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Une articulation grippée

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Organisation en « silos », manque de considération, incompréhension réciproque… Les obstacles sont nombreux à entraver l’élaboration d’une culture commune entre le système psychiatrique et les secteurs social et médico-social. A la veille des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie, les professionnels pointent l’importance de développer des formations croisées et de travailler à un langage commun.

Tenant compte à la fois des dimensions biologiques, psychiques et sociales, la psychiatrie a toujours été tiraillée entre le champ médical et le champ social. Mais par-delà ce facteur intrinsèque à la discipline, par-delà des critères juridiques distincts et des sources de financement diverses, le manque de liens entre les professionnels de ces secteurs bloque la bonne articulation du système. « Il y a une conscience très différente d’un secteur de psychiatrie à l’autre, certains sont très ouverts au travail en réseau, tandis que d’autres, au contraire, sont frileux et considèrent que ce n’est pas à eux de faire du médico-social », note Georges Jovelet, psychiatre des hôpitaux, ancien chef de pôle « psychiatrie du sujet âgé. « J’observe chez les psychiatres une très grande vigilance pour ne pas sortir du domaine du soin et ne surtout pas devenir des auxiliaires de justice, rapporte de son côté Benjamin Bons, secrétaire national CGT probation-insertion et conseiller pénitentiaire à la maison d’arrêt de Caen (Calvados). Cela confine parfois à la défiance. »

Le professionnel relève également, comme beaucoup d’intervenants sociaux, un point de crispation récurent autour du secret médical. Dans une note de cadrage sur la coordination entre les services de protection de l’enfance et les services de pédopsychiatrie publiée en avril dernier, la Haute Autorité de santé (HAS) est revenue sur cet aspect en préconisant « de clarifier les informations pouvant être échangées et partagées, les personnes avec qui elles peuvent l’être et les outils le permettant ». Pour Nicolas Chambon, sociologue, responsable du pôle « recherche » à l’Orspere-Samdarra, observatoire national sur la santé mentale et les vulnérabilités sociales, la solution est de demander systématiquement leur avis aux personnes concernées. « Seul l’usager est propriétaire de son expérience. Et lorsque la question est posée, nous nous rendons compte que la réponse ne va pas de soi. »

Former à une approche globale

La méconnaissance réciproque du travail au sein des deux champs freine par ailleurs la convergence des actions sociales et psychiatriques. « Ce défaut d’interconnaissance vient nourrir le sentiment que chaque professionnel “ne reconnaît pas nécessairement l’intervention de l’autre comme profitable à l’enfant” ou développe des représentations fausses des champs professionnels concernés et des missions des institutions », observe par exemple la HAS dans sa note de cadrage. « Il s’agit d’une clinique spécifique, pointe de son côté Antoine Courtecuisse, psychiatre de secteur et responsable de l’équipe mobile psychiatrie précarité (EMPP) Interface à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais). Il est nécessaire pour les travailleurs sociaux et les équipes du sanitaire d’être formés à l’inclusion dans le soin. Il faut développer une certaine patience, accepter que le public s’éloigne un temps donné et qu’il revienne nous voir aux moments les plus inopportuns et dans les lieux précaires, à savoir les urgences. » « Toute la difficulté en Ehpad [établis­sement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes] est de différencier la prise en charge en fonction des patients, explique quant à lui Georges Jovelet. Il est important d’acquérir des compétences sur la bonne distance à avoir. Il n’est pas possible de se comporter avec un patient psychotique comme avec un patient Alzheimer. »

Pour répondre à cette problématique, nombreux sont ceux à plaider pour des formations croisées qui permettraient une acculturation dans chaque secteur. La formation aux premiers secours en santé mentale constitue une piste pour les professionnels du social, qui se retrouvent parfois démunis sur ces questions, estime Laurie Fradin, conseillère technique « Santé-ESMS » à l’Uniopss. « En faculté de médecine, des modules existent pour sensibiliser aux problématiques des personnes en situation de précarité et permettre une approche plus globale, poursuit-elle. Il faudrait renforcer ces dispositifs qui restent encore trop peu nombreux sur le territoire. » Autre piste : les stages d’immersion. « Il s’agit là d’un bon moyen pour un travailleur social de se rendre compte de ce qu’est un hôpital psychiatrique et pour un médecin de voir ce qu’est un Cada [centre d’accueil pour demandeurs d’asile] », illustre Nicolas Chambon.

Ces formations communes gagneraient également à inclure les différents publics, soulignent de nombreux acteurs. « La rencontre avec le réel est très déstigmatisante, rapporte Marie-Jeanne Richard, présidente de l’Unafam (Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques). Cela permet de sortir de la notion de dangerosité et de mettre en avant les capacités de la personne. » De manière générale, l’accent est mis sur l’importance de la participation des usagers, même si celle-ci n’est pas toujours évidente à mettre en œuvre. « Aujour­d’hui, les concertations s’effectuent dans des délais courts et il faut prendre le temps d’y associer réellement les personnes et leurs proches, pointe Laurie Fradin. Cela nécessite de favoriser les moyens financiers pour permettre, entre autres, aux usagers de se déplacer sur les lieux de réunion et d’exercer leur mission de représentation. »

Manque de moyens

Les projets territoriaux de santé mentale (PTSM) semblent constituer un moyen prometteur pour favoriser l’interconnaissance entre professionnels. Le dispositif, qui s’inscrit dans le cadre de la loi de modernisation du système de santé de 2016, a vocation à réduire les ruptures de parcours sur les territoires pour les personnes souffrant de troubles psychiques. Tous les acteurs sont invités autour de la table pour réaliser un diagnostic partagé et mettre en œuvre un plan d’action. Mais après la phase d’élaboration, des inquiétudes persistent quant au financement de ces PTSM dont le déploiement doit s’effectuer en 2021. « Nous craignons qu’il n’y ait pas assez de moyens mis dans les actions élaborées collectivement », souligne Laurie Fradin. « Il s’agit certainement d’une bonne manière de trouver un langage commun, mais il est encore trop tôt pour dire comment tout cela va se décliner sur le territoire », appuie Marie-Jeanne Richard.

Parmi les autres freins majeurs au développement des liens entre les champs sanitaire, social et médico-social, figurent les trop faibles moyens alloués ces dernières années. « Le financement de la psychiatrie ne suit pas du tout l’évolution de l’Ondam [objectif national des dépenses d’assurance maladie], rapporte la conseillère technique de l’Uniopss. Cela entraîne moins de mobilité des services de soins et de psychiatrie ambulatoire. » Le rythme de travail soutenu et la pénurie de personnel ne manquent pas non plus d’entraver le dialogue entre les différents champs. « Le peu de disponibilité à la fois du côté de la psychiatrie que de celui du secteur de l’insertion nous empêche de bien nous coordonner, observe Benjamin Bons. Face à l’urgence de certaines situations, nous en oublions parfois que notre interlocuteur se trouve dans la même contrainte de temps que nous, avec des conditions de travail similaires, et qu’il fait lui aussi de son mieux. »

Enfin, un enjeu se dessine autour du rôle et de l’intégration des psychologues dans le parcours d’accompagnement. « La psychiatrie ne peut pas être seule à appréhender la souffrance en santé mentale », alerte Nicolas Chambon. « Hormis dans certains lieux comme les CMP [centres médico-psychologiques], les consultations de psychologues ne sont pas remboursées, ce qui en complique l’accès. Ce frein est souvent remonté par les associations représentant les usagers et familles », relève Laurie Fradin qui suggère d’internaliser dans les centres d’hébergement ou de réinsertion sociale les fonctions de psychologue pour ensuite amener les publics à fréquenter des lieux de soins.

Rendez-vous manqué ?

Les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie annoncées par le président de la République au début d’année se tiendront finalement en septembre prochain. Initialement prévues fin juin ou début juillet, elles sont apparues aux yeux de nombreux acteurs comme une occasion manquée d’élargir la réflexion entre les différents champs. Si le gouvernement a lancé en mai une consultation en ligne, afin de « recueillir les attentes, préoccupations et propositions » de l’ensemble des professionnels, celle-ci n’a permis « qu’une participation individuelle », ont regretté les seize associations de l’Uniopss dans une lettre ouverte datant du 3 juin. « Malgré nos sollicitations, nous n’avons pas eu de retour », explique Laurie Fradin. Les organisations ont par ailleurs pointé un événement médico-centré, avec une représentation restreinte au sein de la nouvelle Commission nationale de la psychiatrie. En réponse, le gouvernement assure, dans un communiqué publié le 15 juin, que le travail préparatoire de ces assises continuera durant l’été et signale la création d’une adresse mail destinée à recueillir « l’ensemble des contributions ». Reste à savoir si ces annonces suffiront à générer l’espace nécessaire à l’expression de l’ensemble des acteurs du social, du médico-social et du sanitaire.

Adresse générique mise en place par le gouvernement : assises.santementale.psychiatrie@sante.gouv.fr.

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