Concevoir un « serious game » pour comprendre la surdité et les attitudes à adopter face aux personnes souffrant de déficience auditive. Tel est le pari que se sont lancé les professionnels du centre Auguste-Jacoutôt, un institut d’éducation sensorielle pour déficients auditifs basé à Strasbourg. Baptisé « Entendons-nous bien ! » et accessible à tous, le jeu offre une immersion dans la vie de Luca, étudiant atteint de surdité. « Nous recevons de nombreuses demandes de la part d’associations, de l’Education nationale ou d’entreprises. Nous disposions déjà de supports vidéos mais il nous manquait un outil performant et moderne », explique Evelyne Orion, cheffe de service au Sessad (service d’éducation spéciale et de soins à domicile) du centre qui assure la prise en charge de 135 enfants.
Ludique, la vidéo permet d’appréhender le quotidien du jeune homme en cours, en entreprise et dans la sphère privée avec des amis. Au départ, le point de vue est extérieur. Mais, au fur et à mesure, des arrêts sur image interviennent. Ils permettent au joueur de répondre à des questions auxquelles seules les bonnes réponses donnent droit à la reprise de la lecture. Les scènes sont ensuite proposées à nouveau avec, cette fois, le point de vue de Luca accompagné d’explications. Ces interactions sont l’occasion d’appréhender concrètement les freins que rencontrent les personnes au quotidien pour se faire comprendre et surtout de désamorcer les préjugés. « Les a priori sont nombreux en matière de surdité. Par exemple, parler plus fort ne permet pas d’être mieux entendu », indique Etienne Haegel, directeur adjoint du pôle sensoriel de l’association Adèle de Glaubitz dont dépend le centre Auguste-Jacoutôt.
Autres idées reçues corrigées par le jeu : la langue des signes française (LSF), langue à part entière, n’est pas connue de tous et la maîtriser ne permet pas forcément d’échanger de manière fluide. « La première chose est de convenir du mode de communication que la personne souhaite utiliser. Pour assurer l’accompagnement, les travailleurs sociaux doivent mesurer les enjeux autour de la surdité », précise le directeur. Ainsi, reformuler les choses plusieurs fois permet de s’assurer de la compréhension de l’usager. Si le support papier est un outil efficace, l’appréhension des informations par la lecture reste complexe. « Dans la construction de l’enfant et de la personne adulte, le langage a une importance prédominante. Une langue écrite se fonde sur de l’oral. En cas de lacunes dans ce domaine, il est plus difficile de construire sa pensée et de développer sa perception du monde », explique Evelyne Orion. L’écriture est aussi plus complexe pour les personnes sourdes, y compris celles qui pratiquent la langue des signes française car celle-ci repose sur le visuel et non sur une structure syntaxique.
En quelques minutes, la vidéo permet d’attirer l’attention des usagers, de l’entourage et des travailleurs sociaux sur les erreurs à ne pas commettre. Des maladresses générées, la plupart du temps, par le manque d’information sur la surdité. La réaction du joueur est immédiate quant aux comportements à adopter face à ce handicap invisible.