La pandémie de Covid-19 a exacerbé les inégalités et les a révélées au grand jour, bouleversant l’ordre social. Deux sociologues, Anne Lambert et Joanie Cayouette-Remblière, y consacrent un ouvrage de fond dont la philosophe Dominique Méda, spécialiste des politiques sociales, estime dans sa préface qu’il « fera sans aucun doute date, comme la publication de La misère du monde de Pierre Bourdieu ». Leur travail s’appuie sur les résultats de la vaste enquête « Coconel » consacrée au logement et aux conditions de vie ainsi que sur des entretiens avec des Français confinés. Il en résulte 21 portraits, des existences ordinaires qui constituent autant de témoignages des fractures en cours dans la société. Le 17 mars, un confinement généralisé s’est mis en place, où les considérations socio-économiques de la population – déjà dégradées bien avant la crise sanitaire – ont été ignorées face à l’urgence des enjeux médicaux et sanitaires. Pourtant, toute la population n’a pas été exposée de la même manière au virus, et l’on sait aujourd’hui que les plus défavorisés en termes d’habitat, d’emploi ou d’environnement ont davantage été touchés. La vulnérabilité n’est pas qu’une affaire individuelle et biologique. Mais une brèche dans l’appel à l’unité nationale. Car, non, il n’existe aucun rapport entre l’insouciance des catégories sociales supérieures et l’inquiétude des classes moyennes. Et, oui, certains salariés se demandent s’ils vont quitter Paris pour s’installer en province, tandis que d’autres craignent le déclassement. Oui, d’aucuns bénéficient de soutiens familiaux, et d’autres, pas. Non, les femmes ne sont pas logées à la même enseigne que les hommes et le marché du travail pourrait bien se détériorer pour elles. Oui, plus la crise dure et plus le sentiment d’injustice entre les catégories professionnelles risque d’augmenter. Finalement, c’est notre modèle social que le coronavirus interroge aujourd’hui, et les failles d’un système qui laisse la part belle à la conditionnalité croissante des aides, à la baisse des dépenses publiques au profit des logiques privées.
« L’explosion des inégalités. Classes, genre et générations face à la crise sanitaire » – Anne Lambert et Joanie Cayouette-Remblière – Ed. de l’Aube, 25 €.