Syndrome d’Asperger. Deux mots devenus presque banals tant ils sont entrés dans le langage courant. Mais en les prononçant, on cite, sans le savoir, le nom d’un psychiatre autrichien ayant contribué au tri des enfants différents. Sous le Troisième Reich, Hans Asperger dirigeait le département de pédagogie curative à l’hôpital pédiatrique de Vienne. Mère d’un enfant autiste, l’historienne américaine Edith Sheffer s’est penchée sur son entreprise. Elle décrit une réalité glaçante qui consiste à classer les jeunes selon qu’ils sont récupérables ou non. Car si le médecin encourage le potentiel et la personnalité de ceux qu’il estime capables de trouver une place dans la société, il délaisse les plus gravement handicapés, ceux dont les nazis ne veulent pas, signant ainsi leur arrêt de mort. Pour ceux qu’il juge aptes à s’exprimer et à suivre une scolarité normale, il invente le diagnostic de « psychopathologie autistique ». D’où l’image bienveillante du fameux médecin, que l’historienne revisite avec effroi sur la base de nombreuses archives. Pour la Société de pédagogie curative – qui rassemble parmi ses fondateurs quelques criminels allemands –, il n’est question à l’égard des enfants les plus vulnérables que de « malheureuses créatures », de « vie indigne d’être vécue », d’« enfants inéducables », de « sensiblerie », etc. Des petites victimes, objets de multiples expériences, que Hans Asperger, qui examine plus de 200 enfants par jour, expédie au centre d’euthanasie de la clinique viennoise Spiegelgrund. Le syndrome d’Asperger a aujourd’hui disparu des classifications internationales, « non point du fait de considérations historiques, écrit dans sa préface Josef Shovanec, philosophe et militant pour la dignité des personnes autistes, mais afin de mettre un terme à la désastreuse croyance en l’existence de sous-types hermétiquement délimités l’un par rapport à l’autre au sein de l’autisme ». Pourtant, le nom d’Asperger est de plus en plus utilisé. Et l’autisme de plus en plus catégorisé, au risque d’oublier les dangers que recèlent les étiquettes.
« Les enfants d’Asperger. Le dossier noir des origines de l’autisme » – Edith Sheffer – Ed. Flammarion, coll. Champs Histoire, 12 €.