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Un groupe sur tous les fronts

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Mondialement reconnu pour sa croissance exceptionnelle, le Groupe SOS s’est étendu en « filialisant » plusieurs dizaines d’associations en France. Un modèle qui lui permettrait de respecter les projets associatifs. Une vision pourtant parfois contestée sur le terrain.

« Tentaculaire ». Régulièrement, ce qualificatif est employé pour décrire le Groupe SOS. En trois décennies, son président, l’ex-éducateur spécialisé Jean-Marc Borello, a bâti un réel empire du secteur, l’OCDE présentant même celui-ci comme l’« une des plus larges entreprises sociales du monde ». En 2019, le groupe affichait un budget global de plus de 1 milliard d’euros, avec 21 500 per­sonnes employées, 550 établissements et 1,7 million de bénéficiaires.

Orienté sur des actions pour la jeunesse, l’emploi, les solidarités, la santé et les seniors, il étend désormais ses activités vers la culture, la transition écologique et à l’international. Véritable « success story » économique, il connaît, cette année encore, un budget en hausse de « 10 % par rapport à l’exercice précédent ». Cette croissance s’explique, d’après son rapport annuel 2020, « tant par le développement externe (reprises et filialisations d’associations) qu’interne (ouvertures de nouveaux établissements et dispositifs, croissance et montées en charge de l’existant) ». Le tout largement alimenté par des fonds publics : 76 % de son budget provenait, en 2019, des collectivités territoriales, des caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) et de l’Etat.

Filialisation des associations

Qu’implique ce mécanisme de « filialisation » ? « C’est toujours positif », insiste Eric Balmier, directeur général du Groupe SOS, qui présente un dispositif permettant aux associations en difficulté économique, avec des problématiques de gouvernance ou souhaitant se développer, de s’adosser à une structure plus solide. A la différence des autres organisations qui privilégient souvent les fusions-absorptions, le groupe maintient ainsi l’entité juridique des associations, « les salariés, les conventions, le projet et les partenaires ». Eric Balmier affirme : « Si l’on devait faire un parallèle avec une entreprise, il s’agirait uniquement d’un changement d’actionnaire. C’est très intéressant pour la conduite du changement parce que l’histoire, le nom et les activités sont préservés. » Dans les faits, le conseil d’administration de ces filiales disparaît et seul le président conserve son rôle d’administrateur, minoritaire, au côté de représentants du Groupe SOS. L’association doit en outre reverser une contribution financière au groupe.

Quid du projet associatif ? « On parle vraiment de filiales », soutient Eric Balmier, qui souligne toutefois la possibilité de mettre en place des comités d’orientation stratégique consultatifs. « C’est vrai que l’adoption des nouveaux statuts donne la légitimité à la gouvernance du Groupe SOS. Cette gouvernance est donc ultime et non partagée, mais elle est proposée en coconstruction avec les historiques dans la mesure de leur besoin. Et la garantie du projet associatif est morale puisque, dans le projet d’adossement, nous avons travaillé sur une note commune. »

Protocoles et projet associatif

Sur le terrain, cette question est au cœur des préoccupations de certains membres du personnel. « Le fait d’intégrer le groupe permet aussi des leviers au niveau des carrières du personnel, qui sont démultipliées. Les gens peuvent passer d’un métier à l’autre, disposer d’une mobilité territoriale », assure Eric Balmier.

Il semble pourtant que tel n’a pas été le cas pour la structure Mana, l’une des rares filiales à avoir publiquement manifesté son opposition. Cette association bordelaise qui intervient auprès des populations migrantes pour des soins psychothérapeutiques et des prestations de prévention, souffrait de problèmes de gestion depuis plusieurs années et a été filialisée par le Groupe SOS entre 2017 et 2018. Après plusieurs mois de « structuration », les salariées de l’association se sont mobilisées au travers d’un collectif qui pointait du doigt le mode opératoire du groupe et de sa direction locale.

Zineb Mantrach, employée à Mana depuis 2013, était l’une des figures de proue du mouvement. Interrogée, la professionnelle évoque « une prise en main autoritaire », avec la mise en place de multiples « process ». « Cela se rigidifiait de plus en plus, ajoute-t-elle, à tel point qu’ils voulaient qu’on enlève du temps clinique avec les patients pour remplir des tableaux. » Avant de déclarer : « Ils ne comprenaient pas vraiment ce que l’on faisait, les valeurs qu’on défendait. » Le contrat à durée déterminée de Toufik(1) a été interrompu en septembre 2018. Un an plus tard, le conseil des prud’hommes de Bordeaux l’a requalifié en contrat à durée indéterminée après avoir jugé son licenciement sans cause réelle et sérieuse. Avant d’être licenciée en 2019, une autre salariée de Mana avait pour sa part tenté de faire reconnaître par le tribunal d’instance de Bordeaux l’appartenance de Mana et des différents grands pôles du groupe (SOS Jeunesse, SOS Seniors, SOS Santé…) à une même unité économique et sociale (UES). Sans succès. Pour « un groupe qui compte 22 000 salariés », Mana, qui a restreint ses domaines d’intervention, est « un microsujet », objecte Eric Balmier. « Quand l’activité ne trouve pas son modèle économique, elle s’arrête. Il y a un licenciement économique. » Selon lui, il n’y a pas là de contradiction avec le fait d’appartenir à un grand groupe. « Chaque entité est une vrai “business unit”, si on veut faire un rapprochement avec le monde de l’entreprise, et a toute son autonomie. On ne peut pas faire de transfert de subventions publiques. » Le directeur général ajoute : « Si l’activité n’est pas viable économiquement et si les pouvoirs publics ne la subventionnent plus, c’est qu’elle ne répond plus à un besoin. On est plutôt dans de la délégation de service public, c’est-à-dire qu’il faut que l’activité soit pérenne, forte, pour porter son action avec de vrais moyens. »

Et les personnes accompagnées ? « On préfère refuser des dispositifs quand on les considère indignes dans les moyens qui sont alloués pour les gérer correctement », assure-t-il.

En début d’année 2021, en Indre-et-Loire, les salariés de l’association La Boisnière se sont eux aussi lancés dans un bras de fer avec le groupe. Près d’une centaine de personnes, 90 % du personnel du pôle « enfance » de l’institut médico-éducatif, avaient signé une pétition pour réclamer un changement de management et l’amélioration des conditions de travail. Filialisée en 2013, La Boisnière connaît aujourd’hui, selon les représentants du personnel, « un turn-over important ». Un délégué syndical Sud souligne, là encore, de multiples « protocoles », parfois inutilisables : « Par exemple, si une personne semble vulnérable ou un enfant en danger, il faut lancer en urgence une information préoccupante ou un signalement au procureur. Mais, d’après le protocole du Groupe SOS, il faudrait d’abord que cela remonte au groupe pour qu’il valide ou non cette alerte. »

Eric Balmier confirme l’existence de ce protocole. « Ce sont des sujets de crise. Il faut que l’on ait de la visibilité sur ces sujets-là. Il existe aussi un risque d’engagement d’image, réputationnel, à tenir. Une crise, il vaut mieux l’anticiper et la maîtriser. Pour l’exigence en matière de qualité de suivi, de prise en charge, il faut être au courant. » Avant d’ajouter : « On est peut-être en sur-vigilance. »

Les salariés déplorent aussi, selon le délégué syndical, l’attitude d’une hiérarchie au comportement écrasant. « Les décisions sont prises sans prendre en compte la position de l’équipe éducative », assure-t-il. Face aux dissensions, Guy Sebbah, responsable de SOS Solidarités, s’est personnellement déplacé à Château-Renault (Indre-et-Loire) en février, annonçant la mise en place d’un « plan d’action », de nouvelles réunions et le recrutement de chefs de service. Le délégué syndical reste circonspect : « Concrètement, nous avons eu depuis des exemples sur lesquels il n’y a pas eu de concertation. »

Pour Eric Balmier, la philosophie du groupe vise surtout à autonomiser ses managers. « Avant nous, il existait déjà une hiérarchie verticale, donc il n’y a pas de changement radical. Par contre, nous sommes pour l’entrepreneuriat social. Nous souhaitons promouvoir la responsabilité des dirigeants. Ce sont eux qui ont la responsabilité d’animer leur équipe, de recruter, d’animer l’écosystème territorial et de porter l’activité. Nous essayons d’impliquer au maximum la ligne hiérarchique de terrain. C’est ce qui génère la performance sociale. Et cette performance sociale est aussi économique. »

Un ancien responsable du monde coopératif, qui a pu observer la prise en main par le Groupe SOS d’une structure au début des années 2000, se souvient de la vision de Jean-Marc Borello : « Le mot “management” n’est pas à craindre, mais tout dépend de ce que l’on met dedans. Si l’on met en avant la coopération avec les différents acteurs ou la rentabilité pécuniaire. »

Mouvements de fonds

Ces méthodes de management ont aussi été explorées dans le livre Souffrance en milieu engagé de Pascale-Dominique Russo, publié en 2020, dans lequel elle notait une organisation très verticale au sein du groupe. La journaliste, spécialiste de l’ESS (économie sociale et solidaire), avait mené son enquête sur plusieurs grandes structures telles qu’Emmaüs, France terre d’asile ou la Macif, et s’était également penchée sur le Groupe SOS. Elle avait alors lancé l’alerte sur la précarité croissante du secteur et la pression exercée sur les salariés. Cependant, pour Pascale-Dominique Russo, en associant davantage les personnels engagés à la gouvernance et « en fluidifiant l’information entre le monde salarial et celui des élus, le secteur pourrait participer à un renouveau de la démocratie en entreprise ».

Le sociologue du travail associatif Matthieu Hély prend, quant à lui, souvent le Groupe SOS comme exemple de « la tendance à la concentration des structures associatives ». « Ce n’est pas un phénomène nouveau, assure-t-il, mais qui s’est intensifié du fait de politiques publiques. Le Groupe SOS, comme d’autres, assume l’usage de méthodes de management du secteur marchand, ce qui était un peu iconoclaste il y a encore quelques années. C’est un changement de modèle associatif, par rapport à celui de l’entre-deux-guerres qui prolongeait l’Etat social via des tarifications de services fixées par la puissance publique. Avec le développement de ces formes d’entreprises sociales, le financement n’est plus de la subvention mais du marché public. Pour gagner les marchés, il faut être compétitif sur les coûts, sur les salaires. Mais je pense que le débat d’il y a dix ans sur la légitimité de l’entreprenariat social est aujourd’hui dépassé. On ne reviendra pas à un modèle associatif de l’Etat social. »

L’allié des grandes écoles

A l’image des grands acteurs de l’entrepreneuriat social, le Groupe SOS s’appuie sur des cadres formés dans les grandes écoles pour se développer. « Il y a dix ans, il fallait aller démarcher dans les grandes écoles pour recruter des cadres, déclarait en 2013 Jean-Marc Borello sur le site spécialisé Cadremploi. Aujourd’hui, les Sciences Po, HEC, voire X viennent à nous. C’est dix fois plus qu’il y a dix ans. » Deux ans plus tard, le Groupe SOS a lui-même pris une part active dans la formation de ces cadres sociaux d’un nouveau genre en lançant, en partenariat avec l’université Paris-Dauphine, son propre « Diplôme d’université Business Management entrepreneur social ». Or « le recrutement de jeunes diplômés des grandes écoles constituerait un enjeu stratégique de première importance », d’après un article du sociologue Clément Gérome paru en 2015 dans la revue Mouvements. Car ce phénomène prend, selon lui, « une coloration particulière dans les organisations se réclamant de l’entrepreneuriat social qui proposent aux jeunes diplômés des postes à niveau de responsabilités inespéré en début de carrière, compensant ainsi la perte de rémunération à laquelle ils auraient pu prétendre dans le secteur privé lucratif ». En plein rapprochement avec les universités, le groupe a, en outre, noué en octobre 2020 un partenariat avec le Conservatoire national des arts et métiers, Sciences Po Paris, Sorbonne Université et l’université Paris-Dauphine pour lancer son think-tank dénommé Impact Tank. Son objectif : « Inspirer le débat public par une voix opérationnelle, où la comparaison des impacts prendrait le pas sur la comparaison des idéologies ». Et ce, en valorisant « des innovations “impactantes” sur la prévention de la perte d’autonomie, l’inclusion dans l’emploi ou la revitalisation des territoires ».

Notes

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