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La maison vide

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Je n’y arrive pas. C’est pas compliqué, pourtant. Floyd m’a tout bien expliqué. Une fois, deux fois, dix fois. « D’abord, tu appuies sur le bouton rouge de la première télécommande. Puis sur le bouton vert de la deuxième télécommande. Puis tu sélectionnes la chaîne. Et voilà. »

Et à chaque fois, je me trompais. Et à chaque fois, il m’expliquait. Encore. A la fin, il me prenait la télécommande en riant, il appuyait sur un bouton, puis sur un autre, et pouf, magie ou miracle, ça marchait. « Et quand tu n’es pas là, je fais comment ? », lui avais-je demandé, inquiète. Il m’avait tout noté sur un papier. Avec des dessins et des gros caractères, pour ma tête étourdie et mes yeux fatigués.

Mais Floyd est parti et j’ai perdu le papier. La télévision reste éteinte.

Ce bocal de confiture, il faut un peu de force pour l’ouvrir, et j’ai beau tapoter le fond, essayer de décoller le couvercle avec un couteau et autres astuces de la grand-mère que je suis, mon arthrose est plus forte que ma meilleure volonté. D’habitude, Floyd arrivait en héros, me prenait le bocal des mains, l’ouvrait d’une pichenette et me faisait une gracieuse révérence en me tendant la confiture tant convoitée.

Mais Floyd est parti et je suis seule devant mon bocal. Je ne mange plus de confiture.

Le jardin est envahi de mauvaises herbes, les rosiers ploient sous le poids de leurs tiges trop longues et les feuilles mortes ne se ramassent plus à la pelle. « Tu pourrais prendre un jardinier », m’a dit mon fils. C’est cher. Et ce n’est pas pareil. D’habitude, c’est Floyd qui s’occupait du jardin, il passait la tondeuse pendant que je rêvassais à l’ombre du cerisier, et les voisins nous saluaient gaiement en passant devant la maison. Puis nous partagions un thé et des petits gâteaux sur la terrasse en admirant fièrement le travail accompli.

Mais Floyd est parti et le jardin est en friche. Je ne sors plus de la maison.

Céleste bavarde sans cesse et Martine critique tout et tout le monde. D’habitude, Floyd restait toujours quand elles étaient là, il leur faisait la conversation tandis que je m’éclipsais dans ma chambre au prétexte de me reposer. J’échappais ainsi au babillage ingénu de l’une et aux commérages de l’autre. Après leur départ, nous savourions le silence retrouvé.

Mais Floyd est parti et mes « sauveuses de vieux en détresse »(1) redoublent de bavardages. Je ne supporte plus leur présence.

Je n’ai plus envie de me lever, plus envie de manger, plus envie de rien. Le temps est gris et la maison est vide, je n’ai rien à faire et les journées se traînent à l’infini. Je pourrais appeler mon amie Françoise. Mais elle est fatiguée en ce moment, j’ai peur de déranger. Je pourrais aller voir Georges, mais il est mort. Je pourrais aller au cimetière, mais c’est trop loin. D’habitude, il y avait toujours quelque chose à faire. Un film à regarder, une promenade au bras de Floyd, une visite à mon mari…

Floyd est parti et Georges est mort, la maison est vide et moi aussi.

Notes

(1) Voir la Minute de Flo « Pour moi, sans moi », dans les ASH n° 3138 du 13-12-19, p. 5.

La minute de Flo

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