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L’art de la méthode

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Plus qu’une formalité, l’élaboration du projet associatif constitue un moment charnière pour dessiner la stratégie d’une structure autour d’une dynamique collective. L’enjeu d’un tel document réside autant dans sa préparation que dans sa déclinaison sur le terrain.

Celui-là ne sera pas resté à dormir sur une étagère. Au contraire. Lancé au 1er janvier 2020, le projet associatif d’Entraide Union – baptisée hier Entraide universitaire –, a d’emblée révélé ses vertus. « Il nous a préparés à la gestion d’une crise de l’ampleur du Covid, explique Annabelle Zimmermann, directrice générale de cette association spécialisée dans le handicap et la protection de l’enfance. D’abord, en l’élaborant, nous avons développé des habitudes de travail en commun. Le projet avait d’ailleurs fléché, parmi les priorités, la nécessité de faciliter la collaboration entre établissements. Ensuite, nous avions inscrit la transformation numérique comme axe de notre développement. L’avoir pensé nous a permis en quelques mois de favoriser le travail nomade. »

Chantier ô combien fastidieux, l’élaboration du projet associatif n’est pas une obligation légale. Mais il est devenu au fil du temps un passage obligé des organismes gestionnaires. D’une part, parce que les financeurs le réclament, d’autre part, parce qu’il structure la vision stratégique de l’association. « Il est indispensable, insiste Fabienne Duboscq, fondatrice du cabinet Gain de causes. Il permet de clarifier l’horizon et constitue un outil d’arbitrage pour la gouvernance. » Point d’ancrage, le projet associatif donne le cap des actions militantes et gestionnaires de demain. Il permet de construire les prises de parole vis-à-vis des pouvoirs publics. Il cadre les réponses aux appels à projets. Et constitue un précieux garde-fou au cas où des turbulences surviendraient. L’enjeu ? « Dessiner un futur prévisible dans un environnement qui bouge, servir de balises à l’action, résume Fabienne Duboscq. Il pose un socle, autour d’un trépied solide : la vision (une utopie, “contre la faim dans le monde”, par exemple), les valeurs éthiques – autour desquelles l’association rassemble – et les missions – qui reprennent des éléments de langage, et identifient le territoire et les bénéficiaires. A partir de là, on va pouvoir déterminer les axes stratégiques du projet. »

Cafetière italienne

Pour être pertinent, le projet associatif doit être co-construit avec les salariés, les adhérents et bénévoles, mais aussi avec les personnes accompagnées et leurs familles. Certains y verront, à juste titre, l’opportunité de rassembler les équipes autour d’un projet commun. Après avoir établi le bilan du précédent texte, la phase de consultation offre la matière première du travail. A l’Adapei 35 (association départementale d’amis et parents de personnes handicapées mentales d’Ille-et-Vilaine), qui a voté son projet le 26 juin en assemblée générale, 1 200 personnes – professionnels, usagers, familles – ont donné leur avis via des questionnaires. Il s’est ensuivi deux types d’ateliers : d’abord des « focus groupes » entre personnes accompagnées – une manière de libérer la parole – ; ensuite des ateliers territoriaux, animés par des volontaires, bénévoles et professionnels, formés pour l’occasion. L’ensemble a permis de débattre et d’affiner des propositions, à partir d’une triple expertise : personnes handicapées, familles, professionnels. Ces réflexions ont ensuite été prolongées d’un séminaire réunissant, pendant deux jours, des représentants du conseil d’administration et de la direction. Avec à la clé, un temps de synthèse pour identifier les priorités. Ne restait plus qu’à formaliser ces travaux lors d’une phase d’écriture, resserrée autour de la présidente et des services de direction. Un chantier méthodique qui aura bénéficié dès la première pierre de l’expertise de l’agence Ellyx, spécialisée en innovation sociale. « Elle a apporté un appui en ingénierie et en méthodologie : c’est un travail titanesque de gérer autant de données, explique Matthieu Thiebault, directeur général de l’Adapei 35. Et outre le contenu, dont ils ne sont pas experts, ils apportent un regard décalé bienvenu. » Pour préparer le terrain, Ellyx avait présenté dans une vidéo les principes d’un projet associatif et l’organisation du travail. L’appel à mobilisation a fonctionné.

La réussite d’un projet réside dans les allers-retours permanents entre les acteurs. « Comme une cafetière italienne, sourit Fabienne Duboscq. On fait bouillir l’eau, ça monte, ça redescend. Et ça fait un bon café. Certaines associations sont structurées pour favoriser les remontées de terrain, avec un comité stratégique au long cours. Mais l’implication permanente de chaque partie prenante demeure essentielle pour favoriser un consentement autour des enjeux décisifs. » Impliquer les usagers n’est pas chose aisée, surtout lorsque certains publics sont porteurs de handicap intellectuel. Il est pourtant essentiel d’organiser des groupes de travail au sein même des établissements. Voire d’inclure des usagers au sein du comité de pilotage, comme l’a fait L’Entraide Union, accompagnée dans sa démarche par l’Uriopss Ile-de-France. Pour chaque temps de réflexion, des outils d’intelligence collective sont mobilisés : « brise-glace », « world café » et autres techniques ludiques et dynamiques.

Orientations et actions

Le contenu ? Une fois rappelés les principes fondamentaux de l’association, le cœur du texte réside dans la définition des axes stratégiques. L’Adapei 35 en a retenu cinq, qui comprennent chacun quatre leviers d’action. Elle mettra l’accent ces cinq prochaines années sur la transformation de la société. « Jusqu’à présent, on s’est concentrés sur la prise en charge et l’offre de places en établissements. Avec ce nouveau projet, on veut travailler davantage sur les dynamiques d’inclusion. Notre fédération, l’Unapei, porte cet enjeu au niveau national. A nous d’intervenir au niveau des territoires pour favoriser des politiques éducatives inclusives, dans les cantines scolaires, les centres de loisirs, les aires de jeux pour enfants », explique Matthieu Thiebault.

Déployé sur une cinquantaine de pages, le projet de L’Entraide Union comprend lui aussi cinq axes de développement. Les usagers et les salariés y sont au cœur, et le développement durable constitue un fil rouge. Ces axes sont déclinés en 22 orientations stratégiques et 93 actions opérationnelles. Pour garantir leur mise en œuvre, un « plan d’action du projet associatif » prolonge le premier document. Pour chacun des 93 items seront ainsi identifiés : l’échéance de mise en œuvre, le coût financier et les modalités d’évaluation. Un pilote – membre de la direction générale – et un référent de l’action – un administrateur – sont également désignés.

Fil rouge

Reste à diffuser l’ensemble de ce projet. A prendre son bâton de pèlerin comme l’a fait L’Entraide Union. « J’ai fait le tour de tous les établissements pour le présenter et travailler avec les équipes pour voir concrètement comment le décliner dans leurs structures respectives », explique Annabelle Zimmermann qui veut renforcer aussi l’élaboration des projets d’établissement. « On a constaté que la plupart d’entre eux se limitaient à une présentation à l’instant T, sans véritable projection. On a donc retravaillé une trame d’élaboration dans laquelle les établissements sont invités à faire des liens avec le projet associatif, qui ne doit pas être un document de plus mais le fil rouge de leur action. » A l’Adapei 35, pas question non plus de dissocier les deux travaux. « Le projet associatif constitue le substrat du projet d’établissement. Il doit profiter à tous », affirme Matthieu Thiebault, qui entend informer chaque année sur l’avancement du projet. Sans s’interdire, bien au contraire, de l’adapter et de l’actualiser en fonction de l’évolution des politiques publiques.

Démarche similaire à L’Entraide Union. Un comité de suivi doit être mis en place. D’ores et déjà, un chargé de mission a été recruté fin 2020 pour s’assurer de la réalisation opérationnelle du projet. « Le précédent ne l’était pas vraiment, avoue Annabelle Zimmermann. Ces dernières années, nous avons connu une croissance régulière du nombre de ses établissements. Il est temps de s’unir dans un projet commun. Et ce texte de référence est le liant. » Une version « Facile à lire et à comprendre » (Falc) a été réalisée pour mieux s’adresser notamment à ses usagers en situation de handicap. Comme sa version classique, elle sera diffusée au plus grand nombre. Le maître-mot : communiquer, en interne comme en externe. Et ce dès l’assemblée générale. Pour ouvrir la discussion, l’Adapei 35 organise une table ronde composée d’acteurs de la société civile : « Une manière de dire : “Voilà nos engagements. Et vous, acteurs de l’école ou de l’entreprise, qu’attendez-vous de la mise en place de ce projet ?” », explique Matthieu Thiebault. Dans la même optique, l’association envisage de tenir quatre réunions territoriales à l’automne auprès des partenaires. « C’est une manière de déposer le projet sur la table, souligne Matthieu Thiebault. Et de regarder comment le mettre en musique avec eux. »

Faut-il revoir le projet en cas de fusion ?

Nombreuses sont les associations qui règlent en priorité les aspects juridiques et organisationnels d’une fusion. Quitte à faire l’impasse sur le projet associatif. Erreur : « Le droit doit être au service du projet, et non l’inverse. Et il doit être pensé en amont, pour ne pas créer un mille-feuille de projets », estime Fabienne Duboscq. La consultante du cabinet Gain de causes recommande de repartir de zéro. S’accorder sur les grandes lignes d’une entreprise commune constitue même la question centrale de la fusion. « A partir de là, on y va ou pas, et on voit comment. Si cette étape est négligée, au bout de deux ans, la fusion fonctionne d’un point de vue technique, mais il manque quelque chose. Et il ne faut pas tarder à se repositionner. » Bien sûr, le principe de réalité l’emporte parfois. Tout dépend des raisons de la fusion. « Lorsqu’une petite association est absorbée par une plus importante, la priorité n’est pas forcément au projet associatif, nuance Fabienne Duboscq. Mais il faudra, sans tarder, sensibiliser sur la nécessité de se poser pour réfléchir au projet commun. »

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