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CMPP, CAMSP, CMPEA : des relais essentiels menacés

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La mise en place des plateformes de coordination et d’orientation, dédiées entre autres au diagnostic de l’autisme, met à mal l’organisation des centres de pédopsychiatrie. Les professionnels redoutent de voir des enfants laissés pour compte et dénoncent une volonté de bannir le soin psychique au profit d’une approche neuro-développementale.

« Un scandale sanitaire. » Marie Bakchine ne mâche pas ses mots face aux réorganisations à l’œuvre dans les services publics de pédopsychiatrie. Cette psychologue, membre du collectif Grand Est pour la défense du secteur médico-social, faisait partie du demi-millier de professionnels mobilisés le 10 juin devant le ministère de la Santé. Parmi eux beaucoup de libéraux, contestant les modalités de remboursement des consultations par la sécurité sociale, mais aussi des thérapeutes exerçant, comme elle, en institution. Depuis des années déjà, ces professionnels s’inquiètent du manque de moyens malgré des situations de plus en plus complexes et des délais de prise en charge qui s’allongent. La mise en place, dans chaque département, de plateformes de coordination et d’orientation (PCO), censées favoriser un diagnostic précoce des troubles neuro-développementaux (TND), a ravivé leur courroux. Dans le cadre de la stratégie nationale 2018-2022 pour l’ autisme, le gouvernement a institué un parcours de bilan et d’intervention précoce pour les enfants de moins de 7 ans, présentant des troubles du spectre autistique, mais aussi du langage (les « dys »), du développement intellectuel ou de l’attention. Désignées par les agences régionales de santé (ARS), ces plateformes sont portées à la fois par le secteur médico-social, via des centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) ou des centres d’action médico-sociale précoce (CAMSP), et par le secteur sanitaire via des centres médico-psychologiques pour enfants et adolescents (CMPEA). Charge à elles de réaliser un diagnostic puis d’orienter la prise en charge vers le secteur libéral ou vers des structures de la plateforme, comme le rappelle une instruction ministérielle du 19 juillet 2019.

Demain, le tri des enfants ?

Plus que l’intention, louable, c’est la méthode et les moyens mis en œuvre que contestent les professionnels. « A budget constant, on demande à une structure de monter en charge sur une catégorie précise d’enfants. Mathématiquement, les listes d’attente vont s’allonger », prévient Dominique Pendelliau, psychologue, membre de la coordination des collectifs des CMPP de Nouvelle-Aquitaine. Les professionnels craignent, demain, de devoir trier les enfants pour prendre en charge prioritairement ceux atteints de TND. Reporter les prises en charge sur la pédopsychiatrie libérale ? « Elle est sur le point d’imploser, tout comme les orthophonistes, les psychomotriciens dont les délais pour obtenir un rendez-vous ne cessent de s’allonger, rétorque Eric Soutif, du collectif interprofessionnel médico-social dans la même région. Surtout, les plus précaires, ceux qui viennent chez nous, n’iront pas en libéral. » Sa consœur du Grand Est, Marie Bakchine, enfonce le clou : « Le libéral ne peut pas absorber les situations sociales que nous accueillons, avec des pathologies lourdes. C’est l’institution qui soigne, grâce au travail d’une équipe composée de psychologues, de pédopsychiatres, d’ergothérapeutes, de psychomotriciens…. Et même s’il est prévu des réunions de synthèse organisées par la plateforme, il faut encore que les libéraux puissent se libérer pour y assister. »

Combat idéologique

Les professionnels de la région Nouvelle-Aquitaine étaient les premiers à lancer l’alerte, il y a un peu plus d’un an. Deux départements étaient particulièrement touchés : la Vienne et la Gironde. « Dans chaque département, le cahier des charges de l’ARS a été appliqué de façon plus ou moins sévère, avec pour certains des changements de mission radicaux, explique Dominique Pendelliau. Dans la Vienne, le CMPP a été transformé en pôle neurodéveloppemental exclusif : il a été demandé de ne plus recevoir les enfants qui présentaient des troubles autres que des TND. En Gironde, le CMPP de Pessac a été transféré à Libourne pour devenir une plateforme. » A Reims, la situation du CAMSP, qui porte la PCO dans la Marne, alerte tout autant. « Le projet a été construit de bric et de broc, sans moyens supplémentaires, avec des professionnels qui n’ont pas été formés », s’alarme Marie Bakchine, qui met en garde contre le risque de sur-diagnostic. « La clinique de l’autisme demande beaucoup de finesse et un travail d’équipe. Elle se construit avec les parents et non à partir de livrets remplis par des médecins généralistes. »

« Nous sommes tous d’accord, des diagnostics précoces de l’autisme sont nécessaires. Mais au lieu de renforcer ce qui existait, on ajoute une nouvelle couche au millefeuille. Tout ça pour satisfaire les associations de parents d’enfants autistes qui ont fait un lobbying infernal, constate Patrick Belamiche, président de la Fédération des CMPP. Sauf qu’à côté, vont en pâtir tous les invisibles, les plus précaires et défavorisés. » Derrière ces orientations politiques, c’est toute la querelle idéologique autour de la prise en charge de l’autisme qui est ravivée. D’un côté, les tenants d’une approche psychanalytique et, de l’autre, les défenseurs des thérapies comportementales et cognitives. De la circulaire du 22 novembre 2018 à l’arrêté du 10 mars dernier, les textes encadrant les parcours des enfants porteurs de TND imposent de se conformer aux recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de santé. Laquelle avait, dès 2012, désavoué l’approche psychanalytique. « Ces recommandations [qui ne sont pas opposables juridiquement, ndlr] nous sont dé­sormais présentées comme des commandements », dénonce Dominique Pendelliau. Le psychologue n’a pas oublié le « ton méprisant » de l’ARS ni les invectives de l’association Autisme France en juin 2020. « Les CMPP sont ce qui existe de pire en France dans le champ médico-social : sauf rares contre-exemples, leur incompétence est crasse », écrivait la présidente Danièle Langloys, dans une lettre de soutien au nouveau cahier des charges de l’ARS Nouvelle-Aquitaine.

Combat idéologique ? Marie Bakchine en est persuadée, évoquant une chasse aux sorcières : « Il y a une haine de la psychanalyse et de l’approche psycho-thérapeutique de l’autisme. On réduit les individus à leurs neurones, en niant la part inconsciente du sujet. Pourtant, beaucoup d’enfants autistes sont porteurs d’angoisses. Le nier, c’est tomber dans l’obscurantisme. Avec ces réformes, on censure la pensée et, avec elle, la clinique du sujet, de l’inconscient. On a tous à apporter pour aller vers une meilleure connaissance. Et nous voilà enfermés dans la haine et la division, au détriment des enfants dont certains resteront sur le carreau. »

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