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Poubelle, la vie

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Dix-sept ans de mariage. Dix-sept ans de lui, de nous. Dix-sept ans de silence et de violence, de peur et de fureur. Et maintenant… plus rien.

Je suis partie, vite, deux enfants et trois sacs, très vite, quelques papiers et un peu d’argent, trop vite. Je suis partie me mettre à l’abri, loin de lui, de ses cris et de ses poings, loin de tout(1). Je suis partie sauver ma vie et consoler mes enfants, je suis partie nous réparer. Et quand je suis revenue, il n’était plus là. Disparu, envolé, volatilisé.

Disparue aussi, la télé écran plat ultra-moderne ultra-chère. Envolées les économies des comptes épargne des enfants. Volatilisées la jolie porcelaine et l’argenterie du mariage. Et dans toutes les pièces de la maison désertée, meubles renversés et papiers éparpillés… Ultime vengeance du connard ultime. Il a pris le beau et le cher, il a laissé le reste. « Tu feras le tri », m’a-t-il dit. Alors je trie. Je trie ce qui est à jeter, à donner et à garder. Je trie les reliques de notre vie.

Ses vêtements trop grands, trop petits, trop vieux, ses chaussettes trouées et ses rasoirs émoussés : je jette.

Ses photos de la vie d’avant, beau bébé joufflu, enfant charmant, ado rieur et jeune homme séduisant : je dépose chez sa mère.

Ses bibelots de bric et de broc, tout ce fric pour tout ce toc : je jette.

Son matériel de tout et de rien, passion foot, passion picole, passion de tout ce qui ne sert qu’à lui : je donne.

Les cadeaux maladroits de fête des Pères, les dessins enfantins « pour papa que jaime bocou », les photos de la vie que je voulais jolie… je garde. Un jour peut-être, quand ça fera moins mal, je pourrai les regarder sans trembler ni pleurer.

Jeter, donner, garder… et tout recommencer.

Nous étions quatre et nous sommes trois. Flobert est parti mais notre vie est encore pleine de lui. Pleine de ses dettes et de ses reproches, pleine du passé à oublier et du futur à inventer. Mais aussi, pleine du présent apaisé et des sourires retrouvés.

Je redécouvre le silence. Pas le silence lourd et apeuré des longues journées confinées, « taisez-vous les enfants, papa travaille, moins de bruit les petits, papa regarde la télé ». Non, juste le silence serein d’un foyer qui s’éveille après des années de tumulte, ce doux silence de la maison vide, la maison qui respire enfin son absence.

Je redécouvre le bruit. Le bruit joyeux de nos rires, le bruit fantasque des chansons à tue-tête, le bruit merveilleux d’une famille qui revit et qui rit.

Je redécouvre la vie. La vie sans lui, celle que je croyais impossible, parce que trop compliquée, trop endettée, trop esseulée. Cette vie que j’avais oubliée, cachée sous le tapis moisi de la honte, après la survie derrière la porte fermée, c’est la vie qui revient par la fenêtre ouverte.

Il y aura des obstacles à surmonter, des dettes à rembourser et des amis à retrouver. Il y aura des reproches sans doute, des menaces peut-être. Il y aura la fureur de l’un et les pleurs des autres.

Mais, non, je n’ai plus peur.

Notes

(1) Voir la Minute de Flo « Touchée mais pas coulée », dans les ASH n° 3162 du 29-05-20, p. 19.

La minute de Flo

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