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“Les hikikomoris, ou l’adolescence sans fin”

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Ils décident brutalement de ne plus sortir de leur chambre. En se retirant du monde, les hikikomoris déroutent leur entourage et déjouent les grilles de lecture et d’intervention classiques. Une nouvelle génération de reclus, aux frontières de l’intime et du collectif, loin d’être typiquement japonaise.
Qui sont les hikikomoris ?

Il s’agit de jeunes qui, du jour au lendemain, s’enferment chez eux. Le phénomène est né au Japon dans les années 1990, bien avant l’explosion du numérique et des réseaux sociaux. Dans ce pays, le dia­gnostic d’hikikomori (« cloîtré, reculé, à l’intérieur ») s’applique aux personnes dans leur bulle depuis six mois. En France, nous avons ramené la catégorie à trois mois. Ce qui semble déjà inquiétant, dans notre société où les jeunes doivent être scolarisés, apprentis, étudiants ou salariés. Les Japonais ont essayé de dégager un profil pendant un temps. Les hikikomoris étaient souvent les aînés de la famille. Mais, dans nos enquêtes, nous nous sommes rendu compte que la principale constante concerne le genre : il y a davantage de garçons en retrait social que de filles, lesquelles expriment leur souffrance psychique différemment. D’ailleurs, qu’un garçon reste à son domicile préoccupe beaucoup plus que la situation inverse. Particulièrement au Japon, où les représentations sociales et culturelles veulent que ce soient les hommes qui aillent travailler à l’extérieur et réussissent. Il n’existe aucun chiffre fiable sur leur nombre, ni au Japon(1), ni en France, où le mouvement s’étend sans qu’il soit possible de le mesurer, faute de le repérer. Les institutions et les pratiques des professionnels intègrent peu cette spécificité et beaucoup de jeunes en retrait social sont étiquetés « phobiques scolaires », « dépressifs », « socialement anxieux »…

À quoi ces jeunes passent-ils leur temps ?

Certains demeurent allongés sur leur lit en regardant le plafond toute la journée. Ils ne font rien, comme s’ils étaient subitement arrêtés dans leurs interactions, sidérés. D’autres lisent des mangas sur Internet ou suivent des forums sans s’impliquer dans le réseau. D’autres encore regardent des films pornographiques ou jouent à des jeux vidéo en prenant des pseudos, donc en ne racontant pas leur vraie histoire… Parfois, des rencontres se font sur le web et, finalement, on constate que l’activité en ligne peut être une source de resocialisation. Le phénomène recouvre un kaléidoscope d’expériences encore peu visibles, allant de l’isolement radical au retrait social prolongé. Il débute dès l’âge de 12-13 ans et s’étend, les plus vieux hikikomoris dépassant aujourd’hui les 50 ans. La plupart du temps, cet enfermement se produit lors de la transition entre adolescence et âge adulte. Pour certains, le déclic réside dans une remarque d’un enseignant ou d’un élève, une phobie scolaire, un échec amoureux… Tous les milieux sociaux sont touchés. Au début, nous avons a cru que les classes moyennes et supérieures l’étaient davantage car il est plus facile d’entretenir un jeune à la maison et de faire appel à des spécialistes quand on en a les moyens.

Quelles en sont les causes ?

C’est une énigme. En tout cas, cela ne relève pas de la psychose. Plusieurs hypothèses sont évoquées, mais il s’agit généralement de jeunes qui ne sont pas installés en eux-mêmes. Ils ne parviennent pas à se construire une intériorité sans danger, à se sentir être, alors que l’adolescence représente justement un challenge où on se cherche une identité, on s’oppose aux autres, on prend des risques… Dans l’enfance, on est insouciant, protégé normalement par les parents, les enseignants. Se rendant compte que leur structure ne leur permet pas d’affronter le monde, les hikikomoris restent dans le leur, celui de leur chambre. Cela procède d’une peur de l’extérieur, des pressions familiale, scolaire, professionnelle et d’un instinct de protection. C’est comme une adolescence sans fin. Ils rentrent dans leur carapace telles des tortues. A la différence des ermites, qui renoncent à la société et partent ailleurs, ils veulent se séparer tout en restant noués dans des relations familiales. La dette adolescente représente inconsciemment un poids insoutenable pour eux. C’est la fameuse remarque des ados à leurs parents : « Je n’ai pas demandé à naître », comme s’ils devaient leur être reconnaissants de cette dette de vie. La majorité des jeunes s’émancipent et d’autres sont écrasés par cette dette et littéralement anéantis.

Comment les familles réagissent-elles et en quoi consiste la prise en charge ?

C’est d’une telle violence que souvent elles explosent. Les frères et sœurs finissent par décohabiter, les parents se séparent. Ce phénomène oblige à repenser les statuts des uns et des autres dans les familles, comme si les rôles n’étaient pas suffisamment clairs et que l’hikikomori remettait les uns et les autres à leur place. Il oblige notamment la mère à rester au foyer pour s’occuper de lui et récupère l’exclusivité parentale, voire l’exclusivité maternelle. La prise en charge s’avère plus facile avec les enfants de moins de 16 ans car, l’école étant obligatoire jusqu’à cet âge, les parents doivent justifier les absences. Le médecin de famille finit par les orienter vers un professionnel de la santé mentale ou des structures de soutien psychologique. Au-delà de 16 ans, c’est compliqué. Les familles se tournent vers les centres médico-psychologiques et les dispositifs d’insertion sociale comme les missions locales. Mais une fois majeur, c’est au jeune de décider s’il veut entreprendre une démarche thérapeutique ou pas. Au Japon, l’accompagnement des hikikomoris est privé, payant et plus social que médical. Le retour à la société peut prendre un an pour certains, dix ans pour d’autres, d’autres encore composent entre vie repliée et insertion, avec un travail leur permettant de vivre sans être obligés de se socialiser avec les collègues, par exemple.

En France, les professionnels sont-ils suffisamment armés pour faire face ?

Au collège et au lycée, pas vraiment. Des formations vont être organisées auprès des médecins scolaires. Quant aux pédopsychiatres ou aux psychiatres, peu connaissent le phénomène, ils posent donc un diagnostic médical, médicamentent et mettent en place une psychothérapie. Les travailleurs sociaux n’interviennent à domicile qu’en cas d’information préoccupante. Mais cela arrive rarement. Au Japon, ils intercèdent sans qu’il y ait de signalement auprès d’un juge pour enfants ni de structure juridique derrière. Ils tentent d’entrer en contact avec le jeune en se rendant chaque jour à sa porte pour essayer de lui parler et le préparer à une visite dans sa chambre. C’est un travail au long cours, de patience et de mise en confiance.

Le confinement lié à la pandémie peut-il favoriser l’essor de ce type de comportement ?

Nombre d’étudiants m’ont déclaré que rester chez soi était devenu une telle fatalité qu’au bout d’un moment ils n’arrivaient plus à sortir du tout. On ne saura que plus tard si certains ont sombré dans cette forme d’expression de souffrance psychique.

Maîtresse de conférences

à l’université de Paris, Cristina Figueiredo a codirigé avec Natacha Vellut, Claude Martin et Maïa Fansten Hikikomori, une expérience de confinement (éd. EHESP, 2021).

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