297 voix pour, 52 contre, zéro abstention et un seul rejet formel venu de la formation d’extrême droite Vox, au nom de la « défense des valeurs familiales » (sic) : le 20 mai dernier, les députés espagnols ont massivement adopté la loi organique censée protéger les enfants et les adolescents de la violence, quatre ans après que le Parlement a exhorté l’exécutif à légiférer d’urgence. Voilà l’Espagne enfin dotée de sa première norme complète dans ce domaine. Laquelle fait du pays l’une des figures de proue, sur le plan législatif, de la protection des mineurs à l’échelle internationale.
Si le caractère souvent invisible de la violence contre les enfants rend difficile un recensement exhaustif, les chiffres officiels du ministère de l’Intérieur espagnol, qui a dénombré plus de 40 000 crimes commis contre des mineurs pour la seule année 2019, donnent une idée de l’ampleur du phénomène. Afin d’y remédier, l’arsenal fraîchement adopté entrera en vigueur vingt jours après sa publication au Bulletin officiel de l’Etat.
Parmi les mesures fortes figure le prolongement de la prescription pour les abus sexuels contre les enfants et les adolescents : jusqu’alors lancé dès les 18 ans de la victime présumée, le délai de signalement (de cinq à quinze ans, selon les cas) commencera désormais lorsque celle-ci aura 35 ans. Autrement dit, la prescription n’interviendra pas avant l’âge de 40 ans minimum, et jusqu’à 50 ans pour les actes les plus graves.
De plus, au-delà d’exiger la mise en place de protocoles spécifiques dans les écoles, les établissements sportifs ou de loisirs et les centres pour mineurs, la loi renforce également le droit des enfants à être entendus ainsi que la formation des professionnels chargés d’entendre et d’accompagner leur parole. Elle donne mandat au gouvernement d’approuver dans un délai d’un an un projet de création de tribunaux et de procureurs spécialisés dans la violence contre les enfants. L’arsenal accroît aussi la protection des mineurs isolés étrangers qui arrivent en Espagne, interdisant par exemple la nudité imposée dans les tests médicaux.
Ces dispositifs ont galvanisé l’opposition du parti Vox. « La tâche de nourrir et d’éduquer les enfants appartient aux parents. Et maintenant “ils” veulent éliminer le lien biologique entre parents et enfants pour détruire la plus belle des institutions qu’est la famille », a par exemple lâché la députée Teresa López, avant d’insister sur ces lois « atroces ». Un adjectif pareillement employé pour désigner la récente « invasion » de l’enclave de Ceuta par le Maroc, accusé par le gouvernement espagnol d’avoir sciemment laissé passer plus de 1 000 mineurs isolés dans ce petit morceau d’Espagne et d’Union européenne sur le continent africain.
« Cette loi marquera un avant et un après dans la protection des enfants et adolescents dans notre pays », s’est au contraire réjouie la ministre des Droits sociaux, Ione Belarra, qui salue « la promotion d’un changement culturel qui implique un rejet unanime et sans équivoque par tous les citoyens de toute forme de violence » contre les enfants. Mais un autre combat s’engage, fondamental : celui sur les budgets alloués à la mise en œuvre et au respect de la nouvelle loi. Un rapport financier envisage une enveloppe d’environ 70 millions d’euros, et les associations qui luttent pour les droits des enfants, tout en saluant la victoire obtenue au Parlement, n’entendent pas relâcher la pression.
« Le travail commence maintenant », promet Cristina Sanjuán, de l’ONG Save The Children España, tandis que Ricardo Ibarra, directeur de la Plateforme pour les enfants, ajoute dans les colonnes du quotidien El País que les travailleurs sociaux seront « vigilants pour que les engagements soient tenus ».