Ils sont là, soigneusement étalés sur la table, petits papiers colorés qui me promettent des lots fabuleux : repas gastronomique, trottinette et bons d’achat. 1 € le ticket, c’est pas cher payé le rêve, et les yeux de mon petit garçon, ses yeux pleins d’étoiles qui supplient : allez maman, pour une fois, regarde tout ce qu’on peut gagner !
Quatre carnets, dix tickets par carnet, 1 € par ticket. Le calcul est vite fait, ma réponse aussi.
« Tu sais, Souad a déjà tout vendu, et Nolwenn a même redemandé des carnets. Du coup, ils paieront moins cher leur sortie scolaire. » Il a bien préparé ses arguments. Il joue sur la corde sensible, mon virtuose en culottes courtes. Les sanglots longs des violons du loto vident mon compte de beaucoup trop d’euros.
D’habitude, j’ai toujours un argument en poche pour déjouer ses complaintes. Quand, pour son anniversaire, il me demande le super jouet super génial que tous les copains ont parce que vraiment c’est super à la mode, je lui propose un autre super jouet super génial qu’il sera le seul à avoir et regarde mon chéri celui-là est quand même vachement mieux, en plus de faire toupie turbo-propulsée il fait aussi lampe de poche, et vu qu’il est super moins cher tu pourras même avoir un super gâteau en prime ! Et ça marche.
Quand, à la rentrée, il se trémousse d’envie devant le super agenda avec plein de couleurs et en plus regarde maman c’est mon personnage préféré des héros de la fantaisie légendaire, je lui dégaine victorieusement le modèle premier prix parce que regarde mon chéri, sur celui-là on pourra mettre plein d’autocollants de tes héros, ça sera encore mieux ! Et ça marche.
Mais, aujourd’hui, je suis piégée. Les tickets de tombola sont là, devant moi, et impossible de les remplacer par des tickets moins chers sur lesquels je pourrais mettre de jolis autocollants. Le ticket, c’est 1 €, ni plus ni moins, et tous les copains ont déjà vendu leurs carnets. Alors j’explique, je me justifie : la dépense en tickets ne couvre pas l’économie sur la sortie, la tombola c’est beaucoup de perdants pour très peu de gagnants, les lots ne m’intéressent pas, c’est pas une compétition. Mais plus j’argumente et plus il insiste, il a réponse à tout : 40 €, c’est presque rien, en plus à la fin des carnets il y a un ticket gratuit pour le vendeur, avec un peu de chance il pourrait gagner la trottinette, ça fait des années qu’il en veut une, s’il te plaît maman dis oui !
40 €, presque rien ? 40 €, c’est un caddie de courses au magasin discount, un demi-plein d’essence, deux mois de cantine scolaire au tarif social, les fournitures scolaires de la rentrée… ou un vingtième de mon salaire. Le prix de l’essentiel. Mais tout ça, je ne peux pas le lui dire, à mon petit vendeur. Alors je cède, à moitié, d’accord pour deux carnets, un demi-caddie ou un quart de plein, on prendra le jambon premier prix plein de flotte et on raccommodera le vieux cartable. Deux carnets dilapidés sur l’autel du superflu, 20 tickets pour cacher l’évidence : cacher sa honte, ça coûte 20 €.