comme une famille, on peut leur faire confiance et je suis très fière d’avoir enregistré une chanson pour le spectacle », se réjouit Amina. Une chanson que le groupe d’enfants interprétera à la fin du spectacle qui sera donné le 30 juin au Collectif 12, à Mantes-la-Jolie.

Lutter contre les clichés

Quand l’artiste a présenté son projet à Sophie Pénard, la responsable de service du foyer Saint-Nicolas de Mantes-la-Jolie a immédiatement été séduite. « Il porte un message essentiel, celui que les enfants puissent s’exprimer artistiquement sur leur trajectoire. Ce qu’il leur propose, c’est un moment suspendu dans leurs histoires. Ça lui tenait à cœur de détacher le thérapeutique de l’artistique avec cette idée de pouvoir livrer les choses sans forcément les mettre au travail », souligne la professionnelle de la protection de l’enfance. C’est elle qui s’est chargée d’expliquer le projet aux parents et d’obtenir leurs autorisations : « Je voulais qu’ils s’engagent, et aussi montrer aux enfants que, même dans des situations d’urgence, même pendant leur placement, il peut se passer de belles choses. »

Quant à l’absence d’éducateur pendant les ateliers, Sophie Pénard la considère plutôt comme une opportunité : « Avec ce projet, les enfants ont pu élaborer leur situation, mais sans enjeu puisque Malik n’a aucun impact pour la modifier. Les enfants pouvaient donc parler sans retenue. Ils étaient comme dans une bulle où les choses qui se déroulaient n’avaient pas d’incidence. » Une parenthèse très rare dans les parcours de protection de l’enfance, où la parole de l’enfant est souvent évaluée. La responsable du foyer a même constaté des belles avancées pour les enfants : une meilleure expression des émotions, une amélioration de la confiance en soi. « Ils étaient dans un endroit qui leur appartenait, et ça, dans notre secteur, c’est un temps privilégié. Comme un repère pour ces enfants dans des situations d’urgence et qui, pour certains, ont changé de structures pendant le projet », pointe Sophie Pénard. Avant d’ajouter : « Ça a fait du bien à tout le monde quand Malik a relaté son passé. Aux enfants, dont les modèles d’adultes qui ont été placés sont plutôt rares, et aux éducateurs, qui apprécient de voir des gens comme lui qui ont réussi à s’épanouir et à dépasser leur colère. C’est un message d’optimisme ! »

En mixant danse, théâtre, mapping vidéo et musique live, le spectacle, majestueux, sollicite l’imaginaire des spectateurs. La salle se voit transportée dans un vaisseau baptisé Quasar (inspiré du terme utilisé en astronomie pour décrire une source de lumière très brillante et lointaine). Malik Soarès marque ici l’analogie avec les enfants placés : « Dans un télescope conventionnel, il n’est pas possible de distinguer un quasar d’une étoile commune. Les enfants placés sont des “quasars sociaux” : au milieu des autres enfants, il est en apparence impossible de les distinguer. Pourtant ils sont différents. »

Portés par la prestation de Manon Davis à l’alto, accompagnée du comédien Nicolas Martel et du danseur Babacar Cissé, les témoignages des enfants, filmés au fil des mois, défilent sur des écrans géants et s’avèrent bouleversants. Cette création poétique, métaphore d’une quête identitaire, interpelle et provoque le débat. Comme ce soir-là au théâtre L’Echangeur de Bagnolet (Seine-Saint-Denis), où Anne-Solène Taillardat et Lyes Louffok, tous deux anciens enfants placés et porte-parole de la cause, sont invités à échanger avec le public. « J’ai entendu des chiffres dingues sur le nombre d’enfants placés qui deviennent sans-abri, ça m’a semblé énorme. Ce sont des vraies statistiques ? », demande une spectatrice. « En effet, on estime qu’un quart des SDF sont d’anciens enfants de l’ASE, dont seulement 13 % accèdent à un bac général », répond Lyes Louffok, aujourd’hui devenu éducateur.

Les discussions se poursuivent entre Malik Soarès, le public, les invités, les enfants qui ont assisté au spectacle. « Associer les enfants à une création, leur offrir des pratiques culturelles, c’est rare. Il y a une méconnaissance du grand public sur la question de la protection de l’enfance et beaucoup de fausses représentations dans les médias. Si, à chaque spectacle Quasar, on explique ce que c’est d’être un enfant placé, c’est top », ajoute Anne-Solène Taillardat, membre de l’association de pair-aidance Repairs.

A la sortie de la salle, Iris, éducatrice à l’aide sociale à l’enfance, trouve le ton très juste. « Il touche à des questions qui traversent beaucoup d’enfants en foyer et qui les renvoient à l’altérité, la différence… Et j’aime beaucoup cette idée de galaxie. C’est un terme que les enfants évoquent souvent, cette impression de vivre sur une autre planète », assure-t-elle. Justement, bien loin des idées reçues et comme un message alertant aussi sur certains manquements dans les prises en charge, Malik Soarès entend avec Quasar rendre hommage à ces enfants qui se battent contre les préjugés : « On leur colle des étiquettes de cas sociaux, à eux et à leur famille, alors qu’ils ne sont que des victimes collatérales. Des jeunes qui ensuite, à 18 ans, sont souvent lâchés dans la nature s’ils n’ont pas de contrat jeune majeur. C’est cette double peine que je veux dénoncer. Et rappeler que les enfants placés sont, avant tout, simplement des enfants. »

Après sa représentation à Mantes-la-Jolie, Quasar, lauréat du prix de la Fondation Cognacq-Jay et de l’appel européen « Le Réel Enjeu », s’envolera vers la Belgique. Avec l’envie d’embarquer toujours les enfants placés à bord de ce vaisseau un peu barré.

Notes

(1) Les prénoms des enfants ont été changés.

Reportage

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur