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Interprètes et travailleurs sociaux : en binôme pour mieux accompagner

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Droit d’asile, protection de l’enfance, justice, hébergement, les travailleurs sociaux interviennent souvent auprès de personnes non francophones qui doivent pouvoir accéder à leurs droits fondamentaux. Pour mieux les comprendre, ils font appel à des interprètes qui ne peuvent être de simples traducteurs, mais des alliés dotés d’une déontologie et de compétences bien spécifiques.

« Comme on n’est pas comptable par­ce que l’on sait compter, on n’est pas interprète en milieu social parce qu’on parle une langue », assène Aziz Tabouri, directeur général d’ISM Interprétariat, qui propose depuis une cinquantaine d’années les services de ses interprètes dans 185 langues aux services publics et associatifs du milieu social et médico-social. Accueil de réfugiés et de mineurs non accompagnés, récits de vie pour les demandeurs d’asile, échanges dans le cadre de mesures de protection de l’enfance ou dans celui de la justice : les interprètes sont sollicités par les travailleurs sociaux à des moments particulièrement sensibles de la vie des personnes dont ils s’occupent.

Des enjeux qui impliquent, pour former un binôme efficace, un grand professionnalisme et une bonne connaissance du métier de l’autre. Educatrice spécialisée à Choisy-le-Roi (Val-de-Marne), Anaïs Chabert raconte : « Il m’est arrivé une ou deux fois d’entendre un interprète me dire, en entretien avec une mère que je suis dans le cadre d’une AEMO [action éducative en milieu ouvert] : “Mais quand même, vous voyez ce qu’elle a vécu, la pauvre !” Il n’était pas à sa place et cela dénaturait les propos. Pour moi, un bon interprète ne prend pas parti et n’est pas dans le jugement. Il peut aussi m’éclairer – mais après l’entretien – sur un élément culturel que je ne repère pas. »

Dans le droit d’asile et l’accueil de personnes ayant subi des conflits interethniques, la neutralité se révèle aussi primordiale. Delphine Corbeau, psychologue, suit des mineurs non accompagnés en Ille-et-Vilaine pour l’Arass (Association pour la réalisation d’actions sociales spécialisées) et préfère éviter la présence d’un tiers : « Les jeunes migrants m’ont transmis leur méfiance. On ne sait jamais à quelle ethnie appartient l’interprète, si cela représente des risques. Pour apprendre à se connaître, j’utilise donc le photolangage, un outil que j’ai adapté moi-même pour communiquer sur des choses simples. Les entretiens psychologiques sur leur histoire ont lieu quelques mois plus tard, quand ils ont déjà appris des rudiments de français. Et je leur propose d’exprimer certains éléments traumatiques dans leur langue, même si je ne comprends pas, pour libérer leurs émotions. »

Dialogue à trois

Toutefois, bien formé, un interprète professionnel devient un allié précieux. Pour travailler en toute confiance, éviter les écueils et contribuer à la reconnaissance du métier, des associations historiques se sont regroupées au sein du Réseau de l’interprétariat médical et social (Rimes)(1) et ont construit en 2012 une définition et une déontologie développées dans une charte, un référentiel de compétences en 2017 et des programmes de formation en 2019. Positionnement, confidentialité, neutralité, connaissances de la culture d’origine et de celle du pays d’accueil, connaissances techniques des sujets abordés tels que le droit des réfugiés, le système administratif français, la santé, la protection de l’enfance… L’interprète en milieu social doit maîtriser de nombreuses compétences en plus de la traduction, qu’il n’apprend pas en cursus initial mais en formation continue par le biais de son employeur et sur le terrain. « Il se rend invisible et met en place une sorte de dialogue à trois qui permet d’établir un lien et une compréhension entre le travailleur social et la personne accompagnée, précise Aziz Tabouri. C’est un facilitateur de la communication, au-delà de la langue, qui est l’obstacle apparent. »

Interprète depuis près de trente ans des langues d’Afrique de l’Ouest, Mamadou Ba en témoigne : « Nous ne devons jamais nous substituer au demandeur, et toujours nous montrer parfaitement neutres. Mais nous devons parfois aller au-delà des mots pour nous comprendre et traduire. Il y a des expressions sans équivalent dans nos langues orales. Nous recourons alors à une périphrase pour expliquer des démarches administratives, des lois, un système, une façon de concevoir la famille, la protection de l’enfance, la justice… »

Quelques précautions initiales assurent un travail commun efficace : « Je prends toujours quelques minutes en préambule pour expliquer le rôle de chacun, dire pourquoi on se voit, rappeler les principes de confidentialité et de neutralité qui mettent le demandeur en confiance, explique Cécile Lequien, chargée d’accompagnement “asile” au centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) de Bron (Rhône). Pendant l’échange, je m’adresse directement à lui, et après je débrieffe avec l’interprète, qui me livre ses impressions. » L’interprétariat peut alors glisser vers la médiation culturelle : « J’aime beaucoup discuter, après, de la situation au pays et de certains éléments informels. Cela me permet de mieux appréhender une population, d’interpréter ses codes et d’améliorer ma communication. »

Des codes d’autant plus subtils que les sujets abordés concernent l’intime, la perception de la famille, comme en protection de l’enfance. « Les mots sont importants quand on travaille des éléments de maltraitance potentielle ou de danger, explique Anaïs Chabert, éducatrice spécialisée, et certains entretiens peuvent être très difficiles quand on parle de placements, de conflits parentaux. »

Pour échanger avec les parents non francophones des familles qu’elle suit dans le cadre de mesures éducatives en milieu ouvert, la professionnelle apprécie de travailler avec le même interprète, qui devient un allié : « Avec une famille dont le père ne parle que le thaï, l’interprète m’est d’une aide précieuse car elle me suit avec les six enfants et a su créer le lien avec les parents. Le père et le fils aîné – très fragile et dé­scolarisé – n’auraient pas accepté de consultation psychologique sans sa présence rassurante. »

Connivence culturelle

Pour bien accompagner les personnes et respecter leurs droits fondamentaux, le recours aux interprètes professionnels a donc largement prouvé son utilité. Educatrice en unité éducative de milieu ouvert à la protection judiciaire de la jeunesse de Paris et cosecrétaire du SNPES-PJJ-FSU, Sonia Ollivier regrette malgré tout : « On crée actuellement de plus en plus de services spécialisés pour les MNA dans lesquels on demande aux éducateurs de savoir parler une autre langue. On recrute ainsi des contractuels polyglottes non formés aux problématiques de justice. Mais surtout on apporte de la connivence culturelle dans l’entretien, ce qui peut être contre-productif pour l’adolescent. La présence d’un interprète dispense l’éducateur d’endosser tous les rôles. »

Notes

(1) Les associations membres du réseau Rimes : Adate (Grenoble), Aptira (Angers), Asamla (Nantes), Cofrimi (Toulouse), ISM Corum (Lyon), ISM Interprétariat (Paris), Migrations santé Alsace (Strasbourg), Osiris Interprétariat (Marseille), Réseau Louis-Guilloux (Rennes).

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