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Les majeurs protégés

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Certaines personnes, quoique majeures, ne peuvent pas, ou plus, exercer leurs droits, principalement du fait d’une altération de leurs facultés mentales ou corporelles. Une mesure de protection juridique peut alors être mise en place. Présentation des différents mécanismes.

Par principe, les personnes majeures disposent d’une pleine capacité juridique. Toutefois quand les facultés personnelles des personnes majeures sont altérée, il existe plusieurs régimes en vue de les protéger (code civil [C. civ.], art. 425). Ces mesures légales peuvent notamment être sollicitées par les membres de la famille ou par des professionnels.

Les régimes de protection sont des régimes exceptionnels qui ne peuvent être mis en place qu’« en cas de nécessité » (C. civ., art. 428). Ils permettent d’accompagner les personnes majeures qui souffrent d’une altération médicalement constatée de leurs facultés mentales ou de leurs facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de leurs volontés (C. civ., art. 425). En pratique, on constate que ces régimes de protection sont souvent mis en place pour accompagner les personnes âgées ou les personnes en situation de handicap dont les facultés mentales sont altérées.

Selon le rapport du Sénat pour le projet de loi de finances pour 2020, le nombre de majeurs protégés en France s’élèverait à environ 730 000 personnes (près de 350 000 au début des années 1990)(1).

Le présent dossier reviendra sur les modalités de mise en place et sur les effets des différents régimes de protection traditionnels.

I. Les régimes de protection traditionnels

Le législateur a mis en place plusieurs mécanismes de protection en fonction de la gravité de l’état de santé de la personne à protéger. On recense ainsi trois niveaux de protection parmi les régimes de protection traditionnels : la sauvegarde de justice, la curatelle et la tutelle.

A. La sauvegarde de justice : un mécanisme de surveillance

La sauvegarde de justice est une mesure qui ne remet pas nécessairement en cause la capacité juridique du majeur mais qui lui confère une protection s’il conclut par exemple des actes contraires à son intérêt. Elle s’adresse généralement aux personnes qui ont besoin d’une protection juridique de façon temporaire ou pour l’accomplissement de certains actes spécifiques (C. civ., art. 433).

B. La curatelle : un mécanisme d’assistance

La curatelle accompagne les personnes qui ont besoin d’être assistées ou contrôlées de façon continue dans les actes importants de leur vie (C. civ., art. 440). Les personnes sous curatelle conservent donc la capacité d’agir mais elles doivent le faire en présence d’une tierce personne.

A noter : La curatelle n’est prononcée qu’à condition qu’une sauvegarde de justice ne soit pas suffisante.

C. La tutelle : un mécanisme de représentation

La tutelle est le mécanisme de protection le plus complet. Il concerne les personnes dont l’altération des facultés est grave et qui doivent être représentées de manière continue dans les actes de leur vie civile. Dans le cadre de ce régime, le tuteur agit au nom et pour le compte de la personne protégée.

A titre d’illustration, une tutelle peut être prononcée pour accompagner une personne âgée atteinte de la maladie d’Alzheimer dans la mesure où l’altération de ses facultés mentales est grave et durable.

II. Les modalités de mise en place des régimes de protection

A. L’ouverture d’une mesure de protection

L’ouverture d’une mesure de protection est prononcée par le juge des contentieux de la protection. Le juge compétent est celui dans le ressort duquel se situe la résidence de la personne majeure à protéger.

La demande peut être adressée au juge par la personne majeure dont les facultés sont altérées mais également par (C. civ., art. 430) :

• la personne qui vit en couple avec la personne à protéger ;

• un parent ou un allié ;

• une personne entretenant avec la personne à protéger des liens étroits et stables ;

• une personne qui exerce une mesure de protection ;

• le procureur de la République d’office ou à la demande d’un tiers.

B. Les spécificités de la sauvegarde de justice

Le législateur a prévu deux types de sauvegarde de justice :

• la sauvegarde de justice par déclaration médicale (C. civ., art. 434 ; code de la santé publique [CSP], art. L. 3211-6). Cette mesure fait suite à une déclaration au procureur de la République par le médecin de la personne accompagnée de l’avis conforme de son psychiatre ou par le médecin de l’établissement de santé où se trouve la personne ;

• la sauvegarde de justice sur décision du juge des contentieux de la protection (C. civ., art. 433). Cette mesure peut être demandée par une des personnes précédemment évoquées. La demande doit contenir une copie intégrale de l’acte de naissance de la personne à protéger ainsi qu’une copie de sa carte d’identité. Elle doit également comporter un certificat médical, un formulaire de demande Cerfa et une copie de la pièce d’identité du demandeur pour attester du bien-fondé de sa demande.

Après réception de la demande, le majeur à protéger peut être convoqué et auditionné par le juge afin de lui permettre de s’exprimer sur sa situation. Néanmoins, compte tenu du certificat adressé par le médecin, le juge peut décider de ne pas l’auditionner.

Le juge a la possibilité de désigner un ou plusieurs mandataires spéciaux en vue de la gestion du patrimoine du majeur protégé (C. civ., art. 437). A titre d’illustration, un mandataire peut être nommé pour réaliser la vente d’une maison. Le mandataire est en pratique un proche ou à défaut un professionnel.

Le procureur de la République ou le juge des contentieux de la protection mentionne la mesure de protection sur un répertoire spécial en vue d’informer les tiers qui pourraient contracter avec la personne protégée. Ils ajoutent également une mention en cas de renouvellement ou de cessation de la mesure (code de procédure civile [CPC], art. 1251).

La mesure de sauvegarde ne peut excéder la durée de 1 an renouvelable une fois (C. civ., art. 439). Elle peut être prononcée par le juge qui vient d’être saisi d’une demande de tutelle ou de curatelle dans l’attente de sa décision (C. civ., art. 433).

Elle peut prendre fin dans plusieurs hypothèses (C. civ., art. 439) :

• soit par l’ouverture d’une mesure de curatelle ou de tutelle ;

• soit par la levée de la mesure par le juge des contentieux de la protection ;

• soit par déclaration faite au procureur de la République ;

• soit par radiation de la déclaration médicale sur décision du procureur de la République ;

• soit à l’expiration du délai prévu ;

• soit après accomplissement des actes pour lesquels la mesure avait été ordonnée.

C. Les spécificités de la curatelle et de la tutelle

La demande de curatelle ou de tutelle contient les mêmes éléments que la demande de sauvegarde de justice sur décision du juge des contentieux de la protection. La personne à protéger peut également être auditionnée par le juge si son état de santé le permet.

La durée de la tutelle et la curatelle est fixée par le juge et ne peut excéder 5 ans. Toutefois, la mesure de tutelle peut être fixée pour une durée supérieure n’excédant pas 10 ans lorsque l’altération du majeur n’est pas susceptible de connaître d’amélioration (C. civ., art. 441).

Le placement sous curatelle ou sous tutelle est porté à la connaissance des tiers par l’inscription de la mesure en marge de l’acte de naissance du majeur protégé mais également par mention dans un répertoire civil présent au sein du tribunal judiciaire du lieu de naissance de la personne protégée (CPC, art. 1233).

III. Les effets liés à la mise en place d’un régime de protection

A. La sauvegarde de justice

1. Situation de la personne placée sous sauvegarde de justice

La personne placée sous sauvegarde de justice conserve l’exercice de ses droits. Elle peut donc accomplir seule des actes juridiques et n’a pas à être représentée ou assistée par un tiers.

En revanche, la personne placée sous sauvegarde de justice ne peut pas accomplir les actes pour lesquels le juge a désigné un mandataire spécial. A défaut, les actes seront considérés comme nuls (C. civ., art. 435). Ces actes doivent alors être réalisés par le mandataire spécialement désigné par le juge qui est tenu de rendre compte de l’exécution de son mandat à la personne protégée et au juge (C. civ., art. 437).

De surcroît, le placement sous sauvegarde de justice empêche de présenter toute demande en divorce par consentement mutuel (C. civ., art. 249-4).

2. Sort des actes réalisés par la personne placée sous sauvegarde de justice

En premier lieu, il convient de rappeler que, par principe, toute personne qui conclut un acte sous l’empire d’un trouble mental, qu’elle soit placée sous une mesure de protection ou non, peut en obtenir l’annulation à condition de prouver l’existence du trouble mental au moment de l’acte (C. civ., art. 414-1). On précisera que le placement sous sauvegarde de justice ne constitue pas une preuve du trouble mais permet toutefois de la faciliter.

Si le majeur protégé ne parvient pas à démontrer l’existence d’un trouble au moment de l’acte, il peut recourir à d’autres mécanismes légaux pour remettre en cause l’acte passé. En effet, les actes passés par la personne protégée pendant la durée de la sauvegarde de justice peuvent également être rescindés pour simple lésion ou réduits en cas d’excès (C. civ., art. 435). Dans ces cas, le majeur protégé n’a pas à prouver l’existence d’un trouble mental au moment de la conclusion de l’acte mais doit simplement démontrer une lésion ou un excès. Les juges prennent notamment en compte l’utilité ou l’inutilité de l’opération, l’importance ou la consistance du patrimoine de la personne protégée et la bonne ou mauvaise foi de ceux avec qui elle a contracté.

Ces actions peuvent être intentées uniquement par la personne protégée ou, après sa mort, par ses héritiers dans un délai de 5 ans (C. civ., art. 435 et 2224).

B. La curatelle

1. Désignation du curateur

Au moment du placement sous curatelle du majeur protégé, le juge désigne un curateur. Le législateur a établi une liste de priorités en vue de guider le juge dans la désignation (C. civ., art. 449). Par principe, la priorité est donnée à la personne désignée par le majeur protégé. Si aucune personne n’a été désignée, le juge nomme le conjoint, le partenaire d’un pacte civil de solidarité (Pacs) ou le concubin. A défaut, la personne désignée est un parent, un allié ou une personne résidant avec le majeur protégé ou entretenant des liens étroits et stables. Afin de désigner le curateur, le juge prend notamment en compte les sentiments de la personne protégée, ses relations habituelles ainsi que l’intérêt porté à son égard et les recommandations de ses parents et alliés.

A noter : Cet ordre de priorité est également utilisé pour la tutelle.

2. Rôle du curateur

Le curateur a pour mission d’assister le majeur protégé et de le contrôler d’une manière continue dans les actes importants de sa vie civile (C. civ., art. 440). En revanche, le majeur protégé continue d’accomplir seul les actes de gestion courante.

Dans ces conditions, une personne placée sous curatelle peut souscrire seule une assurance ou décider seule de changer d’emploi ou de lieu de résidence mais ne peut consentir à un prêt immobilier ou vendre un bien immobilier sans l’assistance de son curateur.

De même, elle devra obtenir son accord pour se marier (C. civ., art. 460) et son assistance pendant la procédure de divorce (C. civ., art. 249).

3. Sort des actes réalisés par le majeur protégé avant et après le prononcé de la mesure de protection

• Actes réalisés antérieurement à la publicité du jugement d’ouverture de la mesure (C. civ., art. 464).

Généralement, la constatation de l’altération des facultés mentales n’apparaît pas de façon brutale. Face à ce constat, le législateur a créé une « période suspecte » de 2 ans avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection.

Au cours de cette période antérieure à la mesure de protection, les actes accomplis par la personne protégée peuvent être annulés à condition de démontrer que l’altération des facultés était notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés.

• Actes réalisés postérieurement à la publicité du jugement d’ouverture de la mesure (C. civ., art. 465).

Lorsque la personne protégée accomplit seule des actes pour lesquels elle aurait dû être assistée, ces derniers peuvent être annulés à condition de prouver que la personne protégée a subi un préjudice.

En revanche, si le majeur protégé a réalisé seul un acte juridique pour lequel il aurait dû être représenté, l’acte est nul de plein droit sans condition.

En outre, les actes accomplis seuls par le curateur ou le tuteur alors qu’ils devaient être réalisés par le majeur seul ou avec son assistance sont nuls de plein droit sans avoir à démontrer l’existence d’un préjudice. Tel est également le cas des actes qui ne pouvaient être réalisés sans l’autorisation du juge ou du conseil de famille.

Ces différentes actions en nullité peuvent être engagées par le curateur ou le tuteur, par la personne protégée ou les ayants droit en cas de décès de la personne placée sous protection. Elles se prescrivent par 5 ans (C. civ., art. 2224).

A noter : Ces dispositions s’appliquent également aux majeurs sous tutelle.

C. La tutelle

1. Différents acteurs de la tutelle

La tutelle est dite « complète » lorsqu’elle se compose de quatre organes distincts :

• le juge des contentieux de la protection ;

• le conseil de famille ;

• le subrogé tuteur ;

• le tuteur.

A noter : Le conseil de famille et le subrogé tuteur ne sont pas obligatoires. Ils peuvent intervenir en cas de difficulté ou de conflit d’intérêts entre le tuteur et le majeur protégé.

Le tuteur est désigné par le conseil de famille ou, à défaut, par le juge. Néanmoins, lorsque le juge ne parvient pas à trouver dans l’entourage du majeur protégé une personne susceptible d’occuper la fonction de tuteur, il désigne un mandataire judiciaire à la protection des majeurs. La tutelle est dite « vacante » lorsqu’il n’existe ni conseil de famille, ni subrogé tuteur.

2. Rôle du tuteur

Le tuteur assure la protection de la personne protégée et gère son patrimoine. Il la représente dans tous les actes de sa vie, comme dans le cadre de la procédure de divorce (C. civ., art. 249).

Le mariage comme le Pacs de la personne placée sous tutelle doivent être soumis à l’autorisation du conseil de famille ou à défaut du juge des contentieux de la protection. En outre, les futurs époux sont auditionnés et les parents ainsi que l’entourage peuvent également être sollicités pour avis (C. civ., art. 460).

Dans le cadre de la gestion de biens, le tuteur a le pouvoir d’accomplir seul les actes conservatoires et d’administration nécessaires à la gestion du patrimoine de la personne protégée. Il peut agir seul en justice en vue de faire valoir les droits patrimoniaux de la personne protégée (C. civ., art. 504).

Dates clés sur les majeurs protégés

Les premiers régimes de protection apparaissent en France en 1968 avec les lois « Carbonnier ». Ces régimes seront ensuite révisés par la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs. Cette loi avait pour ambition d’inclure les majeurs dont les facultés sont altérées dans la société. En ce sens, elle a remplacé les termes d’« incapable majeur » par ceux de « personne protégée ».

Les différents types d’actes juridiques

Les actes conservatoires sont les actes juridiques dont la finalité est de sauvegarder un droit ou d’éviter la perte d’un bien. On peut prendre l’exemple de la souscription d’une assurance pour un appartement, du renouvellement d’une inscription hypothécaire ou encore de la réparation d’un bâtiment.

Les actes d’administration sont ceux qui ont pour objectif de faire fructifier un patrimoine. Tel est le cas notamment de la mise en location d’un appartement.

Les actes de disposition sont les actes qui viennent modifier de façon permanente le patrimoine de l’individu, par exemple la vente d’un appartement.

Le consentement des personnes sous curatelle ou sous tutelle en Ehpad

Par principe, les actes dont la nature implique un consentement strictement personnel ne peuvent donner lieu à assistance ou représentation de la personne protégée. Tel est le cas pour la déclaration de naissance d’un enfant, sa reconnaissance ou encore les actes de l’autorité parentale relatifs à la personne d’un enfant (C. civ., art. 458).

De surcroît, la personne placée sous curatelle ou sous tutelle peut prendre seule les décisions relatives à sa personne si son état le permet (C. civ., art. 459). Elle choisit par exemple le lieu de sa résidence (C. civ., art. 459-2).

En conséquence, dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), le majeur protégé doit donner son consentement si son état de santé le permet. A défaut, le consentement devra être donné par le curateur ou le tuteur.

Néanmoins, comme le rappellent un rapport de la défenseure des droits relatif aux droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad, publié le 4 mai 2021, et l’article 12 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées du 13 décembre 2006, il convient de privilégier le système de la prise de décision assistée à celui de la prise de décision substitutive à la volonté de la personne.

Notes

(1) Voir Rap. Sén. n° 212, session ordinaire 2006-2007, sur le projet portant réforme de la protection juridique des majeurs, « Exposé général ».

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