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Difficultés quotidiennes pour femmes en errance

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A Athis-Mons, en Essonne, un nouveau dispositif d’accompagnement social et de soins autour de la périnatalité de femmes en grande précarité a vu le jour en mars dernier. Maladies, violences sexuelles, traumatismes ou construction de la relation mère-enfant sont autant de difficultés à gérer au quotidien pour cette jeune équipe.

Il est plus de 10 h. Un copieux petit déjeuner vient de prendre fin dans le réfectoire. La salle s’est peu à peu vidée et seules deux résidentes papotent tranquillement tandis que des fillettes jouent gaiement. L’une d’entre elles s’amuse à faire rouler une orange sur le sol. La seconde ne lui prête pas attention, plus occupée à pourchasser à travers la pièce la sage-femme, Cécile Cambournac, en riant aux éclats. L’ambiance est paisible ce jour-là. Niché au bout d’une impasse, un discret bâtiment de 900 mètres carrés trône dans un cadre bucolique, au bord de l’Orge. A l’extérieur, seuls les piaillements de quelques oiseaux viennent briser le silence du lieu. A l’intérieur, l’établissement s’apprête à accueillir une flopée de nouveaux venus. Un « baby boom », après la naissance de huit nouveau-nés en dix jours. Un accouchement de jumeaux doit en outre être déclenché dès le lendemain.

Ici, 23 familles – des femmes enceintes ou avec des enfants, seules ou parfois accompagnées de leur compagnon – ont déjà investi les lieux depuis début mars. Une parenthèse stabilisante pour elles, après des années d’errance et des parcours extrêmement tourmentés, auxquels sont venues s’ajouter de multiples problématiques de santé. Devant son café fumant, la médecin Cécile Clarissou dresse la liste des pathologies rencontrées : diabète gestationnel, VIH, cancer, problèmes cardiaques, troubles psychiatriques, addictions… Sans compter des naissances prématurées. « On a déjà assez de recul pour dire que cela va se dérouler de manière massive, indique, à ses côtés, Haykel Dhahak, directeur d’activités à l’association Aurore, qui pilote le projet. Si ces situations avaient eu lieu en dehors d’un établissement médico-social, quelles auraient été les conséquences dans la rue pour ces nourrissons nés bien avant terme ? » Cécile Clarissou partage un autre constat, accablant : 80 % de ces femmes, pour beaucoup d’origine africaine subsaharienne, ont subi au cours de leur vie des violences sexuelles. « Et encore, on ne sait pas tout », ajoute-t-elle sobrement.

Pudeur et sororité

Le mercredi, c’est le jour des réunions. Au rez-de-chaussée, l’équipe de soin, composée d’une cadre de santé, d’une psychologue, d’une sage-femme, d’infirmières, d’aides-soignantes et d’auxiliaires de puériculture, répertorie les situations et les difficultés du moment. Dans le même temps, au premier étage, l’équipe sociale est, elle aussi, rassemblée pour son point hebdomadaire. A chaque étage se succèdent des chambres équipées de salles de bains, réparties de manière circulaire. A travers l’entrebâillement des portes, les rires de résidentes résonnent, parfois ponctués de pleurs de nourrissons. Passé le seuil de l’une des chambres, Medina échange allègrement avec une femme proche de son terme, ignorant le brouhaha de la télévision. Toutes les deux Congolaises, elles se sont liées d’amitié au sein de l’établissement. Medina est arrivée en mars, après avoir été contrainte de quitter son foyer parisien à la suite de l’arrivée de son nourrisson. Aujourd’hui, sa petite fille de quelques semaines est installée confortablement sur ses genoux.

Une autre résidente, Lydie, circule dans les couloirs, avant de venir s’asseoir dans l’« espace de convivialité ». Sa fille de deux mois est paisiblement allongée dans la poussette, ses grands yeux bruns déjà bien ouverts. La jeune femme a rejoint le centre deux mois auparavant, à la sortie de la maternité. Son « hôtel au mois » n’acceptait pas les enfants. Elle doit en outre suivre un traitement mensuel par injection. « Ici, c’est un passage pour se remettre des émotions, et après ils essaient de nous trouver un logement », précise-t-elle. Lydie élabore actuellement avec les éducateurs son projet de sortie de l’établissement. Son objectif : trouver un appartement pour y accueillir également son fils d’un an et demi, placé en pouponnière, et son mari. « Je passe en jugement au mois de décembre avec son papa. Et si ma situation a changé, je peux le récupérer. » Anxieuse pour la suite, la jeune mère souligne les aspects positifs de son séjour au centre : « Nous sommes bien encadrées, il y a des infirmières, une sage-femme et l’équipe sociale… Cela me permet de bien profiter de ma fille, de son développement. Parfois, on s’assied ici avec les autres femmes, on partage une pastèque. Je leur demande si elles n’ont pas eu trop de contractions. Et elles me demandent si la petite a bien dormi. » Une vraie solidarité est née. « Elles ne communiquent pas les unes avec les autres sur leurs difficultés, leur maladie. Elles restent très pudiques là-dessus. Mais elles se soutiennent », renchérit la psychologue, Sarah Willemot.

Ancien Ehpad, ce bâtiment a laissé place en mars dernier au dispositif Hébergement soins résidentiels (HSR) Périnat Confluence, coconstruit aux côtés de l’agence régionale de santé (ARS) et de la direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement (Drihl). A l’origine, le projet partait du constat que la problématique des femmes en errance enceintes ou venant d’accoucher était croissante en Ile-de-France et un facteur de grands risques de santé aussi bien pour elles que pour leurs enfants. Cécile Clarissou, Haykel Dhahak et Bigué Diao, la directrice de l’établissement, ont conçu le dispositif pour proposer un accompagnement transversal, associant l’équipe de santé et l’équipe sociale. L’établissement comprend une unité lits halte soins santé (LHSS) de 63 places ainsi qu’un centre d’hébergement d’urgence (CHU) pour les situations sanitaires plus stabilisées, où travailleurs sociaux et cadres éducatifs travaillent sur le projet des résidentes. Sont également prévues dix places en appartements de coordination thérapeutique (ACT) et la mise en place d’une équipe mobile chargée d’intervenir dans les squats, les campements ou les hôtels.

Alliance médicale et sociale

Ce projet a pu voir le jour à la suite de la publication en début d’année d’un arrêté autorisant l’association Aurore, à titre expérimental, à accueillir pour la première fois des personnes mineures au sein d’une unité LHSS. Un objectif qui, à terme, pourrait permettre la création d’autres structures similaires en France. Haykel Dhahak insiste sur les bénéfices d’un « regroupement de multiples dispositifs accompagnés par la même équipe ». Selon lui, la fluidité est la clé, pointant les risques de « s’enfermer dans ce qui se fait beaucoup : d’un côté le médical et de l’autre le social. L’idée est de graduer la réponse en fonction des besoins sanitaires. » Face à des situations aujourd’hui difficilement repérées en Ile-de-France, l’expérimentation vise à mieux connaître cette population. Le centre doit encore accueillir près du double de résidents et de salariés. Et les projets foisonnent : ateliers de préparation à la naissance, salle de puériculture, chantiers d’insertion…

Côté social, les professionnels, chargés de la situation administrative, de l’orientation et de l’accompagnement des familles, perçoivent tout l’intérêt de ce suivi polyvalent. « Les orientations sont vraiment fondées sur la réalité sociale et médicale de chaque personne », souligne l’éducateur spécialisé Roland Shomongo. Pour eux, la plus grande difficulté demeure souvent de déjouer les freins institutionnels. Si le projet est régional, les interlocuteurs de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ou des services intégrés de l’accueil et de l’orientation (SIAO) sont quant à eux placés sous la houlette des départements. Ainsi, de multiples partenariats doivent encore être noués, avec des dispositifs plus ou moins accessibles selon les départements. Pour éviter d’emboliser le système, Haykel Dhahak espère qu’Athis-Mons sera prochainement relié à un dispositif de 1 000 places prévu en Ile-de-France pour des femmes SDF. « L’idée est que le CHU devienne un sas de sortie », assure-t-il.

La question des fratries est également suivie de près par l’équipe. Deux enfants ont déjà pu être scolarisés à proximité, un troisième doit l’être prochainement. « Cela permet aussi un ancrage familial », indique Roland Shomongo. Mais d’autres problématiques restent encore à formaliser, le département ne disposant pas, par exemple, d’une structure de relais parental qui permettrait d’assurer la garde des enfants lorsque leur mère est hospitalisée. « Il existe très peu de relais parentaux en Ile-de-France, alors que c’est vraiment un lieu qui pourrait totalement s’adapter à ces situations », déplore Elodie Caro, éducatrice de jeunes enfants. « Nous sommes en train de réfléchir à un système de halte-garderie en interne, précise pour sa part Haykel Dhahak, et de répertorier toutes les assistantes maternelles agréées sur des horaires atypiques. » La sécurité sociale est aussi un autre casse-tête. « Nous avons des personnes qui doivent parfois attendre quatre mois pour avoir un numéro alors qu’elles doivent impérativement bénéficier de soins qui coûtent cher », s’insurge Roland Shomongo.

Mais, pour tous, il s’agit aussi de faire face à la réalité des histoires vécues par ces femmes. Malgré l’ouverture récente du lieu, la jeune équipe a déjà vécu son lot de drames. Tout d’abord, une fausse couche tardive à six mois de grossesse. Ensuite, une intervention sur le site de la brigade des mineurs, dans un contexte où, au sein d’un couple, un père maltraitait son bébé dès la naissance. La mère accueillie, âgée de 21 ans, avait connu 11 IVG et consommait de la cocaïne depuis ses 9 ans. « Autant de violence, qu’est-ce que cela renvoie à une équipe de professionnels ? », souligne Haykel Dhahak. La maternité n’est pas toujours « un heureux événement », indique pour sa part la cadre de santé Coralie Portier. Une réalité à laquelle la psychologue est particulièrement sensibilisée : « Je leur demande toujours comment leur grossesse est vécue. Nous ne pouvons pas l’aborder spontanément de façon joyeuse, quand c’est issu d’un viol, et que la femme hésite entre accoucher sous X et avorter. » Pour Bigué Diao, devoir penser à un signalement, à un placement, accueillir une femme qui vient de perdre son enfant « impactent chacun à son niveau. Notre but est aujourd’hui d’étoffer au mieux notre prise en charge pour que les patientes soient confortables dans ce qu’elles font. »

Face à cette concentration de cas très complexes, l’équipe de direction a décidé d’accélérer la mise en place de séances d’analyse des pratiques. Les équipes sociales et médicales sont conviées, mais aussi les agents de sécurité et d’entretien. Leur présence est d’ailleurs saluée par le psychologue Basile Meylan, qui entame sa première réunion ce jour-là : « Il y a des structures où l’on pense que faire le ménage, l’accueil ou la sécurité ne donne pas droit à réfléchir aux pratiques. Alors qu’en fait vous pouvez être les dépositaires d’une certaine parole. C’est important que vous puissiez participer. » Ce rendez-vous permet, entre autres, de se pencher longuement sur le cas d’une des résidentes. La jeune femme de 25 ans, très isolée, souffre d’un cancer du sein à un stade avancé. Enceinte de 26 semaines, elle a récemment commencé un traitement de chimiothérapie. Autant de questions se bousculent : comment gérer les effets secondaires ? Comment va se dérouler l’accueil de l’enfant dans un tel contexte ?

« L’analyse de la pratique va permettre de prendre du recul et d’objectiver les choses, pour qu’on reste dans des réflexes professionnels et qu’on ne soit pas pris dans des affects », insiste Haykel Dhahak. La sage-femme Cécile Cambournac a, quant à elle, bien conscience de ces difficultés. « Il y a forcément des situations plus marquantes et qui nous affectent personnellement, mais nous sommes obligés de prendre de la distance. Sinon nous serions effondrées. »

Reportage

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