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Forteresse

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Il fait chaud.

Il fait chaud et on transpire sous nos blouses. On transpire et on dégouline de sueur et de torpeur. Economie de gestes et de mots. Il fait trop chaud pour bouger, trop chaud pour parler. La chaleur nous écrase et nous plombe.

Dans les chambres, c’est la fournaise. Le bâtiment n’est pas tout jeune et l’isolation, c’est pas trop ça. C’est même… carrément pas ça. Alors on fait comme on peut. Aérer la nuit, calfeutrer le jour. Dès le petit matin, nous transformons les lieux en une forteresse anticanicule. Fenêtres et volets fermés, résidents installés au frais dans la salle à manger climatisée, brumisateurs sur toutes les tables et hydratation à volonté.

En théorie, les consignes sont simples. Nous sommes rodés, le plan « canicule », c’est tous les ans. En pratique, ça se complique. Parce qu’il y a Mme Biche, alitée, en fin de vie, dans sa chambre fournaise. Mme Biche, seule, recroquevillée dans son lit, la tête désespérément tournée vers sa fenêtre. Fenêtre fermée, volet fermé.

Alors on met un ventilateur, ça brasse un peu d’air, de l’air chaud, certes, mais de l’air quand même. On met un peu de musique, pour remplacer les bruits de la vie qui continue derrière la fenêtre fermée, ces bruits du jardin et de la rue qui ne franchissent plus les murs de notre Ehpad-forteresse. On brumise, gouttelettes légères retombant sur son corps fatigué. On fait comme on peut, mais on ne peut pas grand-chose.

Et puis il y a M. Cerf. Il n’est pas en fin de vie, il va même plutôt bien, et aujourd’hui plus que d’habitude car il attend la visite de sa petite-fille. Mais dans le jardin il fait trop chaud, même à l’ombre du vieux tilleul. La salle dédiée aux visites, climatisée, est momentanément transformée en salon détente pour les quelques résidents qui supportent mal la promiscuité imposée par le regroupement dans la grande salle. Il reste la chambre. La chambre suffocante, plongée dans la pénombre. « On pourrait mettre un ventilateur le temps de la visite », suggère la petite-fille. Mais le ventilateur, ça ventile, ça brasse de l’air, cet air vicié, covidé, dont on se méfie à cause du principe d’aérosolisation. « Nous sommes tous les deux vaccinés, nous portons un masque, il y a la distanciation, et ça fait une éternité… », nous implore M. Cerf. Ce sera finalement le jardin et l’ombre du tilleul, pauvre ombre impuissante face aux assauts de la canicule. Le tilleul fait ce qu’il peut. Et nous aussi.

Et puis il y a tous les autres. Ils ont chaud, ils ont soif, mais pas toujours, ils n’ont pas faim, ils sont fatigués. On brumise, on hydrate, on insiste un peu beaucoup lourdement pour les repas. On passe et on repasse, ils se lassent et se prélassent.

Et puis… il y a nous.

Il nous faudrait plus de bras. Le plan « canicule » prévoit des renforts dans les Ehpad… mais la crise est là, la Covid a puisé dans les réserves. Soignants épuisés, renforts annulés.

Alors on fera comme on pourra, vague après vague, canicule après coronavirus, absence après burn-out.

La minute de Flo

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