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Le quotidien comme support au travail d’accompagnement

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Acteurs majeurs de la prévention précoce et du soutien à la parentalité à domicile, les TISF bénéficient de l’attention croissante des pouvoirs publics. Mais si leur pédagogie du « faire avec » est aujourd’hui mieux reconnue, il n’en a pas toujours été ainsi.

Plus de vingt ans se sont écoulés depuis la création de leur statut de travailleur social. Et pourtant les techniciennes de l’intervention sociale et familiale (TISF) pâtissent toujours d’une étiquette d’« aide-ménagère », héritée des anciennes fonctions qu’elles occupaient durant le siècle dernier. « Avant que notre titre professionnel de TISF ne remplace celui de travailleuse familiale en 1999, les femmes étaient recrutées pour faire office de secondes mamans dans les familles nombreuses. A l’époque, il s’agissait pour elles d’effectuer les tâches ménagères, de changer les couches du bébé… Quitte à y passer des journées entières. Résultat : lorsque la réforme est passée et qu’il a fallu opérer un virage aussi radical, certaines personnes ont eu plus de mal à l’intégrer que d’autres », retrace Céline Augusto, l’une des premières à avoir bénéficié de la formation réformée en 2000. Depuis, la TISF mulhousienne a roulé sa bosse et gagné pas à pas ses galons de travailleur social à part entière. Malgré cela, « il nous arrive encore de batailler pour notre légitimité », insiste cette salariée de l’association A Dom’Aide68. « A la marge, certaines personnes confondent un peu nos missions avec celles d’une auxiliaire de vie sociale ou d’une aide à domicile », abonde Sara Richard, TISF à l’ADMR 73 depuis fin 2020. Passer l’aspirateur, préparer un repas, repriser un vêtement… autant d’actes du quotidien que les TISF sont amenées à faire à la place de la famille, si et seulement si cela présente un intérêt pédagogique pour la famille. « L’idée, c’est de ne pas oublier que le quotidien nous sert de support pour entrer en relation avec la famille. Certaines TISF vivent mal le fait d’être assimilées à des femmes de ménage ou à des baby-sitters. Pour ma part, c’est comme cela que je parviens à me faire une place dans l’intimité des gens », justifie Anne Zatar, TISF à l’AAFP/CSF à Mérignac (Gironde).

Pas de baguette magique

Tenace, cette image d’entre-deux n’est pas étrangère au caractère singulier des missions qui incombent aux TISF au sein du domicile. Spécialiste du soutien de la fonction parentale, leur rôle à la fois préventif et éducatif conduit ces professionnelles à intervenir aussi bien dans le cadre des missions de la Caisse nationale des allocations familiales que des services de protection maternelle et infantile et de protection de l’enfance des conseils départementaux. Une double casquette dont certaines TISF aimerait s’affranchir pour se recentrer uniquement sur des missions « aide sociale à l’enfance », perçues comme plus intéressantes que celles de la caisse d’allocations familiales, mais qui, pour d’autres comme Francis Delaune, représente au contraire une alternance bienvenue. « Je le vois comme un équilibre dans ma pratique, sur une semaine type, environ la moitié de nos interventions relèvent d’une mesure de protection et de prévention, avec des situations qui sont parfois très lourdes à porter, tandis que, en périnatalité par exemple, on peut simplement proposer une aide matérielle pour permettre à une mère de souffler. Si on ne faisait que ça, ce serait lassant, mais la variété des missions nous permet de respirer un peu », explique cet ex-technicien de l’intervention sociale et familiale, désormais à la tête d’une équipe de neuf TISF et quatre auxiliaires de vie sociale à l’Afad de Gironde (Aide familiale à domicile). Si cette variété se manifeste de façon plus ou moins prononcée selon les territoires, tous doivent faire face à une hausse des demandes d’accompagnement de familles qui cumulent les difficultés éducatives, sociales, financières, psychiques… « Nous sommes quelquefois la dernière alternative avant le placement des enfants. Ça coince tellement partout dans le social que, pour compenser le manque de places, on fait appel à nous faute de mieux. Sauf que lorsqu’un placement a déjà été prononcé, il est souvent trop tard pour que nous intervenions. Nous n’avons pas de baguette magique. »

A défaut de miracle, ces professionnelles déploient un investissement à toute épreuve pour entrer dans l’intimité des personnes. Il s’agit de parvenir à instaurer une relation de confiance sans les brusquer. « Pas question d’arriver avec nos gros sabots pour tout changer. C’est un véritable travail de dentelle, d’écoute et de bienveillance pour que la famille accepte de se laisser guider. Mais pour cela, il faut pouvoir rester suffisamment longtemps au domicile, alors que la tendance est plutôt à la réduction du temps de nos interventions », déplore Anne Zatar qui pointe ici l’un des principaux sujets d’accroche des débats actuels sur la profession. Grandes perdantes de la montée en compétences des TISF, les durées d’intervention se sont, au fil des années, réduites à mesure que le nombre de familles à accompagner augmentait. Ainsi, une TISF à plein temps peut actuellement suivre jusqu’à 12 ou 13 familles contre trois ou quatre pour les ex-travailleuses familiales. De quoi inquiéter les acteurs de terrain. « Aujourd’hui, la plupart des interventions durent entre une et deux heures contre quatre heures auparavant. Elles sont plus tardives aussi, blâme Francis Delaune, qui entrevoit déjà les difficultés d’organisation au sein de son service. Sur certaines missions en périnatalité, cela peut suffire, mais pas pour les cas les plus complexes. Il est important que l’on puisse moduler afin de rester mobilisable lorsque les situations l’exigent. » Davantage de modularité, c’est aussi ce à quoi Sara Richard aspire. « Au début de ma carrière en 2003, je passais des journées entières au sein des familles. Une proximité directe avec elles qu’aucun autre professionnel ne peut se targuer d’avoir. Nous sommes les témoins d’un quotidien qu’elles ne vont pas forcément dévoiler lors de rendez-vous ponctuels avec d’autres intervenants sociaux. C’est pourquoi notre regard est précieux. »

Un pied dedans, un pied dehors

Qui pourrait en douter ? Certainement pas les psychomotriciens, orthophonistes, psychologues, éducateurs spécialisés, juges, assistantes sociales qui, pour la plupart, ont pris récemment la mesure de l’intérêt d’avoir une TISF à leurs côtés. Des actions collectives, telles que la mise en place de carnets de correspondance au domicile ou la participation à des réunions d’équipe pluridisciplinaire, voient progressivement le jour. Mais encore faut-il qu’elles gagnent l’ensemble des instances représentatives ! « Il est clair que notre voix compte de plus en plus au niveau de l’équipe pluridisciplinaire, notamment à travers les nombreux écrits que nous réalisons en vue de les partager avec d’autres professionnels, se réjouit Céline Augusto. Avant de nuancer : « En revanche, lorsqu’il s’agit de nous renvoyer l’ascenseur, nous ne sommes pas toujours tenues au courant de tout. Certaines informations nous seraient pourtant utiles avant d’intervenir, comme celle de savoir si telle ou telle personne représente un danger parce qu’elle est violente ou souffre de troubles psychiques envahissants. » Au bout du chemin, cependant, une lueur d’espoir, avec notamment l’agrément que le gouvernement s’apprête à donner à l’avenant 43 de la convention collective de la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile dont dépendent les TISF, et qui entraînera une revalorisation salariale historique pour la profession. Pour ces professionnelles, le passage de l’ombre à la lumière est amorcé.

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