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Les psys, des magiciens sauveurs ?

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Au lieu de s’attaquer aux problèmes structurels et sociétaux, le remboursement des frais de suivi psychologique représente, selon Camille Hamel, une façon pour l’Etat de se dédouaner de ses responsabilités et une obligation, pour les individus, de verbaliser leur souffrance.

« Si un seul mérite peut être reconnu à cette désormais fameuse “crise sanitaire” planétaire que l’on subit depuis plus d’un an, c’est d’avoir été un révélateur indéniable tant des limites de notre organisation économique mondialisée que des aspirations plus essentielles de l’être humain. Dans le cadre de leur vie professionnelle, beaucoup ont dû éprouver la douloureuse expérience du fragile équilibre de notre système marchand, rapidement grippé lui aussi quand la force de travail, de tout temps peu considérée, vient finalement à faire défaut. Face aux enjeux vitaux pressants, l’Etat a légitimement pris le parti de prioriser la santé de ses concitoyens à la production marchande dans un premier temps. Mais au regard de la catastrophe économique annoncée, il lui a fallu par la suite tenter de composer avec les deux, en dépit de la complexité d’une telle démarche.

“Le travail, c’est la santé. Rien faire, c’est la conserver”, chantait Henri Salvador en 1965. Si cette acception pourrait s’entendre en ces temps de pandémie, encore faut-il élucider de quelle santé on parle. Car si être sur son lieu de travail constitue un risque contaminant non négligeable, en dépit des coûteux efforts réalisés de prévention sanitaire, ne pas s’y rendre et/ou travailler en distanciel a également mis en lumière un autre risque. Ce constat paradoxal révèle cet autre fragile équilibre entre santé physique et santé mentale, dont le traitement souvent trop dichotomique nuit finalement au bien-être humain. En mars 2021, quatre experts de la santé mentale et des relations sociales ont d’ailleurs adressé une tribune au Monde appelant à des états généraux pour la promotion de la santé et du bien-être au travail, et à en faire une grande cause nationale.

La crise générée par la Covid-19 a mis en exergue une augmentation sensible de la prévalence des manifestations anxieuses et dépressives ainsi qu’un accroissement des risques psychosociaux liés à des pertes d’emploi, de revenus, à la crainte de contracter le virus, aux restrictions de mouvement, à l’isolement social ou au télétravail. Les mesures gouvernementales prises pour préserver la santé (fermeture des commerces non essentiels et des universités) ont également renforcé la grande précarité des étudiants et leur isolement.

Alors que, depuis un an, le jeu médiatique consistait à trouver régulièrement de nouvelles victimes, les « fameux » oubliés de cette crise sanitaire, et que le gouvernement proclamait de nouveaux héros à la Nation – élan oratoire astucieux pour tenter de dissimuler le mépris signifié le reste du temps à l’égard de la condition professionnelle des agents de santé –, voilà que ce même gouvernement, devant tant de victimes indirectes et de souffrance perceptible, brandit son nouveau gadget magique pour démontrer toute son empathie et sa prise de responsabilité en ces temps troublés : les psys !

Il n’est nullement question ici de dénigrer les personnes en souffrance ou de prôner un discours anti-psy, mais victimes et psychothérapeutes étant proclamés et utilisés en tout lieu, il s’agirait plutôt de resituer chacun de ces protagonistes dans la respectabilité qui lui est due.

Injonction à verbaliser

Si, face au trauma et à la détresse psychique, la recherche d’une solution introspective est à même de permettre le deuil de ce qui a eu lieu, un suivi thérapeutique demeure avant tout un processus personnel. Il ne se réalise donc pas sans réflexion au regard des implications nombreuses que cela suggère et qui appartiennent au patient et à son thérapeute.

Or, confronté à la souffrance de ses concitoyens, l’Etat s’érige en prescripteur de soins, répondant à certains problèmes sociétaux de manière individuelle plutôt que collective, comme cela lui incombe. Au lieu d’agir sur des axes qui relèvent davantage de ses compétences étatiques et de son pouvoir d’action, il invite chaque individu à régler ses symptômes, dans une sorte d’injonction à verbaliser.

En créant des “chèques de soutien psychologique” pour les étudiants (trois consultations de 45 minutes sans avance de frais, renouvelables une fois et facturées unitairement à 32 €) ou encore un “forfait 100 % psy enfants” (limité à dix séances), le gouvernement renvoie finalement chacun à des options personnelles aléatoires, se dédouanant d’une réelle prise de responsabilité qui gagnerait à s’inscrire dans un temps qui se doit de dépasser le simple mandat présidentiel.

Perte du collectif

Cette solution individuelle semble entrée dans une systématisation dérangeante. Sorte de carte “joker” visant à répondre immédiatement à l’émotionnel et à donner l’impression d’agir, le psy est intronisé par les politiques en magicien sauveur, en technicien de l’esprit que l’on peut solliciter aussitôt, au même titre qu’un réparateur lambda. Le psychothérapeute paraît ainsi réduit, lui aussi, à un simple prestataire de service dont on fantasme l’efficacité. Ne pas s’en sortir devient culpabilisant puisque le gouvernement aura prétendûment joué son rôle. Chacun se retrouve responsable de son propre bonheur. Cela témoigne de cette perte du collectif dans la société au profit d’un individualisme aliénant.

Bien que de tels dispositifs de remboursement de séances de psychothérapie puissent être accueillis positivement sur le principe, ils posent cependant moult questions et ont amené à une journée de mobilisation des psychologues le 10 juin dernier.

Il est aujourd’hui évident que la mise à mal de l’hôpital public par la suppression de lits et de personnel, la tarification à l’acte et d’autres mesures austères, dans une logique d’économies substantielles, a fortement contribué au fiasco sanitaire. Le soin ne s’improvise pas. Comme tout secteur de métiers, il nécessite des formations et des compétences spécifiques indispensables et doit se doter des moyens humains et budgétaires nécessaires pour être réellement viable. En cela, il ne peut être l’apanage des gestionnaires, les décisions ne pouvant faire l’économie de concertations avec les “derniers de cordée”, acteurs de premières lignes cependant.

Pourtant, avec le secteur de la santé psychique, semble se rejouer inlassablement la même gamme : celle de l’illusion et des considérations pécuniaires.

D’une part, le montant fixé bien en deçà de ce qui se pratique, sans discussions avec les professionnels, pourtant aptes à en juger, eu égard à leurs qualifications et à leur statut libéral, démontre une nouvelle fois le mépris récurrent de ce gouvernement.

D’autre part, c’est aussi nier ou, tout du moins, méconnaître le fonctionnement de ce type de démarche. Que faire de l’alliance thérapeutique entre le patient et le psychothérapeute ainsi que de la question du transfert, pierre angulaire de toute cure analytique, une fois que les séances ne seront plus remboursées et que le sujet ne sera peut-être plus en mesure de poursuivre financièrement cette entreprise de soins, certes probablement bénéfique mais souvent bien plus longue que ces quelques séances prescrites ? Tout doit être réglé en trois, six ou dix séances, dépossédant ainsi le psychothérapeute de sa responsabilité à penser le suivi dans l’intérêt de son patient. Et que dire de cette obligation réglementaire contraignant le sujet à devoir exhiber sa souffrance auprès d’autres médecins pour obtenir l’aide accordée ou sa poursuite… Les conditions attenantes pour bénéficier de ces soins sont d’une lourdeur administrative conséquente, nécessitant dans le parcours coordonné le concours du médecin généraliste et du psychiatre. Leur pénurie renvoie déjà aux calendes grecques de nombreuses démarches de soins, et ces impératifs balisés sauront décourager les plus volontaires.

Ces mesures ressemblent finalement à s’y méprendre à une sorte d’artifice déresponsabilisant, permettant notamment d’éluder les problèmes posés par notre modèle économique. Cette psychologisation à outrance des affects tend, de plus, à envoyer un message erroné : celui que nos émotions ne seraient pas adaptées et qu’elles doivent être corrigées. “Va te soigner et reviens dans la course à la production !” La souffrance humaine n’échappe pas à une logique de marché, malgré l’altruisme et l’éthique dont les soignants voudraient faire preuve. La personne en souffrance reste avant tout une main-d’œuvre et un consommateur. »

Contact : camille.hamel@gmail.com

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