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« Une forme de dialogue de sourds persiste »

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Pour le sociologue Bruno Michon, spécialiste des questions de laïcité, le débat se crispe autour des demandes exprimées par les populations migrantes d’une reconnaissance de leurs particularismes, revendications perçues souvent négativement comme le signe d’un communautarisme.
Quelle place occupe aujourd’hui la question de l’interculturalité au sein des associations de migrants ?

Il convient d’éviter toute généralisation. Mais, autour de Strasbourg en tout cas, les associations créées par les premières générations de migrants tendent à se repositionner. Elles ne se limitent plus au seul champ de l’aide aux migrants, mais se préoccupent de citoyenneté, d’interculturalité, de lutte contre les discriminations. Ainsi leur champ s’élargit-il à la fois à l’éducation populaire et à la citoyenneté. Cela traduit sans doute une évolution de la société, mais reflète aussi le simple changement de génération, celle d’enfants nés en France de parents immigrés et qui luttent pour l’accès aux droits des personnes migrantes tout en promouvant l’intégration sociale et le droit à l’égalité républicaine.

Sont-elles en partie contraintes à cette évolution ?

Il est certain que le respect des valeurs de la République compte parmi les cases à remplir pour obtenir des fonds. Des changements d’activités et de nom de ces associations traduisent cette nouvelle exigence. Cela risque de créer des débats internes, générationnels en particulier. Il est difficile de savoir si ces changements sont de façade ou profonds. Mais il ne s’agit pas de leur jeter la pierre : ces associations ont des salariés à rémunérer et doivent donc se plier à ce qu’on attend d’elles. Il peut y avoir de leur part une dose d’opportunisme, mais cela reflète aussi leur volonté de s’inscrire dans le débat public, qui se droitise fortement et porte une vision négative des populations migrantes. Elles œuvrent à promouvoir un autre regard sur ces personnes.

La France peine de longue date à conjuguer le respect des particularismes et sa volonté universaliste. Est-ce toujours le cas ?

Une forme de dialogue de sourds persiste entre un public qui revendique une reconnaissance de ses particularités, surtout lorsqu’elles sont religieuses, et l’écho très négatif qu’il reçoit. Au mieux, ces demandes sont perçues comme communautaristes, au pire comme les prémices d’une radicalisation. Mais est-ce le modèle français qui est mis en cause ou son actuelle interprétation ? Est-ce la laïcité qui n’est plus adaptée ou l’évaluation qu’on en fait aujourd’hui ? Selon moi, cela tient à son actuelle perception, qui conduit à la considérer comme une nécessaire neutralité plus que comme la liberté de conscience. L’universalisme porte en lui quelque chose de beau à ne pas perdre : il invite à considérer l’autre avant tout comme un être humain, sans le réduire à sa différence. Mais le contexte, lourd de discriminations, complique l’accès de tous à une considération égale. Ce qui, en retour, exacerbe les revendications. C’est un mécanisme bien connu de la psychologie sociale : plus on se sent attaqué, plus on se replie sur soi ou plus on attaque soi-même.

C’est d’autant plus regrettable que les spécificités de chacun pourraient servir de levier d’intégration…

Sur le papier, oui. Mais comment le penser dans le concret du travail social ? Un des aspects principaux du développement des compétences interculturelles tient à la prise de conscience de l’endroit d’où on parle. Ce qui va de soi pour nous n’équivaut pas à ce qui va de soi pour autrui. Et, pour autant, on ne peut tout accepter au nom de la différence culturelle. C’est ce qui fait la beauté et le risque principal de l’accompagnement. Cela peut sembler facile, mais il n’en est rien. Une fois dépassée l’impression du « c’est normal », il peut s’avérer difficile ensuite d’échapper à une dimension subjective de l’intolérable. Pour sortir de l’impasse, on peut d’abord s’appuyer sur ce que permet ou interdit le cadre légal. Aucune loi ne stipule par exemple que le serrage de mains est obligatoire. Pour autant, ce refus peut compliquer l’intégration en France, où ce geste s’apparente à un rituel. Aussi le travailleur social doit-il interroger ce que traduit cette habitude ou ce choix culturel. Il convient donc de prendre en considération le contexte et l’histoire de la personne accompagnée. Les personnes qui s’en sortiront le mieux auront été soutenues par une équipe éducative apte à la discussion sur ces sujets. Un étayage en équipe permet de prendre le relais si un blocage apparaît.

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