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Ehpad : une stratégie vorace

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La branche seniors du Groupe SOS s’est développée rapidement. A l’offensive sur le secteur des Ehpad en difficulté, elle s’empare également d’établissements publics, malgré l’opposition récurrente des personnels et des résidents.

En dix ans, 69 Ehpad. Ce chiffre évoque un développement exceptionnel pour un groupe associatif, comme le notait le site spécialisé Ehpa Presse, qui établit un palmarès annuel des gestionnaires d’établissements. Classé deuxième des groupes privés non lucratifs en 2021, SOS Seniors dispose, selon les dernières données disponibles, de 4 500 lits et présente un chiffre d’affaires de 189,7 millions d’euros. « Le Groupe SOS Seniors, à l’évidence, a la bougeotte. Il est sur tous les fronts et sur toutes les reprises. Parfois même, comme d’autres, il tente de conquérir les conseils d’administration. Une quête qui porte ses fruits puisque le groupe de Jean-Marc Borello et de Maryse Duval est aujourd’hui l’entité qui progresse le plus vite », souligne l’article.

Houleuses prises de contrôle

L’assaut sur les Ehpad du Groupe SOS a été lancé en Lorraine en 2011, avec l’adossement de l’association Hospitalor, qui pilotait à l’époque 32 Ehpad. Une décennie plus tard, le groupe se positionne en particulier sur les structures publiques pour assurer son ascension. Une stratégie assumée par la directrice du pôle, Maryse Duval. « Le temps ancien où le conseil d’administration était composé de bénévoles, dont certains étaient des élus locaux, est terminé. Le contexte juridique, réglementaire, financier, technique et social n’est plus celui d’il y a vingt ou trente ans. Le métier est devenu plus exigeant en expertises, en compétences, en management des ressources humaines, en gestion financière, en organisation des services, en qualité », déclarait-elle dans une étude datée de 2015 et publiée par le géant de l’audit KPMG. « Les membres du conseil d’administration, bénévoles, n’ont pas forcément les compétences et la disponibilité nécessaires pour assurer pleinement leurs missions », ajoutait-elle, tout en précisant que « le président peut bien se trouver confronté à des situations risquées en termes de responsabilité sociale, civile, voire pénale en cas de conflits de personnels, d’abus de bien sociaux ou de maltraitance. Un maire ou un élu local président d’un Ehpad peut difficilement prendre la responsabilité d’un licenciement ou d’un plan social car les salariés sont souvent les habitants de sa commune, et donc ses électeurs ! »

Fort de cette philosophie, le groupe tente actuellement de prendre le contrôle de l’Ehpad Daniel-Benoist et de la résidence autonomie La Roseraie, jusqu’à présent gérés par le centre communal d’action sociale (CCAS) de la ville de Nevers. Le 22 avril, son conseil d’administration a voté la mise en place d’une « négociation en vue de l’éventuelle cession de l’autorisation de gestion » au Groupe SOS, choisi parmi trois candidats. Une cession prévue en janvier 2022. Ce transfert est favorisé par la mairie, pilotée par l’élu Denis Thuriot (LREM), qui fait prévaloir le besoin de « lourds investissements » sur ces établissements. Le délibéré du CCAS souligne en outre « la réactivité plus importante d’une structure associative en matière de recrutement des personnels et d’application des protocoles requis au sein d’établissements médico-sociaux ».

Le conseil d’administration s’est cependant déroulé de manière particulièrement houleuse, avec une quarantaine de familles et d’agents postés à l’extérieur pour manifester leur opposition à la privatisation de ces établissements, dont ils venaient d’être informés. Sans succès. La motion est passée in extremis, avec trois votes en faveur de la mise en place des négociations, deux abstentions et deux votes contre. L’élu d’opposition communiste, François Diot, est l’un des membres du CCAS à s’opposer au projet. Il le rejette d’autant plus que ces établissements ne présenteraient pas, à sa connaissance, de problématiques spécifiques. Sa pétition a déjà recueilli plusieurs centaines de signatures. « Aujourd’hui, la conduite de l’Ehpad et du foyer logement est sous le contrôle des élus, et donc de la population, c’est démocratique. Demain, si c’est transféré à un groupe privé, ce sera sous contrôle des actionnaires. Je ne comprends pas pourquoi on désarme la puissance publique d’un levier qui permet de mener une politique », déclare-t-il.

Mobilisation des usagers

De manière similaire, à 190 kilomètres de là, à Montbrison (Loire), un collectif d’usagers s’est mobilisé pendant deux ans pour que l’Ehpad dépendant du centre hospitalier du Forez reste public. En vain. Le conseil de surveillance de l’établissement a d’abord voté, en janvier 2019, une autorisation de principe pour engager la cession de l’Ehpad. Si la structure est rentable, l’établissement est jugé vétuste par le maire Christophe Bazile (divers droite), qui avait lancé un appel à manifestation d’intérêt pour la construction d’un nouvel établissement hors de la ville. Mi-décembre, la nouvelle est tombée. Le Groupe SOS a été choisi parmi cinq candidats pour assurer la gestion de l’Ehpad dès septembre 2021, avec la reconstruction de la structure, qui restera toutefois en centre-ville. Cette cession continue pourtant d’inquiéter, risquant d’affaiblir un centre hospitalier déjà en difficulté financière. Véronique Seux, présidente du Collectif des usagers pour la défense du service public hospitalier du Forez, qui a rencontré à plusieurs reprises le Groupe SOS, regrette que d’autres options n’aient été envisagées pour maintenir l’établissement dans le giron public. « L’Ehpad apportait un petit supplément financier à l’hôpital, déclare-t-elle. Il fait fonctionner des services de l’hôpital : entre autres, la blanchisserie, la pharmacie et la cuisine. C’était vraiment un point positif pour les résidents, il y avait une continuité des soins qui faisait qu’un résident de l’Ehpad pouvait aller à l’hôpital et revenir à l’Ehpad sans sortir de la structure. »

Depuis trois ans, les exemples incarnant la privatisation d’Ehpad au profit du Groupe SOS se sont multipliés. En 2019, à Fénétrange (Moselle), les représentants du personnel de l’Ehpad public du Val-Fleuri avaient eux aussi mené un bras de fer contre le transfert de leur établissement à SOS Senior, qui présentait, d’après un communiqué de la CFDT, « un projet de réimplantation de ses Ehpad en Moselle-Sud » impliquant « la suppression de 78 places sur le territoire ». Après plusieurs mois de mobilisation, cette cession était tombée à l’eau, comme l’a relaté Le Républicain lorrain, racontant comment le personnel avait découvert « inopinément l’existence de tractations entre le Groupe SOS, l’agence régionale de santé et le département en vue d’élaborer un projet de reprise de la maison de retraite et sa privatisation. Les architectes du Groupe SOS avaient même fait une visite de l’établissement sans que personne ne soit averti ».

Cette même année, quatre Ehpad exploités par l’Action sociale SNCF avaient également été cédés à SOS Seniors. Une aubaine pour le groupe. Ces Ehpad, auparavant financés par le Fonds d’action sanitaire et social (Fass) des cheminots, étaient pourtant excédentaires de 26 millions d’euros fin 2017… L’opération s’était déroulée dans un contexte de dialogue social tendu. La CGT affirmait, dans un communiqué rendu public en juillet 2018, que « lors de la visite d’Ehpad de SOS Seniors, la direction de l’association a tout mis en œuvre pour nous empêcher de parler aux salariés et évite très clairement d’apporter des précisions ou encore de répondre aux questions qui semblent déranger ». Fin 2018, la CFDT annonçait finalement que leurs propositions avaient permis, « après de nombreuses audiences, mobilisations intersyndicales et réunions d’instances de coordination des CHSCT [comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail], d’obtenir une amorce de solution qui respecte les droits des pensionnés, mais aussi des salariés, majoritairement contractuels, qui vont être transférés à la structure prenante pour début janvier 2019 ».

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