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Handicap : comment le confinement a modifié les accompagnements

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Pendant plusieurs semaines, les résidents handicapés mentaux d’un foyer de vie se sont retrouvés enfermés dans leurs chambres en raison de la survenue du coronavirus au sein de l’établissement. Les habitudes ont été bouleversées, non sans difficulté. Mais après un temps de recul, ces changements ont présenté des avantages. Les prises en charge s’en sont vues réévaluées.

« Je suis monitrice-éducatrice dans un foyer de vie pour adultes en situation de handicap mental. Nous accueillons un public très hétérogène, tant sur le plan de l’âge (entre 23 à 63 ans) que des pathologies (trisomie 21, schizophrénie, psychose, déficience mentale et bien d’autres encore). Au cours du mois de janvier, notre établissement a connu un épisode de cluster, qui nous a obligés à modifier notre accompagnement durant quelques semaines. Les résidents ont dû rester confinés dans leur chambre. Toutes les activités habituellement proposées ont été mises en veille, et les week-ends en famille ou les départs en vacances ont été suspendus. Dans les premiers jours, ils ont eu du mal à accepter ce nouveau mode de vie, et il leur fut difficile de comprendre le principe d’un confinement, avec tout ce que cela entraîne comme conséquences.

Les professionnels que nous sommes ont vu leur accompagnement au quotidien complètement modifié. Nous avons mis de côté ce qui caractérise notre travail, ce qui fait que nous sommes éducateurs. Notre changement de tenue (port d’un masque FFP2, de lunettes, d’une blouse et d’une surblouse, d’une charlotte, de surchaussures et de gants) en raison des risques infectieux, ainsi que les nouvelles tâches qui nous ont été demandées durant cette période nous ont éloignés de notre cœur de métier. Le temps que l’on avait à accorder aux résidents était réduit. Mais pour autant, nous avons essayé de nous adapter en profitant de moments informels propres à chacun (pause cigarette, suivi de la toilette, désinfection des chambres…).

Non choisi, ce bouleversement des habitudes a pourtant aidé l’équipe éducative sur plusieurs points. D’abord, il nous a permis de nous rendre compte que ce qui pouvait être proposé jusqu’à présent à certaines personnes devrait être revu dès que les conditions le permettraient. Cela nous a aussi aidé à mieux comprendre l’attitude de nos résidents. Je vais vous donner deux exemples pour illustrer mon propos.

Avant cet événement, Damien était stimulé à chaque moment de sa journée. Lorsqu’il n’avait rien de prévu sur son planning, il venait nous trouver afin qu’on lui propose une activité. Il était continuellement dans la demande d’achats et souhaitait qu’on y réponde positivement et au plus vite. Damien ne prenait pas le temps de profiter et de s’appliquer dans ce qu’il faisait. Durant le confinement en chambre, le quotidien de Damien fut donc chamboulé. Il s’est retrouvé sous-stimulé. Résultat ? Sur le peu d’activités que nous pouvions lui proposer (dessin, divers exercices de maintien des acquis…), Damien s’est montré très consciencieux et appliqué. Il n’était plus dans la surdemande et ne disait plus être angoissé.

Ne pas passer de rien à trop d’un seul coup

Avant de choisir de modifier son accompagnement, nous avons pris le temps de voir entre nous si nous avions tous dressé le même constat. Puis nous avons fait part de nos observations à nos coordinatrices et au psychologue qui intervient au sein de l’établissement. Nous avons pu en conclure que ces quelques semaines de confinement obligatoire avaient permis à Damien de s’apaiser. Nos constatations et nos demandes d’adapter son planning d’activités sont arrivées au moment du déconfinement du foyer de vie. En effet, notre chef de service, ainsi que nos coordinatrices, ont pris la décision de réintroduire les activités au fur et à mesure, avec un petit nombre de participants, afin de ne pas passer de rien à trop d’un coup. Damien, lui, a d’abord eu deux ou trois activités par semaine pour progressivement arriver à une par jour. L’effet s’est révélé positif : nettement moins en demande, Damien met de surcroît de l’application dans ce qu’il entreprend et éprouve beaucoup de fierté lorsqu’il nous le fait observer.

Pour d’autres résidents du foyer, nous avons pu constater que le fait de ne pas pouvoir partager des activités avec leurs pairs ou tout simplement passer du temps avec eux posait problème. Ce fut le cas pour Louis : la présence des autres à ses côtés est importante et sûrement rassurante. Pour qu’il ne se sente pas trop isolé durant cette période, nous avons réaménagé son espace de vie, notamment la place de son bureau (sur lequel il prend son repas), pour qu’il puisse avoir la possibilité de voir, d’échanger avec ceux dont les chambres se trouvent face à la sienne.

Retrouver de l’autonomie et des repères

De manière générale, Louis n’a jamais investi sa chambre. Il ne s’y rend que pour dormir, refuse d’allumer sa télévision ou d’écouter de la musique sur son poste. Il aime être là où il y a du monde (salons des différentes unités, hall d’accueil du foyer, couloir devant le bureau de l’équipe éducative). Depuis plusieurs semaines, Louis a repris ses habitudes. Nous veillons à ce qu’il continue à passer du temps avec les autres et qu’il ne s’isole pas trop, ce qui est pour lui un signe de mal-être. Le contexte nous a aidés à comprendre l’importance que peut avoir l’interaction avec d’autres personnes dans son bien-être au quotidien.

Les exemples de Damien et de Louis l’illustrent : les éducateurs ont pu tirer parti du confinement pour amorcer une nouvelle dynamique dans leurs prises en charge. Toutefois, j’apporterais quelques nuances. Les résidents sont restés sous-stimulés pendant quatre, voire cinq semaines. De quoi occasionner chez certains une perte de repères ou d’acquis, due à l’absence de pratique (le fait de ne plus faire par eux mêmes).

Prenons l’exemple de Paul. Avant cet épisode, il était assez autonome dans certains actes de la vie quotidienne (ménage de son lieu de vie, habillage, codes sociaux, reconnaissance d’objets de son quotidien). Aujourd’hui, ces actes sont plus compliqués pour lui. Il demande de l’aide en permanence, ce qu’il ne faisait pas auparavant. L’équipe éducative en a discuté avec le psychologue et l’infirmière du foyer, et nous en avons conclu que la pathologie de ce résident, la trisomie 21, jumelée avec un confinement strict en chambre, a pu provoquer une perte d’autonomie sur des actes qui semblaient être acquis.

Nous travaillons avec lui afin de l’aider petit à petit à retrouver son indépendance. Cela se traduit par la mise en place de jeux, de mimes, de mises en situation, notamment lors de l’activité théâtre que nous proposons, de photos en lien avec son quotidien, d’exercices dans le cadre de l’atelier “petite cuisine”. Un travail de répétition et de cohérence d’équipe pourra peut-être permettre à Paul, ainsi qu’aux autres résidents concernés, de retrouver des repères.

Nos résidents ont été, pour la plupart, surprenants dans leurs façons de supporter un changement aussi rapide et brutal. Très peu de signes d’angoisse ou de mal-être ont été observés, aucun traitement “si besoin” n’a été donné. Je pense pouvoir affirmer que c’est en grande partie ce qui a aidé les professionnels à tenir le coup. Il nous a été possible de tirer d’un événement négatif, tel ce confinement strict, des points positifs, qui nous ont aidés à améliorer notre accompagnement, à mieux comprendre les personnes auprès desquelles nous travaillons au quotidien. »

Contact : leneveu.w@gmail.com

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