« Par un communiqué de presse en date du 28 mai dernier, il a été annoncé une extension du Ségur de la santé à des professionnels du handicap, dont ceux des établissements médico-sociaux publics autonomes. Cette information pourrait compter parmi les bonnes nouvelles. Pour autant, il nous apparaît nécessaire de témoigner, en tant que directeurs d’établissements sociaux et médico-sociaux publics autonomes relevant de la fonction publique hospitalière (FPH) et accompagnant des jeunes et adultes en situation de handicap ou vulnérables, de notre incompréhension persistante sur la démarche de sélection des professionnels concernés par cette revalorisation de même que sur les effets délétères de cette mesure dans la gestion des ressources humaines des établissements concernés. Cette approche n’a pas du tout gouverné l’application du Ségur dans les autres établissements de la FPH, où la revalorisation a été appliquée à l’ensemble des catégories de professionnels il y a plusieurs mois déjà.
Alors pourquoi ne pas élargir le Ségur à tous les professionnels de la FPH ? D’autant que cette concertation affichait l’ambition première de tirer les leçons de l’épreuve traversée du fait de l’épidémie de coronavirus et de bâtir, avec tous les acteurs du secteur, de nouvelles fondations. Ainsi, dans son rapport de recommandations préparatoire au Ségur, Mme Notat pointait à juste titre l’excès de cloisonnement entre hôpital, médecine de ville et médico-social. De même, y était soulignée l’absence d’adéquation entre l’utilité sociale des professionnels de la FPH, leur engagement professionnel et leur rémunération.
Or, quelques mois plus tard, les efforts remarquables traduits dans les diverses mesures du Ségur, dont le complément de traitement indemnitaire (CTI) mensuel de 183 €, laissent au bord du chemin, sans que l’on comprenne pourquoi, 3 % des agents de la fonction publique hospitalière – principalement des personnels des établissements sociaux et médico-sociaux publics autonomes et de la protection de l’enfance. Ce sont tous, à l’exception des soignants, des accompagnants éducatifs et sociaux ou des auxiliaires de vie dans les établissements financés par l’assurance maladie.
Il est évoqué, en accompagnement de cette annonce, la nécessité de rendre justice à ces professionnels soignants (estimés à 9 000) qui ont tenu bon pendant la crise. Mais c’est bien l’ensemble des professionnels de nos établissements qui a tenu bon : les éducateurs spécialisés, les psychologues ou les personnels de bionettoyage ont œuvré à la même continuité de service, avec le même engagement. Dès lors, pourquoi privilégier certains métiers ? A l’instar de l’hôpital, ce sont bien toutes les ressources humaines d’un foyer de vie, d’un foyer d’accueil médicalisé ou d’un dispositif d’accompagnement médico-éducatif qui rendent possible l’accomplissement de leurs missions. Cette hiérarchie induite par le périmètre du Ségur est un signal étonnant, en contradiction avec l’esprit qui nous semblait présider à cette reconnaissance. C’est, par ailleurs, méconnaître l’essence du travail de nos institutions dans les domaines social et médico-social que de privilégier certains métiers, lorsque les accompagnements proposés reposent sur la pluridisciplinarité des approches et des métiers : l’éducation spécialisée, l’accompagnement thérapeutique, etc. C’est mettre à mal une éthique institutionnelle intimement liée à l’éthique de la relation.
C’est aussi donner à voir une définition qui nous semble particulièrement restrictive de la santé des personnes accompagnées. Pour sa part, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) la définit comme “un état de complet bien-être physique, mental et social”, qui “ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité”. La santé est ainsi prise en compte dans sa globalité. Elle est associée à la notion de “bien-être”. Dans cette acception, le rôle de l’action sociale et médico-sociale est reconnu comme le trait d’union avec la cité, comme le vecteur de l’accompagnement de la santé, au sens large, de personnes plus vulnérables à un moment donné ou toute leur vie.
Implicitement, si le Ségur restait en l’état, il entérinerait alors une supposée noblesse ou prééminence de certaines fonctions par rapport à d’autres dans l’accompagnement médico-social de personnes vulnérables ou en situation de handicap. A l’heure de la société inclusive, projet partagé et porté par l’ensemble de nos professionnels, cela ne peut que nous interroger. Cela met également en cause le principe d’unité de la fonction publique hospitalière, pour des métiers qui sont très souvent les mêmes. Outre l’interrogation quant au caractère légal d’une telle mesure, comment rendre attractif un établissement lorsque, 20 km plus loin, sur un même territoire de vie, une majorité de professionnels vont réaliser exactement le même travail avec 183 € de différence de traitement, simplement parce que leur mission va s’exercer dans un établissement rattaché à un centre hospitalier ou à un Ehpad ? Et ce, avec des publics identiques !
En tant que directeurs et managers œuvrant dans ces structures, nous sommes également interpellés par les conséquences en cascade du dispositif. Rappelons que 97 % des fonctionnaires de la fonction publique hospitalière bénéficient du CTI : il est très probable que les 3 % restants souhaitent légitimement en bénéficier en changeant d’établissement. Perte d’attractivité, turn-over plus important des équipes et instabilité, perte de compétences individuelles et collectives, retard dans le développement de projets, mais aussi impact sur la fluidité des parcours des personnes accompagnées… Tout cela touche au fondement d’un travail de qualité, dans des institutions vivantes, compétentes et évolutives.
De même, comment définir les niveaux de responsabilité par métiers et fonctions quand le système de rémunération n’est plus corrélé ? Le dispositif Ségur tel que défini à ce jour permettra à un agent de catégorie C d’être mieux rémunéré qu’un agent de catégorie A qui, pourtant, aura davantage de responsabilités et un niveau de formation a priori supérieur. A court terme, la gestion des ressources humaines va pâtir de telles incohérences et, in fine, c’est la qualité des projets et des accompagnements proposés aux personnes vulnérables ou en situation de handicap qui sera mise en cause.
Pour ces raisons, et parce que les accompagnements des personnes en situation de handicap, pour lesquelles nous sommes mobilisés, nécessitent le dynamisme et l’ensemble des compétences des professionnels de ces établissements, il nous semble que seule une extension du CTI à tous les agents de la fonction publique hospitalière pourra répondre aux enjeux qui se posent à nous. »
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