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Situation économique : des difficultés, mais pas la catastrophe annoncée

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La crise sanitaire a contraint les Esat à inventer de nouvelles activités. Avec le soutien de l’Etat, cette agilité leur a permis d’éviter la catastrophe. Et pourrait, à terme, leur offrir des opportunités de transformation durable.

« Une mauvaise an­née, mais qui au­rait pu être bien pire. » La formule est de Pierre-Yves Lenen, directeur du développement et de l’offre de services au sein d’APF France handicap. Mais elle résume le sentiment général : sur le plan économique, l’année 2020 sera à marquer d’une pierre noire pour les Esat (établissements et services d’aide par le travail), sans pour autant avoir causé à la fin de l’année la cascade de faillites redoutée par les organismes gestionnaires. En novembre dernier, ceux-ci ont alerté à ce sujet le secrétariat d’Etat chargé des personnes handicapées dans une lettre ouverte, après avoir réalisé une enquête « flash » en cinq jours. Plus de la moitié (56 %) des 450 Esat ayant répondu (soit environ un tiers des 1 400 Esat existants) expliquaient manquer de débouchés, et plus d’un tiers (35 %) reconnaissaient être dans l’incapacité d’investir et de développer d’autres activités.

Les organismes gestionnaires s’activent encore pour certains à clore les comptes. Mais les premiers chiffres sont déjà connus. Selon Didier Rambeaux, président d’Andicat, association nationale qui rassemble un millier d’adhérents, en moyenne, la perte de chiffre d’affaires s’établit à 30 %. En miroir, la quatrième édition du Baromètre des achats responsables produit par le réseau Gesat, à paraître fin juin et que nous avons pu consulter, établit que seuls 13,5 % des Esat affichent pour 2020 un chiffre d’affaires stable ou en progression (contre 81,5 % en 2018, soit plus de six fois plus), une chute imputée à la crise sanitaire. Mais tous le soulignent aussitôt : les plongeons même significatifs de chiffre d’affaires ne se traduisent pas mécaniquement en pourcentages équivalents en termes de pertes de résultat.

Bouffée d’oxygène

Première explication : le maintien par l’Etat de la rémunération des travailleurs d’Esat et des dotations de fonctionnement même en cas de fermeture de l’établissement du 12 mars au 10 octobre 2020, que beaucoup qualifient de « bouffée d’oxygène ». Ainsi ETP Synergie, Esat jurassien de 144 places géré par un établissement public autonome, a-t-il reçu 96 000 € à ce titre.

Certaines structures ont également pu maintenir une part de leurs activités, jugées essentielles (blanchisserie, parfois restauration), quitte à mobiliser pour cela leurs professionnels médico-sociaux habitués à de tout autres missions lorsque, en particulier au printemps dernier, les travailleurs d’Esat devaient rester à domicile.

Enfin, des structures se sont mises à fabriquer des masques, des surblouses ou des visières. Nombre d’Esat ont témoigné de leur inventivité et de leur réactivité. A l’image de l’Esat APF France handicap de Montpellier, qui a immédiatement fabriqué des tabliers en bâche pour équiper les professionnels de l’association au temps de la pénurie de blouses, avant de se mettre à produire des visières. Ces dernières ont requis l’achat de deux machines à découpe laser, acquises avec le soutien financier du conseil régional, aujourd’hui utilisées pour la mise au point de protections en plexiglas. « La crise a montré aux sceptiques que nous savons nous adapter, nous montrer efficaces et créer des activités en moins de 24 heures », observe malicieusement Patrice Mancini, directeur de l’Esat Jean-Pierrat, géré par Delos 78. Avec des résultats concrets : son établissement a vu son chiffre d’affaires baisser de seulement 12 % : « Nous avons rattrapé une partie de notre retard à la fin de l’année et, en 2021, nous devrions largement compenser la perte de l’an dernier. »

Pourtant, aucun Esat ne regrettera de tourner la page économique de l’année dernière. D’abord, les manques à gagner s’avèrent importants. APF France handicap prévoit des pertes chiffrées en centaines de milliers d’euros. Ensuite, le fonds de soutien exceptionnel de 10 millions d’euros débloqué par le gouvernement pour les Esat en difficulté portait des critères d’attribution si restrictifs et complexes à atteindre qu’il a été peu sollicité : « L’agence régionale de santé de Bretagne m’a fait part de son étonnement de ne recevoir aucune demande en ce sens, confie Pierre-Yves Le Philippe, trésorier d’Andicat et directeur de deux Esat à Quimper (Finistère). Il aurait convenu que ces aides soient attribuables Esat par Esat, et non par structure administrative. » Enfin, les diminutions d’activité engendrent des conséquences directes pour les personnes accompagnées par ces structures : « Il faut tout reprendre, les formations, les gestes, les postures », raconte Mehdi Nabti, à la tête de deux établissements de l’association La Résidence sociale qui proposent, entre autres, des restaurants et hôtels ouverts au public en Ile-de-France.

Se transformer, une nécessité

Tous les Esat ont rencontré des difficultés mais leur situation économique diffère en fonction de leur secteur d’activité. Les plus durement frappés appartiennent aux mêmes secteurs que ceux impactés par la crise dans le reste du tissu économique : la restauration, la culture et l’événementiel. Mais on y retrouve aussi les établissements trop dépendants d’un seul client, dont ils assurent une sous-traitance industrielle, plus encore s’agissant de l’aéronautique. Autre inégalité : tant la crise que les moyens d’en sortir entretiennent un lien étroit avec l’implantation territoriale des établissements. Selon leur environnement, ils ne disposent pas des mêmes opportunités de développement et n’affrontent pas la même concurrence : « Il convient d’adapter les dynamiques commerciales, et selon que l’on opère en milieu rural ou urbain, par exemple, on ne se voit pas offrir les mêmes possibilités, même en matière d’achats publics », mentionne Daniel Hauger, président du réseau Gesat. Qui craint par ailleurs que des difficultés économiques arrivent à retardement, une fois terminé le versement des aides de l’Etat.

Aussi se joint-il à la voix de beaucoup d’autres pour souligner l’importance du fonds de soutien à l’investissement prévu, afin de conduire les Esat à se transformer, sur le modèle du Fatea (Fonds d’aide à la transformation des entreprises adaptées), mis en place avec succès : « Il faut les faire basculer vers la prestation de services », résume Didier Rambeaux, président d’Andicat. « A la sortie du premier confinement, on a constaté que ceux qui dépendaient le plus de la sous-traitance avaient davantage souffert, confirme Jean-Louis Leduc, directeur général de l’Apajh (Association pour les adultes et jeunes handicapés). Ce qui conduit notre fédération à réfléchir pour faire évoluer nos métiers, à mieux les inscrire en lien avec les activités essentielles de nos territoires. »

L’ancrage territorial, une solution d’avenir gagnante pour tous ? « Prenons l’exemple du conditionnement à façon, invite Benoît Tessaro, directeur de l’Esat APF France handicap de Montpellier. Si les Esat ne le réalisaient pas, les entreprises ne le pratiqueraient pas elles-mêmes. Elles délocaliseraient nombre de leurs productions. Nous contribuons donc à l’attractivité des territoires, ce que l’on ne mesure pas assez. » Bruno Bayart, directeur du dispositif « formation parcours professionnel » à l’Adapei d’Indre-et-Loire, gestionnaire de trois Esat, abonde : « Je travaille en Esat depuis 1987. J’ai le sentiment que le regard des entreprises se modifie. Nous devenons pour elles des partenaires et ne nous voyons plus réduits à des opportunités financières. » Les partenariats offrent une piste de premier choix, mais à condition que toutes les parties prenantes acceptent de se mobiliser. Or, selon Mehdi Nabti, les pouvoirs publics eux-mêmes ne se montrent pas exemplaires en matière de commandes publiques. Quant à Didier Rambeaux, il regrette que les politiques fiscales ne soient pas encore plus incitatives pour les entreprises qui n’atteignent pas leur quota de 6 % d’embauche de personnes handicapées. Mais alors que la dernière réforme en date de l’OETH (obligation d’emploi des travailleurs handicapés) est entrée en vigueur le 1er janvier 2020, cette demande-là a peu de chances de recevoir un écho favorable.

L’Unapei crée sa marque

« Fiers de bien faire. » C’est le slogan de la campagne nationale lancée le 25 mai par l’Unapei, gestionnaire de 600 Esat et 120 entreprises adaptées, des structures qui accompagnent 60 000 personnes, pour promouvoir sa marque Unapei &Entreprises. Mais l’association se défend de se limiter à un coup de communication et explique que l’émergence de cette marque résulte d’un an et demi de travail de la commission « emploi ». « Nous l’avons coconstruite avec les associations de notre réseau, raconte Marie-Aude Torres Maguedano, directrice générale. Nous poursuivons un double objectif : favoriser la coopération et la structuration au sein de notre réseau et donner de la visibilité à notre offre. » A titre d’exemple, elle cite le soutien qui pourrait être ainsi apporté aux structures désireuses de répondre aux appels d’offres de Paris 2024, grâce à cette coopération interne que doit promouvoir la marque. Par rapport à l’extérieur, Unapei &Entreprises offrira un seul interlocuteur identifié, un atout pour travailler avec les grands comptes ou les collectivités territoriales. Enfin, Marie-Aude Torres Maguedano espère que ce nouvel outil favorisera la prospective.

Lien : www.unapeietentreprises.fr

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