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Vers une harmonisation des pratiques

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Longtemps perçus comme des freins à l’insertion professionnelle en milieu ordinaire, les établissements et services d’aide par le travail entament leur modernisation. Après la concertation de ce printemps entre pouvoirs publics et têtes de réseaux, les responsables de structures partagent des motifs d’espoir. Mais attendent, vigilants, que les arbitrages interministériels confirment les intentions par une mise en application concrète.

Bientôt, les travailleurs d’Esat (aujourd’hui établissements et services d’aide par le travail, demain établissements et services d’accompagnement par le travail) pourraient regagner ces structures après en être sortis pour intégrer une entreprise ordinaire où, finalement, ils ne se seraient pas bien sentis. Et ce, sans repasser par la case MDPH (maison départementale des personnes handicapées), qui doit actuellement réexaminer leur dossier pour les y réorienter. Ils pourraient aussi s’inscrire à Pôle emploi sans pour autant y être contraints, bénéficier de l’obligation faite à leur employeur de mettre à leur disposition une complémentaire santé ou intégrer une « instance mixte » aux côtés des professionnels qui les accompagnent et de la direction, pour statuer sur les conditions de travail ou l’évaluation des risques professionnels. Les établissements, eux, verraient le calcul des aides aux postes annualisé, sur la base d’un pourcentage supérieur à 100 pour tenir compte des allers et retours de personnes, lesquelles seraient par ailleurs, autre changement notable, comptabilisées à titre individuel et non en tant qu’équivalents temps plein. L’adhésion à un Opco (opérateur de compétences) deviendrait obligatoire, pour permettre la montée en qualification des travailleurs d’Esat. Les professionnels, eux, devraient voir leur formation initiale ou continue adaptée aux nouveaux enjeux.

Voilà quelques-unes des propositions phares issues de la concertation lancée en janvier dernier entre les organisations gestionnaires et représentatives et le gouvernement, dont la secrétaire d’Etat Sophie Cluzel avait livré en avant-première les enjeux aux ASH(1). L’évolution de l’offre de services, la sécurisation des parcours et le renforcement des droits des personnes et, enfin, l’accompagnement des professionnels et l’attractivité des métiers figuraient les trois axes de travail soumis à la centaine de participants priée de rendre ses conclusions en à peine plus de trois mois. C’est donc aujourd’hui chose faite. Mais les arbitrages interministériels, eux, s’annoncent au plus tôt – comme prévu – pour le mois de juillet et le prochain conseil interministériel du handicap. Si aucun remaniement gouvernemental n’intervient d’ici là. La quasi-totalité des experts interrogés se montrent satisfaits du résultat, mais tous restent prudents quant à sa mise en œuvre opérationnelle. Et l’on se hasarde à imaginer, sans être démenti par l’intéressé, que laisser fuiter auprès des journalistes le document de travail issu de cette concertation tient de la volonté de peser sur les décisions à venir.

Points d’achoppement

« La montagne n’a pas accouché d’une souris », se félicite Patrick Maincent, président de la commission « emploi » de l’Unapei (handicap mental). « La synthèse est globalement fidèle aux propositions issues des groupes de travail », renchérit Jean-Louis Leduc, directeur général de la Fédération Apajh (Association pour adultes et jeunes handicapés). Nombreux aussi sont ceux qui relèvent que cette concertation, en l’état, traduit une inflexion de la perception des Esat par les pouvoirs publics et leur reconnaît un rôle en matière d’inclusion. De quoi leur dessiner un nouveau visage pour les années à venir, alors qu’au milieu des années 2010 ils se voyaient souvent disqualifiés comme une anomalie française, un vestige du passé, un empêcheur de désinstitutionalisation des personnes handicapées.

Un « beau point de départ », une « feuille de route globale », des « résultats conformes aux demandes portées de longue date par nos associations », etc. Les têtes de réseau abondent en motifs de satisfaction devant ce nouveau profil qui s’esquisse, et se félicitent particulièrement, à l’image de Pierre-Yves Lenen, directeur du développement et de l’offre de services d’APF France handicap, de la souplesse nouvelle qui serait offerte aux établissements et de l’attention particulière aux parcours des personnes.

En dépit de cette approche que tous estiment assez large et porteuse d’espoir, restent des chantiers non abordés et des points d’achoppement. D’abord, la question de l’apprentissage reste non abordée, indique Didier Rambeaux. Le président d’Andicat, association nationale qui revendique un millier d’adhérents parmi les gestionnaires d’Esat (voir encadré page 8), voudrait voir le compte personnel de formation (CPF) ouvert au secteur public. Surtout, nombreux sont ceux qui regrettent de ne pouvoir pratiquer de rémunérations incitatives puisque, lorsque le salaire d’un travailleur augmente, mécaniquement, son AAH (allocation aux adultes handicapés) diminue quasiment d’autant.

Absence de chiffrage

Si les mesures issues de la concertation sont finalement adoptées, elles prévoient l’octroi de primes d’intéressement aux travailleurs handicapés, dès lors que les professionnels salariés en perçoivent. Une avancée que nuance Patrice Mancini, directeur de l’Esat Jean-Pierrat, à Buc (Yvelines), qui pointe que cet octroi était parfois déjà pratiqué. De même que d’autres mesures de la concertation : « Par exemple, moi, je permettais des allers-retours aux personnes accompagnées, et bien après deux années révolues », quitte à jouer avec les règles et les financements. Pour lui, davantage que l’innovation, l’un des avantages de cette concertation tient à ce qu’elle devrait permettre l’harmonisation des pratiques.

Car ils sont nombreux à en convenir, certains établissements ont aussi à balayer devant leur porte ou, au moins, à se moderniser. « Nous devons nous montrer davantage proactifs sur la mise en action de nos travailleurs vers le milieu dit ordinaire, concède Patrice Mancini. Nous devons réfléchir à ce que nous pouvons améliorer afin d’analyser le potentiel de ceux de nos travailleurs qui auront le plus de chances de sortir de nos structures. » Avant d’ajouter : « Encore faudra-t-il qu’ils veuillent nous quitter et que les entreprises acceptent de les embaucher… » Et Benoît Tessaro, directeur de l’Esat APF France handicap de Montpellier, prévient : « Notre politique ne peut se focaliser exclusivement sur les seuls 15 % à 20 % d’usagers qui se dirigeront vers le milieu ordinaire. Les Esat ne doivent pas devenir des entreprises d’insertion, ce n’est pas là leur seule vocation. »

Ce que semblent reconnaître les pouvoirs publics, peut-être inspirés par le rapport de 2019 de l’inspection générale des affaires sociales (Igas), qui a qualifié les Esat de « bouclier social ». Mais pour assurer la mise en œuvre des points de consensus entre les différentes parties prenantes et finaliser les déclinaisons pratiques de plusieurs mesures, des groupes de travail devraient voir le jour cet été. Il conviendrait aussi d’établir un chiffrage de tels engagements, à ce jour inexistant. Or, prévient Jean-Louis Leduc, « ce n’est pas vertigineux, sans doute, mais nous ne pourrons opérer à moyens constants ». En matière de coûts, le poste qui retient l’attention et soulève le plus d’inquiétude recouvre les propositions concrètes qui seront mises au point pour que les professionnels des Esat soient reconnus à leur juste valeur. D’autant que, tous le soulignent, ceux-ci devront faire montre de toujours plus de compétences pour assurer un accompagnement renouvelé des personnes. Et prodiguer le suivi de publics qui changent, les Esat accueillant de plus en plus de personnes porteuses de troubles psychiques, parfois causés par le milieu ordinaire de travail.

Sollicité, le cabinet de Sophie Cluzel a répondu qu’il lui était trop tôt pour s’exprimer. Des annonces se révèlent en effet difficiles avant que soient tranchés les sujets budgétaires – comme certains le seront cet automne, au cours de la préparation du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.

En attendant, quelques mises en garde apparaissent. La plus partagée étant la crainte d’une perte de cohérence si seules certaines mesures s’avèrent retenues. « On continue à insérer des briques du code du travail dans celui de l’action sociale. C’est du bidouillage. D’importantes lacunes demeurent », estime l’un. Tandis qu’un autre, lui aussi dirigeant d’établissement, complète en nous demandant de ne pas l’écrire, ou du moins de ne pas le lui attribuer : « Moi, j’aimerais qu’ils deviennent des salariés à part entière. »

Les Esat en quelques chiffres

Il n’existe pas de décompte unanime du nombre de ce type d’établissements. On l’estime compris entre 1 200 et 1 500, selon les modalités de calcul, fondées sur le nombre d’établissements ou sur celui des numéros Siret (système d’identification du répertoire des établissements). Dans les secteurs du bâtiment, des services administratifs, de la blanchisserie, du conditionnement, de l’environnement, des espaces verts ou encore de l’informatique, de la propreté, de la sous-traitance industrielle et de la restauration, 120 000 personnes handicapées y exercent de nombreux métiers (huit en moyenne par structure). Chaque année, 7 000 nouveaux travailleurs sont accueillis.

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