Auréolée d’une valeur constitutionnelle, quasi sacrée, la liberté d’aller et venir – se déplacer, stationner, séjourner – fait partie intégrante des droits fondamentaux de la personne (Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, art. 4 ; Constitution du 4 octobre 1958, art. 66), à laquelle il ne peut être dérogé que de façon stricte et encadrée par le législateur, sous le regard scrupuleux du Conseil constitutionnel.
Il est cependant des hypothèses où cette liberté revêt des contours particuliers pour certaines catégories de personnes, au premier rang desquelles les « gens du voyage ». Marqués par une culture empreinte d’un nomadisme séculaire, ceux-ci évoluent dans une société où, au contraire, la sédentarité, tant en milieu urbain qu’en milieu rural, est une donnée sociale de longue date. Ces deux modes de vie aussi différents n’ont eu de cesse de créer frictions et autres préjugés tenaces, jusqu’à des discriminations assumées envers les gens du voyage, notamment vis-à-vis de la liberté d’aller et venir.
Pour autant, il s’est avéré nécessaire, au fil du temps, sous l’effet des exigences d’un Etat de droit, d’établir un équilibre subtil entre les intérêts des diverses parties en présence. D’un côté, ceux des personnes concernées – bénéficier de conditions de vie décentes, exercer pleinement leurs droits… –, de l’autre les intérêts d’autrui – le respect du droit de propriété, les occupations illicites de biens faisant traditionnellement et régulièrement l’objet de traitement médiatique –, enfin l’Etat, garant de l’intérêt général, devant permettre les conditions de la paix sociale et de la solidarité nationale.
Le présent dossier a pour vocation de fixer un regard contemporain concernant la question de la liberté de circuler et de s’installer des gens du voyage. Après un arrêt sur la notion de « gens du voyage », on constatera une évolution favorable, au gré des lois, de l’expression de cette liberté, en dépit des risques de régression en germe, comme pourrait en témoigner une proposition de loi sénatoriale faite au début de l’année 2021 et objet de vives critiques.
La loi française interdit de classifier la population en groupes ethniques. Elle a ainsi opté pour les termes « gens du voyage », certes assez vagues, pour éviter toute stigmatisation et autres préjugés, créant une notion administrative autonome. L’ethnicisation d’une population est proscrite, la loi privilégiant le mode d’habitat. Les « gens du voyage », selon cette catégorie administrative introduite par la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 sur l’exercice des activités économiques ambulantes et le régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe (voir page 24) créant également un statut juridique dérogatoire, sont ainsi les personnes ne disposant pas de domicile fixe et ayant pour habitat principal et traditionnel une habitation mobile installée sur des aires d’accueil ou des terrains prévus à cet effet, telle que camping-car, caravane… – « résidence mobile terrestre », selon la loi.
A noter : Avant cette loi de 1969 et l’émergence du vocable « gens du voyage », le terme « nomades » était celui consacré par la loi.
L’expression – et par là même le statut fixé par la loi de 1969 – a été ensuite reprise par les lois dites « Besson » de 1990 et 2000 (voir page 24) organisant l’accueil des gens du voyage sur les aires destinées à cet effet.
La loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté (voir page 26) a abrogé la loi du 3 janvier 1969. L’abrogation du statut administratif dérogatoire du droit commun des gens du voyage est alors d’application immédiate à compter du 29 janvier 2017.
Il s’agit simplement de la disparition d’un statut administratif, la notion et le vocable demeurent.
Si la notion a été précisée par la loi, si le statut de « gens du voyage » a disparu, la catégorie des gens du voyage n’en recèle pas moins une grande hétérogénéité, le dénominateur commun demeurant, sinon une traditionnelle « mobilité », du moins un mode de vie caractérisé par un habitat mobile.
De nationalité française pour une très grande majorité d’entre eux, on dénombre environ 400 000 personnes pouvant se rattacher à la catégorie des gens du voyage. Au sein de cette catégorie plusieurs distinctions s’imposent, liées soit à l’origine des individus (Pirdé, Yéniches, Sinti-Piémontais, Gitans, Manouches…), soit à la catégorie socioprofessionnelle d’appartenance (forains, travailleurs saisonniers…).
Loin d’être homogène, le groupe des « gens du voyage » revêt des réalités sociales et économiques très diverses.
Si la mobilité des gens du voyage est une de leurs caractéristiques essentielles, il n’en reste pas moins que, à ce jour, sous l’effet de diverses raisons économiques et sociales, un tiers seulement d’entre eux demeurent de « purs nomades », contre un tiers devenus semi-sédentaires et un tiers totalement sédentaires.
Les personnes classées parmi les gens du voyage sont globalement intégrées économiquement, exerçant tant en indépendants – activités foraines, second œuvre du bâtiment, élagage, entretien d’espaces verts, ferraillage, artisanat traditionnel, marchés et démarchage à domicile – qu’au titre du salariat – activités saisonnières agricoles, bâtiment –, tout en ayant fait initialement le choix d’une vie non sédentaire. Pour autant, les niveaux de vie sont loin d’être homogènes socialement et économiquement, et les situations de précarité, voire de pauvreté, ne sont pas rares, une réalité renforcée par les difficultés à exercer pleinement des droits sociaux pourtant légalement reconnus (emploi et travail, accès aux services bancaires…).
Citoyens à part entière, les gens du voyage, à l’instar des autres catégories de population, sont d’authentiques sujets de droits. Cependant, il convient de constater de nombreuses entorses à la pleine jouissance des droits :
• en matière de droits civils et politiques. Egalité devant la loi, droit de circuler librement, droit à la propriété, droit de vote… le bilan apparaît positif dans l’effectivité de la jouissance des nombreux droits en question, en dépit de zones d’ombre ;
• en matière de droits sociaux et culturels. Un grand nombre de difficultés perdurent dans l’accès aux droits sociaux, preuve s’il en est de la persistance des préjugés et des discriminations de fait.
Ainsi, dans différents domaines, l’accès à certains droits demeure problématique. Si le bénéfice de certaines prestations sociales et familiales auprès des caisses d’allocations familiales est acquis, le logement, l’emploi, la scolarisation, l’accès à certains biens ou services… laissent un important chantier d’améliorations possibles.
La mise en place du contrôle du nomadisme et du vagabondage sur le territoire national remonte à l’Ancien Régime. Au XXe siècle, l’arsenal législatif tendant à une surveillance administrative et policière des gens du voyage peut se décliner comme suit.
• Loi du 16 juillet 1912 sur l’exercice des professions ambulantes et la circulation des nomades.
Cette loi avait créé un carnet anthropométrique obligatoire pour tous les nomades âgés de plus de 13 ans. Ce carnet avait pour vocation de consigner tous les déplacements, assurant une étroite surveillance de ces populations. Les carnets dits « individuels » devaient être signés quotidiennement dans chaque lieu d’arrêt des nomades, par les autorités locales (maires, adjoints…). De même, les groupes de nomades devaient posséder des carnets dits « collectifs » contenant les noms de tous les individus appartenant à un groupe, notamment les enfants, dispensés de porter le carnet individuel.
Plusieurs informations anthropométriques, ainsi que les empreintes digitales et des photos d’identité de profil et de face, devaient obligatoirement figurer.
• Loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe.
Elle abroge la loi de 1912, les « nomades » sont maintenant appelés « gens du voyage » et le « carnet anthropométrique » est remplacé par des titres spécifiques, tandis que ces dispositions ne s’appliquent pas aux personnes sans abri, ni aux bateliers.
La loi de 1969 institue notamment, en plus de la détention de la carte d’identité française :
– un « livret spécial de circulation » pour les Français exerçant une activité ambulante n’ayant ni domicile ni résidence fixes de plus de 6 mois dans un Etat membre de la Communauté européenne, ainsi que pour les personnes les accompagnant ;
– un « livret de circulation » pour les personnes de plus de 16 ans, y compris françaises, n’exerçant pas d’activité ambulante mais logeant de façon permanente dans un habitat ou abri mobile dès lors qu’elles justifiaient de ressources régulières suffisantes ;
– un « carnet de circulation » pour les mêmes personnes susvisées, dès lors qu’elles ne justifient pas de ressources suffisantes, document à viser tous les 3 mois, son absence étant passible d’une peine d’emprisonnement.
Il est prévu que la validité des titres doit être prorogée selon une périodicité variable selon le titre.
Par ailleurs, cette loi a imposé diverses obligations impératives :
– la nécessité d’être rattaché à une commune au moins 3 ans pour exercer son droit de vote ;
– le rattachement administratif à une commune de personnes détentrices d’un titre de circulation ne devait pas dépasser 3 % de la population de celle-ci.
Enfin, les détenteurs de livret ou de carnet de circulation ont l’obligation de pointer régulièrement au commissariat ou à la gendarmerie.
• Loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement (dite loi « Besson 1 »). Au sujet des problématiques liées au séjour et aux conditions de vie des gens du voyage, la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, dite loi « Besson », a imposé aux départements d’établir des schémas départementaux prévoyant « les conditions d’accueil spécifiques des gens du voyage » et a contraint les communes de plus de 5 000 habitants à réserver aux gens du voyage des terrains aménagés.
A noter : Peu de contraintes étant imposées aux collectivités réticentes, on constate que 10 ans après la mise en vigueur de cette disposition, à peine un quart des communes concernées s’étaient acquittées de leurs obligations envers les gens du voyage. Cet état de fait a provoqué une nouvelle intervention législative : la loi « Besson 2 ».
• Loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage (dite loi « Besson 2 »). Elle a abrogé les dispositions de la première loi « Besson » et renforcé les obligations des communes. Elle a alors pour objectif clair de définir un équilibre pérenne entre, d’une part, la liberté d’aller et de venir et le souci des gens du voyage à pouvoir séjourner dans des conditions décentes et, d’autre part, le souhait légitime des élus locaux d’éviter des installations illicites, créant crispations et tensions entre leurs administrés et la communauté des gens du voyage.
Ainsi, chaque partie fait face à des droits et des devoirs : les collectivités locales ont la responsabilité légale d’assurer un accueil effectif et décent des gens du voyage ; les gens du voyage ont l’obligation de respecter les règles relatives au respect de la propriété ; l’Etat doit être le garant de cet équilibre.
• Un outil central : le schéma départemental d’accueil des gens du voyage. La loi a prévu dans chaque département l’élaboration d’un schéma d’accueil des gens du voyage, élaboré conjointement par l’Etat et le conseil départemental, qui, en fonction des besoins constatés, doit prévoir le nombre, la localisation et la capacité des aires permanentes d’accueil, des terrains familiaux locatifs et des aires de grand passage à créer par les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), ainsi que les interventions sociales nécessaires aux populations concernées. Les communes de plus de 5 000 habitants figurent obligatoirement à ce schéma.
Les communes de moins de 5 000 habitants ne sont pas pour autant dispensées de toute obligation d’accueil des gens du voyage. Bien que non astreintes à une obligation légale d’accueil, ces communes doivent respecter une obligation jurisprudentielle d’accueil temporaire des gens du voyage, qui est d’une durée de 48 heures.
En contrepartie, l’Etat peut accorder des subventions spécifiques aux EPCI pour réaliser ces aires et terrains, après avoir eu recours à une mission d’ingénierie aux fins de cerner les besoins des gens du voyage.
Enfin, les comportements et habitudes de vie des gens du voyage évoluant et la sédentarisation se développant, des logements adaptés peuvent être réalisés avec un financement par des aides à la pierre.
• Les différentes formes d’accueil et d’habitat des gens du voyage. L’accueil et l’habitat prennent les formes suivantes :
– l’« aire permanente d’accueil » ayant vocation à accueillir les itinérants ;
– l’« aire de grand passage » destinée à répondre aux besoins de déplacement des gens du voyage en grands groupes à l’occasion des rassemblements traditionnels ou occasionnels, avant et après ces rassemblements ;
– le « terrain familial », qui répond à une demande des gens du voyage qui souhaitent disposer d’un ancrage territorial à travers la jouissance d’un lieu stable aménagé et privatif, sans pour autant renoncer au voyage une partie de l’année. Les bailleurs sociaux peuvent en réaliser ;
– le « logement social adapté », envisageable sous conditions de ressources.
Loi n° 2018-957 du 7 novembre 2018 relative à l’accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites (dite loi « Carle »).
Près de 20 ans après la loi « Besson », les obligations d’accueil des communes et des établissements publics de coopération intercommunale sont notamment révisées tandis que des obligations nouvelles sont fixées à la charge des gens du voyage et que les sanctions pénales les visant sont renforcées.
La loi distingue clairement les compétences respectives des communes – présence d’une aire ou d’un terrain d’accueil sur leur territoire et participation, le cas échéant, à leur financement – et des EPCI chargés de l’aménagement, de l’entretien et de la gestion de ces aires et terrains.
De plus, les représentants de groupes de gens du voyage doivent informer les autorités locales en cas de grands rassemblements et de grands passages (plus de 150 caravanes) afin de mieux les organiser, le préfet se voyant confier le pouvoir de police lors de ces manifestations.
Le texte réforme les procédures d’évacuation des stationnements illicites de gens du voyage ; il prévoit notamment qu’une commune remplissant ses obligations en matière d’accueil des gens du voyage est en droit d’évacuer les campements illicites. Cette possibilité est ouverte au maire, y compris si l’EPCI auquel la commune appartient n’a pas rempli ses obligations.
Enfin, les sanctions pénales en cas d’occupation illicite d’un terrain sont renforcées. Les peines encourues en cas d’installation en réunion et sans titre sur le terrain d’autrui sont doublées. La procédure d’amende forfaitaire délictuelle est amenée à être appliquée.
• La décision du Conseil constitutionnel du 5 octobre 2012. De nombreuses voix s’étaient élevées depuis la loi de 1969. Considérée par certains – avocats, défenseurs des droits de l’Homme… – comme une loi d’« apartheid », restreignant considérablement la liberté d’aller et venir des intéressés, cette loi a fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) transmise aux juges de la rue de Montpensier.
Le 5 octobre 2012, ceux-ci ont considéré que le « carnet de circulation » obligatoire constituait une contrainte telle qu’elle portait « une atteinte disproportionnée à l’exercice de la liberté d’aller et de venir » et « restreignait de manière injustifiée l’exercice des droits civiques ».
En outre, le Conseil constitutionnel a également estimé que la disposition législative obligeant ces personnes à attendre 3 ans avant de pouvoir s’inscrire sur les listes électorales dans leur commune de rattachement constituait une restriction injustifiée de l’exercice des droits civiques – cette durée a ensuite été réduite à 6 mois.
En revanche, les sages ont maintenu le « livret de circulation », considérant le dispositif moins contraignant car ne nécessitant qu’un seul visa par an. Par ailleurs, ils n’ont pas censuré, d’une part, l’obligation de choisir une commune de rattachement, ni, d’autre part, la disposition prévoyant que le nombre de personnes détentrices d’un titre de circulation rattachées à une commune ne devait pas dépasser 3 % de la population de celle-ci.
• Loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté. La catégorie juridique des « gens du voyage » avait été introduite par la loi du 3 janvier 1969. Comme déjà évoqué, cette dernière avait déjà vu certaines de ses dispositions déclarées inconstitutionnelles. La loi du 27 janvier 2017 porte l’estocade et l’abroge, car jugée notoirement discriminante. Elle met fin aux emblématiques titres de circulation jusque-là obligatoires, à l’obligation de rattachement à une commune et au régime spécifique de domiciliation (voir page 24). Ce texte, aboutissement d’un long processus de promotion de l’égalité entre les citoyens et de la citoyenneté des gens du voyage, signe plus généralement la fin du statut dérogatoire au droit commun de cette catégorie de population.
A compter du 29 janvier 2017, les gens du voyage ont désormais pu, à l’image des autres citoyens français, justifier leur identité par la production d’une seule carte nationale d’identité ou d’un passeport.
La domiciliation des gens du voyage ne s’opère plus par le choix d’une commune de rattachement, mais auprès du centre communal ou intercommunal d’action sociale dont dépend leur ancienne commune de rattachement, ou auprès d’un organisme agréé de leur choix.
A noter : L’article L. 264-1 du code de l’action sociale et des familles est applicable aux gens du voyage : « Pour prétendre au service des prestations sociales légales, réglementaires et conventionnelles, à l’exercice des droits civils qui leur sont reconnus par la loi, ainsi qu’à la délivrance d’un titre national d’identité, à l’inscription sur les listes électorales ou à l’aide juridictionnelle, les personnes sans domicile stable doivent élire domicile soit auprès d’un centre communal ou intercommunal d’action sociale, soit auprès d’un organisme agréé à cet effet. »
L’acquis législatif en matière de liberté de circuler, de s’installer et de séjour est puissant. Cependant, le thème des « gens du voyage » continue d’alimenter études et commentaires. Le sujet demeure sensible. Un des points de tension réside dans les occupations illicites de terrains par les gens du voyage et le manque de moyens des élus locaux pour agir contre ce phénomène et assurer plus effectivement l’accueil de cette population. Au point qu’un nouvel acte législatif pourrait aboutir en 2021. Ainsi, plus de 2 ans après l’adoption de la loi « Carle », texte d’origine sénatoriale qui visait à « soutenir les collectivités territoriales dans leur mission d’accueil des gens du voyage » (voir page 25), le Sénat s’est emparé à nouveau du « sujet sensible » de la gestion de l’accueil des gens du voyage.
« Gestion des flux », « éviter la surcharge d’aires d’accueil », « renforcer l’arsenal contre les installations illégales ». Tels sont les termes utilisés par des sénateurs du groupe Les Républicains en marge de leur proposition de loi adoptée le 19 janvier 2021. L’amélioration des moyens d’action et l’allègement des obligations des collectivités territoriales, d’une part, et le durcissement des sanctions à l’encontre des contrevenants, d’autre part, sont les enjeux.
Des dispositions sont présumées apporter une amélioration des outils au bénéfice des collectivités territoriales, aux fins d’une meilleure maîtrise de l’accueil des gens du voyage :
• créer un cadre législatif pour les stratégies régionales de gestion de flux, afin d’harmoniser, d’améliorer et de rendre plus lisibles le recensement de ces flux et l’anticipation des saturations ;
• établir un cadre législatif pour la mise en place de dispositifs de réservation préalables à l’accès aux aires d’accueil des gens du voyage ;
• permettre aux collectivités territoriales de comptabiliser en tant que logements sociaux les emplacements des aires permanentes d’accueil des gens du voyage au titre de l’article L. 302-5 du code de la construction et de l’habitation ;
• supprimer la procédure de consignation de fonds à l’encontre des communes et des établissements publics de coopération intercommunale ne respectant pas le schéma départemental d’accueil des gens du voyage ;
• prendre en compte, lors de la décision de réalisation d’aires et terrains d’accueil, le taux d’occupation moyen des aires et terrains existants dans le même secteur géographique d’implantation.
De nombreuses dispositions sont destinées à faire respecter le droit de propriété en promouvant un durcissement des sanctions en direction des gens du voyage :
• renforcement des outils de lutte contre les installations illicites, en particulier via la création d’un dispositif d’astreinte solidaire payable par tout ou partie des personnes du groupe illégalement installé ;
• application d’une peine aggravée en cas de destruction, de dégradation ou de détérioration d’un bien appartenant à autrui lorsque ces faits sont commis au cours d’une installation illicite ;
• création d’un délit d’occupation habituelle en réunion sans titre d’un terrain et application d’une peine complémentaire d’interdiction de séjour en cas d’infraction d’occupation en réunion sans titre d’un terrain.
Lors de l’adoption au Sénat de cette proposition de loi, de vifs échanges ont eu lieu. En tout cas, le gouvernement semble recevoir peu favorablement le texte. Lors de son examen en séance publique, Emmanuelle Wargon, la ministre déléguée en charge du logement, a expliqué que « l’accueil des gens du voyage dans des conditions dignes est une responsabilité collective. La loi “Besson” du 5 juillet 2000 a établi un équilibre entre la liberté d’aller et venir des gens du voyage et le souci des pouvoirs publics d’éviter des installations illicites susceptibles de porter atteinte au droit de propriété et de causer des troubles à l’ordre public. » Emmanuelle Wargon précise : « Vingt ans après la loi “Besson”, seulement un schéma départemental sur quatre est pleinement abouti », et critique la position de « cette proposition de loi qui en fait porter la responsabilité aux seuls gens du voyage et je ne partage pas cette vision. »
Sa conclusion est claire, elle se déclare « défavorable à cette proposition de loi, qui va trop loin, en stigmatisant les gens du voyage. Restons-en à la loi “Besson” ! »
En réponse aux propositions sénatoriales, des organismes et associations de défense des gens du voyage se sont montrés très sévères, notamment dans ses dispositions renforçant la répression pénale, dénonçant globalement « une somme de renforcement des contrôles et des sanctions, qui ont d’ailleurs de tout temps démontré leur parfaite inefficacité ».
Selon l’Observatoire des droits des citoyens itinérants (ODCI), cette proposition de loi est « déshumanisante » et remet en cause « le mode de vie, l’identité et la culture des voyageurs ». Il ajoute : « Cette loi mettra de force les voyageurs dans des terrains désignés ségrégués et généralement insalubres. » Plus grave encore, la saisie des véhicules à usage d’habitation risque de laisser les familles « sans aucune solution de logement et donc sans abri ».
On pointe également le renforcement du rôle et des pouvoirs des autorités locales alors que celles-ci sont loin de respecter leurs obligations légales en matière d’accueil et d’équipements des aires dédiées issues de la loi « Besson » de 2000. Nara Ritz, coordinateur à l’ODCI et lui-même voyageur, dresse un tableau très contrasté de la qualité des aires d’accueil, beaucoup n’étant pas du tout adaptées : éloignement des villes, loin de tout service, situées dans des zones industrielles à proximité de déchèteries, d’usines chimiques, de stations d’épuration, d’échangeurs d’autoroute. « Il y a des terrains avec des gros problèmes sanitaires, ou des terrains déjà saturés. » Face à ces carences des collectivités, il ne manque pas de relever qu’est envisagée la suppression de l’obligation, pour la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale, de consigner entre les mains d’un comptable public les sommes correspondant au montant des dépenses non effectuées, des dépenses pourtant légalement obligatoires et à la charge des collectivités.
Au sujet de la mise en place d’un système de réservation des aires d’accueil, contraignant à donner des informations personnelles pour pouvoir y accéder, l’autorisation pouvant être refusée, William Acker, chercheur et voyageur, précise : « Jusqu’ici, le système de réservation n’existait que pour les grands groupes, sur les aires de grand passage, ce qu’on peut comprendre en termes de besoins logistiques. Là, les sénateurs veulent que cela soit obligatoire sans limite de nombre. Donc, même des familles avec deux ou trois caravanes y seront soumises. Cela équivaut à donner carte blanche aux collectivités pour refuser qui elles veulent »(1).
Nara Ritz conclut : « Cette proposition est à charge contre nous, elle parle de nous non pas comme des êtres humains mais comme des “flux”. Son objectif, c’est de légaliser l’assignation spatiale. On porte ici vraiment atteinte à nos cultures de nomades. »
A noter : La proposition de loi sénatoriale doit être examinée à l’Assemblée nationale dans le courant de l’année. Les députés pourront la rejeter purement et simplement ; il leur sera également loisible de la transformer profondément, en l’expurgeant de toutes ses dispositions les plus critiquées.
Les difficultés déjà récurrentes rencontrées sur les terrains social et économique se sont aggravées avec la Covid-19. Interruption de l’itinérance, interdiction de changer de site, déscolarisation des plus jeunes, risques accrus du fait de la promiscuité des conditions sanitaires sur les aires d’accueil… ont rythmé le quotidien des gens du voyage au plus fort de la pandémie. Malgré la mobilisation des services de l’Etat, des collectivités territoriales et du secteur associatif, la Gazette des communes titrait, en février dernier : « Les gens du voyage parents pauvres de la gestion de la crise. » Et Laurent El Ghozi, président de la Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et les gens du voyage (Fnasat), de déplorer : « Les gens du voyage sont les invisibles des politiques publiques, et cela se confirme malheureusement aujourd’hui, avec la crise du Covid-19. »
Créée par le décret n° 2015-563 du 20 mai 2015, la Commission nationale consultative des gens du voyage (CNCGV) est chargée, auprès du Premier ministre :
• d’étudier les questions relatives aux gens du voyage, en particulier celles en lien avec leur mode de vie mobile, et de faire des propositions pour garantir l’accès à l’ensemble de leurs droits ;
• d’assister le gouvernement de ses avis sur toutes les questions de portée générale qui concernent les gens du voyage ;
• d’assurer une concertation entre les pouvoirs publics et les associations, organisations et personnalités désignées en raison de leurs compétences qui agissent avec les gens du voyage ;
• de veiller à associer les gens du voyage à ses travaux.
Certaines entités ont des missions de promotion des droits humains qui dépassent la seule thématique des gens du voyage, alors que d’autres luttent spécifiquement pour la reconnaissance et l’effectivité de leurs droits :
• la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH). Créée en 1947 et assimilée à une autorité administrative indépendante (AAI), la CNCDH assure en toute indépendance, auprès du gouvernement et du Parlement, un rôle de conseil et de proposition dans le domaine des droits de l’Homme, du droit et de l’action humanitaire et du respect des garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. Elle rend périodiquement des avis et des études sur la problématique étudiée ;
• le défendeur des droits. Autorité administrative indépendante créée en 2008, le défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d’une mission de service public. Il rend des études et autres rapports en lien avec la population des gens du voyage (voir entre autres dernièrement : Défenseur des droits, « Fiche réforme n° 33 – Les gens du voyage », juillet 2020) ;
• l’Observatoire des droits des citoyens itinérants (ODCI), l’Association nationale des gens du voyage citoyens (ANGVC), la Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et les gens du voyage (Fnasat).
(1) Voir plus globalement : W. Acker – Où sont les gens du voyage ? Inventaire critique des aires d’accueil – Ed. du Commun, avril 2021.