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“Les jeunes de l’ASE les plus en difficulté sont les moins aidés”

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21 400 jeunes majeurs sont accompagnés à leur sortie de la protection de l’enfance. Une responsabilité inégalement assumée par les départements et un dispositif qui favorise ceux dont la transition vers l’âge adulte est facilitée par la continuité de l’accueil.
Comment avez-vous procédé pour votre étude sur les jeunes qui sortent de l’ASE ?

A une équipe de trois chercheuses et d’une chercheuse praticienne ont été associés 14 jeunes de 18 à 30 ans ayant été placés. Ces chercheurs pairs ont participé à toutes les étapes de l’enquête, de sa conception à son analyse. Formés pendant quatre jours, ils ont conduit des récits de parcours avec 36 jeunes de 16 à 26 ans, issus des dispositifs de la protection de l’enfance en Ile-de-France et dans les Hauts-de-France et toujours en lien avec celle-ci. Ce ne sont donc pas les plus désocialisés. Cette démarche s’inscrit dans un contexte de critique des institutions de l’aide sociale à l’enfance [ASE], interrogées sur leur capacité à prendre en compte les besoins et les droits des enfants et des adolescents confiés. La collaboration des pairs a donné plus de crédibilité à la parole des jeunes qui peinent encore à se faire entendre. Elle a aussi renforcé la validité des données car les questions ont été construites avec eux. Et permis d’avoir accès à des informations – orientation sexuelle, discriminations, rapports entre enfants placés… – qui n’émergent pas forcément lorsque l’on mène une enquête classique.

Pourquoi avoir titré votre livre « Enfant de personne » ?

C’est l’expression utilisée par une jeune enquêtée. Elle ne signifie pas être né de personne mais n’être porté par personne. Plusieurs référents interviennent dans l’environnement des enfants placés, qui connaissent des contextes de socialisation hétérogènes mais, finalement, ils ne sont la préoccupation de personne. Au sens où ils ne peuvent construire des liens durables, ni s’inscrire dans une lignée de transmission. Leurs parcours sont jonchés de mobilités mettant en scène des places et des liens redéfinis au gré de leurs multiples déplacements. Cela implique la perte de leurs attaches avec leur environnement, leurs parents, parfois leurs frères et sœurs, leurs camarades… Et ils disposent de peu de moyens pour conserver des photos, des objets, pour garder un contact téléphonique libre. Ces changements peuvent engendrer de nouvelles affiliations, enracinées ou symboliques, ou les confronter à un déni d’existence. Or, alors que dans la population générale l’âge médian au départ des jeunes de chez leurs parents se situe autour de 23 ans, le passage à l’âge adulte à la sortie de placement s’est accéléré. A 16, 18, 20 ou 21 ans, les jeunes confiés doivent affronter toutes les transitions à la fois, vers la formation, l’emploi, le logement… Et ce avec une famille qui constitue souvent davantage une charge qu’un support.

Qu’est-ce qui caractérise leur transition vers l’âge adulte ?

Nous avons distingué trois groupes. Le premier est le parcours aux liens noués. Pour ces jeunes-là, les lieux de placement s’assimilent à des lieux-repères où ils ont pu nouer des liens solides auprès d’accueillants et d’autres enfants placés. Souvent désidentifiés de leurs parents de naissance. Ceux-là conservent des relations avec leurs frères et sœurs. Entrés très tôt dans le dispositif, ils ont connu des placements longs, entre 10 et 18 ans. D’autres, arrivés tardivement à l’ASE, après l’âge de 14 ans, ont un parcours parsemé de liens détachés, radicalement différents des premiers. Ayant traversé des ruptures, des pertes, des violences multiples, des pays en conflit, ils ont le sentiment en arrivant en protection de l’enfance qu’il ne peut pas y avoir pire et ne désirent plus s’attacher. Mais au fil du temps, ils retissent de petits fils à distance, pas forcément avec leur éducateur mais avec la référente du foyer ou la psychologue. Les jeunes, ballotés d’une famille d’accueil à une autre, d’un foyer à un autre, se définissent quant à eux par des parcours aux liens suspendus. Leur trajectoire relève d’une succession d’allers et retours, mais leur famille de naissance reste leur réalité première. Leur transition à l’âge adulte met à jour une tension entre être accompagnés et être oubliés. Entre être dignes de la confiance que les équipes éducatives ont placée en eux et se sentir enfin libérés des contraintes du collectif.

Y a-t-il un groupe qui s’en sort mieux ?

Les jeunes aux liens noués sont ceux qui s’en sortent le mieux. Ils ont été exposés moins longtemps aux problèmes familiaux et sont plus diplômés. La stabilité de leur parcours est d’ailleurs vécue comme un facteur de réussite scolaire. Ils se projettent dans l’avenir et savent à qui s’adresser en cas de difficultés. L’engagement des assistants familiaux ou des éducateurs leur procure le sentiment de pouvoir compter sur quelqu’un et surtout de compter pour au moins une autre personne. La continuité du placement, que ce soit en famille d’accueil ou en foyer, apparaît déterminante dans les processus de sortie de l’ASE. De même, plus les jeunes sont accompagnés longtemps et plus ils sont indépendants de leur famille de naissance, plus leur insertion est aisée. Les jeunes ont des liens d’attachement multiples mais ils s’avèrent parfois contradictoires. L’enjeu est de les réagencer et d’établir des ponts. Les relations entre pairs peuvent être structurantes : à leur sortie, certains s’installent en colocation, par exemple. Ou représenter une menace : un jeune accueilli depuis longtemps dans une famille peut considérer tout nouvel arrivant comme un rival qui va lui prendre sa place.

La politique de sortie de l’ASE doit-elle être repensée ?

La sortie de placement représente toujours une épreuve. C’est un temps à haut risque qui expose les jeunes adultes à beaucoup de fragilités que les pouvoirs publics gagneraient à mieux accompagner. Une meilleure articulation entre les droits communs et les droits spécifiques est nécessaire. Actuellement, tout est axé sur l’insertion professionnelle et l’indépendance matérielle, alors que les problématiques sociales et familiales ne sont pas réfléchies. Les temps de transition doivent être pensés et le contrat jeune majeur allongé, jusqu’à 25 ou 30 ans si nécessaire, et harmonisé en raison des inégalités territoriales élevées. Les jeunes passent d’une protection contrainte pendant leur minorité à un dispositif minimal, flexible et temporaire à leur majorité. Sous la pression d’une rationalisation gestionnaire, les aides ont davantage tendance à s’adresser aux jeunes adultes les plus à même de construire un projet qu’à ceux les plus en difficulté. Paradoxalement, on leur demande d’avoir une autonomie plus grande et plus précoce, quand ils ne sont pas brutalement renvoyés chez eux.

Maître de conférences

en sciences de l’éducation à l’université Paris-Est Créteil, chercheuse au Centre Marc-Bloch et au Lirtes, Pierrine Robin est l’auteure de L’enfant de personne. A l’épreuve du placement et de sa sortie (Ed. Champ social, 2020).

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