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Apparences et confidences

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« Ne faites pas attention au désordre. »

C’est la phrase d’entrée, la phrase qu’ils disent presque tous. Comme un rituel, une entrée en matière, la porte est à peine entrouverte que déjà elle est là, cette phrase pleine d’excuses, ces six petits mots qui en cachent tant d’autres.

Appartement propret, ça sent bon le propre frais et le gâteau tout chaud, photos de famille savamment affichées aux murs et enfants souriants sagement assis sur le canapé, ici on s’aime et on le montre, regardez nos sourires et goûtez notre gâteau dégoulinant de beurre et de sucre et d’amour. Point de désordre ici, tout est tellement parfait, mais la formule fleure bon la politesse, sait-on jamais, mon regard expert pourrait surprendre une miette discrète oubliée sous la table.

Petite maison miteuse. Le jardin est en friche et la porte est graisseuse. Les fenêtres ouvertes et le joli plaid multicolore ne suffisent pas à masquer les relents de litière et le canapé défoncé. Sourire gêné de la maman débordée et regard absent du père épuisé. Ils ont essayé de rendre la maison présentable, ils y ont sans doute passé des heures et des jours, mais tout, malgré eux, les trahit : les portes fermées sur autant de pièces inavouables, le chausson du petit dernier qui dépasse discrètement de sous le fauteuil, les boîtes de rangement premier prix dont la fragile opacité dissimule à peine le bric-à-brac des vies qui s’entassent.

Grand appartement exubérant. Ici, on ne cache même plus le joyeux foutoir. Dessins d’enfants punaisés un peu partout, jouets et livres jonchant chaque espace libre du sol usé d’avoir accueilli tant de courses de voitures et de sautillements légers. Un désordre qui déborde et qui s’étale, le parcours est laborieux de l’entrée à la cuisine, il faut éviter le camion rouge, enjamber une pile de livres, doubler le tas de linge ni propre ni sale mais encore mettable, et après avoir contourné la pelle et le bac à chaussures, on peut enfin accéder à la table cachée sous le trop-plein de tout… mais prenez garde au chat, vous risquez de vous asseoir dessus !

Derrière chaque porte, un nouveau désordre plus ou moins ordonné. Ou le contraire.

Le désordre des uns et l’ordre des autres, comme miroir ou comme symptôme, l’intérieur à l’image de la vie, des vies qui se cachent et se montrent derrière les apparences.

La porte franchie, je suis l’expert de la « poker face ». Mon sourcil ne sourcille pas et ma voix ne tremble pas, statue de marbre face au chaos, les émotions glissent sur moi sans m’effleurer.

Fausse indifférence pour semblant de connivence, surtout ne pas se trahir, ne pas froncer le nez, ne pas cligner des yeux, gestes mesurés et voix posée.

Derrière les portes ce sont leurs vies, celles qu’ils consentent à me montrer, étalées sur les murs ou cachées dans des boîtes. Dans lesquelles je suis plus ou moins invité, plus ou moins autorisé, et pour lesquelles je dois me montrer digne de confiance. Porte après porte, je ne fais que circuler, passer la porte avant de passer le relais, ou le balai, pour que d’autres après moi y recueillent les confidences. Apparences et confidences, le travail social dans toute son essence.

La minute de Flo

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