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“Le confinement a modifié le sens du mot protection”

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Selon une étude récemment publiée, le confinement a eu un impact positif sur la santé mentale des enfants en famille d’accueil. Un résultat inattendu qui devrait, selon le psychologue, conduire la protection de l’enfance à réévaluer certaines situations.
Comment avez-vous procédé pour votre enquête sur la santé mentale des jeunes placés pendant le premier confinement ?

L’impulsion vient du service de la protection de l’enfance de Savoie. Lors du premier confinement, les directives nationales sont arrivées très tardivement. Les départements ont donc dû s’auto-organiser dans un premier temps, avec cette inquiétude quant à l’évolution des enfants placés, et particulièrement ceux en familles d’accueil. Mais, très vite, les informations remontant du terrain ont été encourageantes. D’où l’objet de cette recherche sur la perception par les assistants familiaux de la prise en charge au quotidien des jeunes qui leur ont été confiés(1). Au total, les professionnels de sept départements ont répondu pour 622 jeunes, dont 47 % avaient entre 11 et 20 ans, 44 % étaient suivis par un psychologue ou un pédo­psy­chiatre, 14 % prenaient un médicament en lien avec leurs difficultés psychologiques et 36 % bénéficiaient de plusieurs suivis spécialisés (psychomotricité, orthophonie) Durant le confinement, les soins psychiques ont été interrompus chez plus de la moitié des jeunes. Malgré tout, leur comportement s’est transformé positivement dans 37 % des cas, négativement dans 17 % et est resté stable dans 40 %. Les bouleversements sont survenus chez ceux qui ont manifesté les troubles psychologiques les plus sévères.

Quels sont les effets positifs les plus marquants de cette période ?

Les enfants qui ont manifesté une évolution positive ont montré davantage d’apaisement, plus d’autonomie, une amélioration de leurs capacités scolaires, davantage d’attachement aux assistants familiaux et/ou à d’autres personnes du domicile ainsi qu’une meilleure communication, un plus grand sentiment de sécurité, plus d’engouement pour jouer et un meilleur sommeil. Ces effets concernent surtout les enfants de 6 à 10 ans qui ont profité de la présence de plusieurs adultes au domicile durant cette période. Plusieurs facteurs explicatifs sont en cause, mais il a été complexe de déterminer à quel facteur attribuer quel effet. Tout s’est interrompu en même temps : l’école, les week-ends chez les parents, les visites médiatisées, les activités, les accompagnements médicaux ou paramédicaux… Les changements sont imputables à chacun de ces éléments mais, pour les assistants familiaux, le déterminant principal relève du temps qu’ils ont pu passer avec les jeunes. De par leur profession, ils n’avaient pas à composer comme d’autres familles avec une activité de télétravail. Le fait d’être moins dispersés, de ne plus devoir emmener l’enfant à divers rendez-vous durant la semaine, par exemple, leur a permis d’être plus disponibles.

De quelle façon se sont traduites les conséquences délétères ?

Elles se sont exprimées sous forme de colère, d’opposition, de violence, de repli sur soi, d’attitudes régressives, de troubles anxiodépressifs, de difficultés dans les apprentissages scolaires, de consommation excessive d’écrans et de jeux vidéo, etc. Ces effets culminent jusqu’à la dernière semaine de vie confinée.

L’arrêt de l’école et des visites chez les parents a-t-il pesé ?

Les résultats sont très contrastés. Par exemple, l’école à la maison, sans la présence du groupe d’élèves, a été bénéfique pour une partie des enfants mais a été largement préjudiciable pour les autres. Parallèlement, les assistants familiaux relient les changements positifs à la suspension des droits de visite et d’hébergement dans les familles. On retrouve cette donnée dans 33 % des cas, ce qui est considérable. Il est vrai que certains enfants sont très anxieux de retrouver leurs parents, même sous la forme de visites médiatisées. A l’inverse, chez 25 %, ces privations familiales ont été une source de détresse. Il n’y a pas de réponse univoque. Qui dit source d’angoisse, dit source d’ajustement du côté de la protection de l’enfance. Si un enfant voit ses parents, c’est que le juge leur a reconnu ce droit. Pour autant, est-ce que le droit des parents répond aux besoins de l’enfant ? Comment pondérer les deux ? La question que pose cette étude est essentielle. Une même réponse pour tous est, à n’en pas douter, une mauvaise réponse. Les situations sont toujours à évaluer au cas par cas. Il manque un niveau d’appréciation dans l’application de certains droits et de leur utilité dans le bon développement de l’enfant. L’intérêt supérieur de l’enfant doit primer, pas seulement dans les discours.

Y a-t-il d’autres enseignements à tirer de votre étude ?

On constate que, malgré les ruptures de soins sur les plans psychothérapeutique et pédopsychiatrique, le confinement a eu un impact favorable dès la deuxième semaine du confinement chez de nombreux enfants placés, et principalement chez ceux antérieurement suivis. On repère là un paradigme psychosocial, à savoir qu’une partie de la santé mentale dépend de facteurs environnementaux. Ce qui a changé, au fond, c’est toute l’organisation de la vie de ces enfants. Durant le confinement, le terme de « protection » a pris une nouvelle signification en imposant d’autres priorités. C’est un sujet majeur dans une société où l’on tend à « psychologiser » – donc à rabattre sur l’individu – des souffrances psychosociales d’origines communautaires et contextuelles. Il n’existe pas de recette, mais cette étude démontre paradoxalement les incroyables leviers d’intervention que nous ignorons en temps ordinaire. La qualité relationnelle est une des pistes. La prise en charge de ces enfants est certainement à repenser. Dans notre enquête, le temps à leur consacrer est le premier facteur de mieux-être des enfants confiés.

Vos résultats se recoupent-ils avec d’autres recherches ?

D’autres études, plus générales, constatent que le premier confinement a eu des effets positifs sur les enfants. Notre recherche est cependant inédite sur le plan de la santé mentale. Elle montre que, contrairement à la tendance actuelle qui est de faire porter sur la personne la responsabilité de sa situation, il est possible de l’améliorer en modifiant certains paramètres de son environnement. Cela pourrait reposer à l’avenir sur l’évaluation en réseau des besoins propres à chaque enfant (sécurité, stabilité, attachement, etc.), mais aussi sur l’observation directe et structurée des professionnels de première ligne afin d’identifier les aménagements du réel favorables au mieux-être de ces enfants.

Docteur

en psychologie clinique et pathologie au Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, à Lausanne, Sydney Gaultier a dirigé l’étude « L’impact en santé mentale du premier confinement lié à la Covid-19 sur les enfants confiés aux services de la protection de l’enfance auprès d’assistants familiaux », publiée ce mois sur le site de l’ONPE (à télécharger sur bit.ly/3ixOAn1).

Notes

(1) Réunissant plusieurs départements, l’université Savoie-Mont Blanc et une unité de l’Inserm.

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