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TISF : discrètes généralistes du travail social

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Peu connu, encore moins reconnu, le métier de technicien de l’intervention sociale et familiale (TISF) traverse une crise des vocations depuis plusieurs années. Pourtant, ces professionnelles(1) incarnent aujourd’hui les orientations stratégiques du gouvernement en matière de soutien à la parentalité et de protection de l’enfance.

Avis aux candidats : l’association ornaise de l’ADMR, qui réunit l’ensemble des TISF de la fédération départementale (19 au total), recrute. « L’an dernier, on a connu deux départs en retraite, trois cette année et on ne trouve plus de TISF diplômées, déplore Jean-Jacques Ménard, responsable du pôle « clients ». Le service est en surcharge et doit refuser des missions. » Pour pallier les manques, l’association a appelé en renfort des faisant fonction : des conseillers en économie sociale et familiale (CESF), des moniteurs éducateurs ou encore des aides médico-psychologiques (AMP) expérimentés. Cette situation n’a rien d’une exception : selon une étude d’Askoria(2), réalisée en 2018, 85 % des services d’aide à domicile déclaraient connaître des difficultés de recrutement. En cause : une pyramide des âges défavorable – 60 % des TISF avaient plus de 45 ans en 2018 – et des conditions de travail difficiles. « Elles interviennent tôt ou tard le matin, avec beaucoup d’heures de pause et de trajet », souligne Sarah Ferrandi, chargée de projets « enfance et parentalité » à l’ADMR.

Métier historiquement lié au domicile, la fonction de TISF joue un rôle d’accompagnement social et de soutien à la parentalité auprès des familles. Dans le champ du domicile, les professionnelles sont un peu plus de 6 000 salariées, soit seulement 3 % de la branche. Et elles sont encore moins nombreuses en établissement. La plupart interviennent dans le cadre de services d’aide et d’accompagnement à domicile (Saad) dédiés aux familles, eux-mêmes mandatés par les départements, dans le cadre de la protection de l’enfance et de la protection maternelle infantile, et des caisses d’allocations familiales (CAF). Peu visibles et pourtant dotées de bien des atouts : « Elles accompagnent dans la durée et peuvent déceler des problématiques difficiles à identifier pour les autres professionnels, résume Gauvain Tuzet, chargé de mission « famille et petite enfance » à l’UNA (Union nationale de l’aide, des soins et des services à domicile). Comme des généralistes du travail social : elles sont capables de gagner la confiance des familles et d’alerter ou d’orienter vers des partenaires si la situation l’impose. »

Le secrétaire d’Etat chargé de l’enfance et des familles, Adrien Taquet, ne cesse de le répéter : « TISF est un métier d’avenir. » Les professionnelles constituent, selon lui, deux axes forts de sa politique. « Leur action participe d’une stratégie de prévention, avec une intervention dans le milieu familial dès que des facteurs de vulnérabilité ont été identifiés, indiquait-il dans une interview donnée au magazine de l’ADMR, Le Lien, en novembre dernier. Elles incarnent aussi l’approche de la santé globale, que nous devons déployer auprès des enfants dès le plus jeune âge. » Une déclaration qui met en lumière les défis que l’on propose à ces professionnelles de relever.

Au cœur des « 1 000 jours »

Il s’agit d’abord de mieux investir les dispositifs de prévention précoce et de périnatalité. Dans la lignée des préconisations du rapport des « 1 000 jours », remis en septembre dernier, le gouvernement entend mettre en place un parcours d’accompagnement avant et après la naissance. « Les TISF doivent pouvoir l’investir pleinement, en intervenant en complément des professionnels de santé dès l’entretien périnatal précoce, explique Gauvain Tuzet. On doit nouer des partenariats solides pour mieux répondre aux besoins des familles. » Point clé de ce parcours : la prévention de la dépression post-partum. Celle-ci constitue la première cause de décès – par suicide – chez les femmes après la naissance et elle impacte le développement de l’enfant. « Mieux la prendre en charge est un enjeu de santé publique : investir davantage lors de la période périnatale permettrait à terme de réaliser des économies, défend Jean-Laurent Clochard, responsable du pôle « familles » de la FNAAFP/CSF, fédération de l’aide familiale populaire. Il évalue à 100 000 le nombre de femmes concernées, le double si on tient compte de celles souffrant de phases d’anxiété. « Or, à ce jour, on intervient dans ce cadre auprès de 10 000 familles. »

Les dispositifs, néanmoins, existent. Ainsi, les CAF financent un service d’aide et d’accompagnement à domicile (AAD) : les familles qui en font la demande après la naissance peuvent bénéficier de 20 heures de TISF. Une participation de 0,26 € à 12 € leur est demandée selon leur quotient familial. De la même manière que le Prado, service de retour à domicile après hospitalisation, prévoit l’intervention de sages-femmes après la naissance, l’AAD prend en charge partiellement celle des TISF. Pour promouvoir le dispositif, les conseillers de l’assurance maladie, depuis une convention passée en 2016, étaient chargés d’informer les familles. Mais les espérances ne se sont jamais concrétisées. D’abord, en raison du reste à charge ; ensuite, du manque d’information, les partenaires chargés de la relayer connaissant, eux-mêmes, mal le métier, parfois considéré à tort comme celui d’une aide-ménagère ; enfin, du fait de l’appréhension des familles, peu enclines à introduire un travailleur social chez elles. Résultat : 10 % de l’enveloppe financière n’est pas dépensée chaque année.

Pour corriger ces effets, la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) a publié en mars une circulaire. Elle simplifie les conditions d’accès à son dispositif afin de le rendre « plus lisible et attractif pour les familles, et de développer des partenariats locaux pour [favoriser] une meilleure connaissance de ces offres ». Le texte modifie deux points principaux : le handicap d’un enfant devient un motif d’intervention et le dispositif est étendu à l’accompagnement au répit, avec un temps d’absence du domicile lors de l’intervention fixé à 25 % et 50 % pour les familles assumant un enfant handicapé. La Cnaf prévoit aussi de déployer une campagne de communication. Mais deux mois après cet assouplissement, « les associations notent déjà une plus forte demande », constate Sarah Ferrandi.

Pour une prestation universelle

La FNAAFP/CSF veut aller plus loin. Depuis plusieurs années, elle milite pour faire de l’AAD une prestation familiale légale, soit 20 heures d’intervention gratuite pour tous. Seul moyen, selon elle, de sortir le dispositif de l’ornière. Et d’adresser le message que la TISF n’a pas vocation à surveiller mais à accompagner une étape de la vie (voir encadré page 10). « Notre objectif est de mettre en œuvre cette prestation universelle dans le courant de la convention d’objectifs et de gestion [COG] 2023-2027 entre la Cnaf et l’Etat », détaille Jean-Laurent Clochard.

Conscientes des opportunités, les quatre fédérations du domicile ont engagé un plaidoyer pour relancer le dispositif des CAF et mieux intégrer les TISF dans le parcours des 1 000 jours. Elles souhaitent la création d’un groupe de travail avec tous les acteurs de la périnatalité : secrétariat d’Etat, assurance maladie, Cnaf, Santé Publique France…, et militent pour que les TISF puissent endosser le rôle de référent de parcours. « Elles ont une vision très globale des situations familiales. Elles peuvent être l’interlocutrice d’équipes pluridisciplinaires pour accompagner les mères », relève Sarah Ferrandi.

Il s’agit ensuite de mieux investir la protection de l’enfance. Les interventions à domicile représentent près de la moitié des mesures du secteur. Cependant, elles concentrent entre 7 % et 10 % des 8 milliards de dépenses de l’action sociale des départements au titre de la protection de l’enfance, comme l’expliquait, fin 2019, la « démarche de consensus » réalisée par l’inspection générale des affaires sociales (Igas).

Le rapport témoignait d’un recours aux techniciennes de l’intervention sociale et familiale très inégal selon les départements. Il recommandait ainsi de revoir l’investissement – à la fois stratégique, technique et financier – dans les interventions à domicile « pour réduire le décalage entre la priorité donnée au maintien de l’enfant dans son milieu familial et la réalité des réponses mobilisées ». De quoi ouvrir des perspectives. D’autant que certains établissements et services de la protection de l’enfance ont déjà parfaitement compris la plus-value de ces professionnelles, capables de gagner la confiance des familles et qui interviennent de plus en plus dans le cadre des visites médiatisées. « C’est positif mais on est aussi victimes de notre succès, nuance Jean-Laurent Clochard. Les établissements de protection de l’enfance sont tellement intéressés par les TISF qu’ils les emploient directement au lieu de mener un travail partenarial. »

Revoir la tarification

Soigner l’attractivité du métier, enfin, s’avère particulièrement nécessaire. « Malgré leur expertise et leur formation, les TISF sont parfois assimilées à des femmes de ménage, par ceux qui les accueillent mais aussi par les professionnels », constate Sarah Ferrandi. Calqué sur le régime de l’aide à domicile, le métier de TISF est le seul parmi les travailleurs sociaux à être soumis à une tarification à l’heure. Un mode de financement que la démarche de consensus de l’Igas pointait du doigt en 2019. Il « offre souvent peu de marges pour de la coordination avec les services d’action éducatives et la participation aux réunions de synthèse, alors même que les TISF ont souvent une présence auprès des familles conséquente, riche d’enseignement sur les situations ». Des départements comme l’Ille-et-Vilaine ont évolué vers une tarification forfaitaire. Un enjeu lourd de sens. « Sortir de ce financement archaïque signifierait que nous sommes considérés comme des structures embauchant des travailleurs sociaux avec un accompagnement global et une mission évaluable, peu importe le nombre d’heures », défend Jean-Laurent Clochard.

Une attractivité qui passe aussi par les revalorisations salariales. Une première avancée a été obtenue avec la signature de l’avenant 43 à la convention collective de l’aide à domicile. La refonte de la grille conventionnelle, qui entre en vigueur au 1er octobre, entraînera la revalorisation de 13 % à 15 % des salaires des personnels des Saad. Restera à le faire savoir. « On rédige une plaquette d’information de quatre pages, sur les problématiques de recrutement, qui sera diffusée auprès des prescripteurs : les travailleurs sociaux, les départements, les structures du handicap et futures professionnelles, explique Jean-Laurent Clochard. Si on communique bien, on a un coup à jouer. »

Prévention : les Bouches-du-Rhône précurseurs

Proposer 20 heures d’intervention de TISF, sans reste à charge, dès la sortie de maternité : l’idée est soutenue par la FNAAFP/CSF. Dans les Bouches-du-Rhône, elle est une réalité depuis 2006, déjà. A l’époque, l’AMFD 13 (Aide aux mères et aux familles à domicile) constate que les TISF interviennent lorsqu’il est déjà trop tard. Elle présente un projet au conseil départemental qui choisit de financer, de manière volontariste, 20 heures d’intervention. « L’idée du dispositif est de considérer la fragilité des mères, liée notamment au manque de sommeil, comme étant universelle, au-delà de toute problématique sociale », explique Christine Faure, directrice générale de l’association. 20 heures, c’est le temps jugé optimal pour permettre à la famille de retrouver une organisation de vie et repérer les besoins essentiels de la mère. La TISF, seule travailleuse sociale formée en puériculture, est chargée de l’accompagner pour qu’elle prenne soin de son bébé. « Elle établit l’intervention à partir du domicile, en utilisant tous les relais partenariaux nécessaires, précise Christine Faure. Il s’agit d’être là au bon moment et au bon endroit : plus on agit précocement, plus on évite des situations qui relèveront ensuite de l’aide sociale à l’enfance. » Toute la subtilité réside dans la présentation du dispositif, qui incombe aux puéricultrices de la protection maternelle et infantile (PMI). « Aucune femme ne peut entendre qu’elle ne peut pas s’occuper de son bébé. On soigne donc la communication pour expliquer la fatigue qu’engendre l’arrivée d’un enfant. » Aujourd’hui, l’équipe de 110 TISF accompagne 1 500 familles par an.

Notes

(1) Occupé à 98 % par des femmes, nous avons choisi de décliner le métier au féminin.

(2) « Recrutement et formation des TISF » – Askoria, 2019.

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