Entreprises solidaires, mesures d’impact, contrats à impact social… Cette vision, inspirée du secteur privé, de l’économie sociale et solidaire (ESS), a pris racine en France dès les années 1980 avec Michel Rocard. Elle est désormais au cœur de la politique du gouvernement. Impulsées par la loi « Hamon » en 2014 (voir encadré ci-contre), les mesures se succèdent favorisant l’essor d’un monde social imbriqué dans une économie de marché et une culture entrepreneuriale. Sur le programme électoral d’Emmanuel Macron figurait la promesse de mobiliser « 1 milliard d’euros de fonds publics et privés sur la durée du quinquennat pour soutenir l’ESS et l’innovation sociale ».
Dans un contexte si favorable aux partenariats public-privé (PPP), la finance solidaire devient stratégique. Les « fonds d’investissement à impact » disposent, depuis la loi Pacte de 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises, d’un cadre législatif inédit pour assurer leur développement. Ces textes imposent la présence d’un fonds solidaire dans le nouveau plan d’épargne-retraite (PER) et, d’ici 2022, d’unités de compte solidaires dans les contrats d’assurance vie multisupports. Par ce biais, tout un mode de financement du social est ainsi privilégié, au bénéfice en particulier des entreprises agréées Esus (entreprises solidaires d’utilité sociale) qui sont près de 1 800 d’après le ministère du Trésor, pour un secteur de l’ESS qui compterait plus de 200 000 organisations.
Pour l’heure, seules quelques sociétés de capital-risque se sont positionnées sur ce marché prometteur, chargées de gérer les fonds et de les investir dans les entreprises de l’ESS. Parmi elles, Inco Investissement apparaît comme une figure de proue. Auparavant dénommé Comptoir de l’innovation, ce « financeur solidaire des entreprises sociales qui souhaitent changer d’échelle » est administré par Jean-Marc Borello, aux côtés de l’ancien vice-président du Groupe SOS Nicolas Hazard, aujourd’hui conseiller spécial en charge de l’ESS à la Commission européenne. Mais quel rôle joue Inco Investissement au sein du Groupe SOS, alors qu’il n’apparaît pas dans l’organigramme ? Selon un rapport de mars dernier réalisé par son partenaire Mandarine Gestion, cette société d’investissement serait une « filiale » du groupe. Le dernier bilan officiel d’Inco Investissement de 2018, indique, quant à lui, que les structures du Groupe SOS détiennent plus de 4 % des actions, aux côtés de poids lourds du secteur financier (Axa, Amundi, la Caisse des dépôts, Malakoff Humanis et Natixis).
En partenariat avec Mandarine Gestion, Inco a été désigné pour gérer le fonds NovESS visant à financer l’économie sociale et solidaire, de 100 millions d’euros, initié en 2016 par la Caisse des dépôts. Parallèlement, la société s’est vue dotée du label French Impact, la version « sociale » des French Tech. Ce label a été lancé en 2018 par celui qui fut haut-commissaire à l’ESS de 2017 à 2020, un certain Christophe Itier, présenté à Emmanuel Macron par Jean-Marc Borello lors de la campagne présidentielle. French Impact prévoyait en outre la mise en place de nouveaux fonds au profit des entreprises de l’ESS, dont le premier a été piloté par… Inco Investissement. Quant au programme Pioneer d’accompagnement des « start-ups » sociales, instauré dans le cadre de French Impact, il a bénéficié à un organisme du Groupe SOS, Acta Vista, ainsi qu’à quatre structures dans lesquelles Inco a investi (Enercoop, La Foncière Chênelet, Phénix et VAE Les 2 Rives).
Autre grand volet de cette mouvance : les contrats à impact social (CIS). Ils visent à faire financer des programmes sociaux par des investisseurs privés en conditionnant le remboursement public à l’atteinte d’objectifs (voir ASH n° 3164 du 12-06-20, page 6).
Le Groupe SOS et Inco Investissement sont parties prenantes de trois des huit CIS lancés depuis 2016. Wimoov est une filiale du Groupe SOS. Inco Investissement est, lui, présent dans les contrats de La Cravate solidaire et dans celui en Gironde de la Fondation Apprentis d’Auteuil. Sur le papier, des évaluateurs indépendants mesurent l’atteinte des objectifs, déclenchant ainsi le financement des pouvoirs publics.
En l’espèce, ces trois projets sont évalués par le cabinet de conseil et d’évaluation spécialisé en impact social Kimso. Inco Investissement le connaît bien, pour avoir développé, avec son appui, la méthode Mesis (mesure et suivi de l’impact social) au côté de la Caisse des dépôts et de la banque BNP Paribas. En outre, Kimso était cogéré jusqu’en décembre 2020 par Emeline Stievenart. Or celle-ci vient d’être nommée en mars dernier directrice de l’Impact Tank, le think-tank lancé à l’initiative du Groupe SOS. Une nomination qui, selon elle, n’aura aucun effet sur l’évaluation des contrats : « Je suis droite dans mes bottes puisque je n’ai plus de parts », assure-t-elle. Une affirmation pourtant contredite par le dernier procès-verbal du cabinet, déposé fin février, indiquant qu’elle avait quitté la gestion du cabinet mais conservé des parts. Interrogée, Emeline Stievenart a refusé de nous communiquer les documents nous permettant de confirmer cette cession.
Elle insiste en outre sur le fait qu’elle n’a pas rejoint le Groupe SOS, mais l’Impact Tank. « Nous n’étudierons pas seulement les projets du Groupe SOS. Nous ne sommes pas là pour faire sa publicité. Ce qui compte, c’est de mettre en avant des solutions innovantes, quelles qu’elles soient, sur les territoires et de faire en sorte que les chercheurs s’y intéressent et que la puissance publique s’en inspire pour prendre des décisions qu’on espère plus éclairées. Je n’ai pas du tout de commande cachée, de la part du Groupe SOS, visant à mettre en avant telle ou telle initiative. » Emeline Stievenart apparaît cependant sur le site du Groupe SOS parmi ses salariés.
La loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (ESS), dite loi « Hamon », marque, d’après les spécialistes du secteur « la reconnaissance d’un “mode d’entreprendre différent” ». Il s’agit d’étendre le périmètre de l’ESS à des sociétés commerciales à utilité sociale respectant un certain nombre de conditions : une gouvernance démocratique, une gestion responsable et une lucrativité limitée. Ce changement législatif a été largement porté par le Mouves (Mouvement des entrepreneurs sociaux), aujourd’hui dénommé Impact France, qui se présente comme le « premier réseau lobbying et business des acteurs économiques à impact social et écologique ». D’abord dénommé Collectif pour le développement de l’entrepreneuriat social (Codes) sous la houlette de Hugues Sibille, ce réseau devient Mouves en 2010, présidé par Jean-Marc Borello, l’un de ses cofondateurs. Aujourd’hui rebaptisé Impact France, il est copiloté par Eva Sadoun et Jean Moreau. La première est présidente de la plateforme d’investissement participatif Lita.co, qui permet de financer des start-up et des PME à fort impact social. Le second, quant à lui, préside Phenix, une start-up accompagnant les entreprises dans leur démarche de réduction du gaspillage. Ces deux entreprises ont toutes deux bénéficié du soutien d’Inco Investissement. L’association internationale Ashoka est également un membre historique du mouvement. Fondée par l’entrepreneur social américain Bill Drayton, cette organisation, qui vise à soutenir des entrepreneurs sociaux innovants par le biais d’une approche de « capital-risque philanthropique », est représentée dans l’Hexagone par l’ex-lutteur Arnaud Mourot, également membre du conseil d’administration du Groupe SOS.