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Clown en route : le jeu comme objet de métamorphose

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Créée en 1999, l’association Clown en route, agréée service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS), travaille avec une vingtaine d’établissements sociaux ou médico-sociaux. Un modèle unique dans l’univers du clown : ici, ce sont les personnes accompagnées elles-mêmes qui chaussent le nez rouge au sein de la compagnie de leur propre établissement.

Sur scène, il s’appelle le « Clown danseur », il parle fort et ne cesse de remuer. Au foyer de vie pour adultes handicapés La Couronne, à Boé (Lot-et-Garonne), une fois le nez ôté, il arbore un tout autre visage. Bien moins extraverti, de son propre aveu. Amateur de natation et d’animaux, Florian Ponsard se transforme chaque fois qu’il monte sur scène. « Je ne pense pas au foyer quand je suis habillé en clown. Le corps change et moi aussi, explique le jeune homme. La compagnie est aussi un lieu d’échange et de jeu. C’est l’occasion pour moi de découvrir les autres dans la vie de tous les jours. » Florian Ponsard résidait dans un institut médico-éducatif (IME) voisin lorsqu’il a découvert Clown en route, en 2015. Depuis, après avoir connu trois compagnies différentes, il a intégré le conseil d’administration de l’association, autant pour agir que pour les moments de partage autour d’un café ou d’un déjeuner.

Installée à Moirax, près d’Agen, l’association Clown en route est, depuis 2010, un service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS), doté d’un agrément de 79 places. Parmi ses partenaires : des instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (Itep), des maisons d’enfants à caractère social (Mecs), des foyers d’accueil médicalisés (FAM) ou encore des services d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad). Chacune de ces structures a créé sa propre compagnie, composée de volontaires. Elles se nomment Les Rigolos, Les Clowns en vadrouille, Les Voyageurs déchaînés ou Les Increvables.

Dans la peau d’un autre

Une fois par mois environ, un animateur de Clown en route vient chercher les membres d’une compagnie, en mini-bus, pour une journée de jeux et d’improvisation. De temps en temps, l’association leur propose des stages, qui peuvent s’apparenter à des séjours de rupture. « On passe trois ou quatre jours avec les membres de plusieurs compagnies dans un lieu de vacances », explique Emmanuelle Lalanne-Jouandet, responsable de l’association.

Les séances sont toutes uniques, mais elles répondent à des rituels qui facilitent le lâcher prise. D’abord, un temps d’accueil qui permet, en cercle, d’annoncer son humeur du jour. Ensuite, des échauffements autour du corps, de la voix, du plaisir d’être ensemble. Suit l’habillage : « Les acteurs vont en coulisses. Dans la symbolique, ils se préparent à être quelqu’un d’autre, à se réapproprier leur corps. C’est très important, souligne l’animateur Florian Delattre. Si on a huit participants, on prépare vingt tenues pour que la personne soit véritablement actrice de ses décisions. » Une fois habillés, les acteurs chaussent le nez. Place à l’impro avec un thème et des structures de jeu qui, là encore, vont faciliter l’expression. « Ils peuvent être à quatre ou en duo, avec la possibilité de se cacher ou non, poursuit Florian Delattre. La corde délimite l’espace scénique pour éviter toute confusion entre la réalité et la fiction. La cloche sépare l’espace d’un point de vue temporel. »

Médecins sans frontières (MSF) a mis en place des ateliers avec des mineurs non accompagnés en recours. « Tant que le juge n’a pas statué, ils sont dans un vide administratif : ni mineurs, ni majeurs, explique Mélanie Kerloc’h, psychologue clinicienne. On souhaitait que ces jeunes puissent jouer et s’exprimer. Clown en route leur a proposé un espace bordé, qui ne les met pas en difficulté et où ils peuvent déposer quelque chose d’eux-mêmes, qui passe par l’émotion et le rire. »

Par-delà les différences

Pour ces jeunes au parcours souvent traumatique et émaillé d’incertitude, l’activité permet d’habiter le présent avec une grande spontanéité. « Le jeu, qu’il passe par le rire ou l’expression des émotions, est vital, comme le fait de dormir ou de manger », estime Mélanie Kerloc’h. Cette dernière évoque le cas d’un Afghan qui dit n’avoir pas joué depuis son départ du pays, trois ans auparavant, et qui ne maîtrise pas bien le français. Qu’à cela ne tienne ! Il s’exprime dans sa langue maternelle que les autres s’appliquent à reprendre à l’identique. Il peut encore parler le grommelot, ce langage imaginaire utilisé en lien avec le mime. « On voyage ensemble, et, régulièrement, on revient au port d’attache avec l’aide de médiateurs et d’interprètes qui permettent de poser le cadre, favorisent les temps d’échange et les retours d’expérience. » Pour MSF, ce nouvel espace de travail met en lumière les ressources de ces jeunes et modifie la relation asymétrique entre travailleurs sociaux et usagers.

Plus que le rire, l’art du clown manie l’expression, la poésie des émotions. Le personnage peut être drôle ou triste, il est toujours humain. A condition de se mettre à nu, sans retenue : « La question du regard de l’autre est moins présente chez les personnes handicapées. Ça joue tout de suite, explique Florian Delattre. Les ateliers en Itep méritent d’être amenés de façon plus fine : il faut commencer par un jeu sur le collectif pour travailler la confiance. » Ensuite, les membres du groupe – clowns intérieurs (du milieu spécialisé) et clowns extérieurs (du milieu ordinaire) – évoluent sur un pied d’égalité.

« A partir de là, on peut s’autoriser beaucoup de choses, sans dénigrer. On évite les gros mots, les propos à connotation sexuelle ou raciste. Mais ça n’empêche pas de plaisanter sur le handicap, si c’est fait avec bienveillance », explique Forian Delattre, qui ne veut pas réduire les personnes à leur différence. « C’est pour cela qu’on accueille des compagnies et non les jeunes de l’IME ou de l’Itep. Sans nier le handicap ou les difficultés des uns et des autres, on essaye d’en savoir le moins possible, pour éviter de faire appel à l’intellect et de rendre l’improvisation plus complexe. Chacun est acteur de son accompagnement. » Il n’empêche qu’il faut composer avec les humeurs et les souffrances des uns et des autres. « Certains viennent nous voir pour déposer une parole. Dans un premier temps, notre travail consiste à l’accueillir, à dédramatiser parfois et à l’inviter à participer. “J’ai entendu ce que tu m’as dit. Mais profite de cette journée pour mettre de côté ce problème et te décaler”. »

Choix éducatif

« On arrive avec ce qu’on est. Qu’on soit buté ou en colère, on chausse le nez. Si certains boudent, les clowns vont aller les chercher avec un geste et les intégrer au jeu », explique Carole Girone, directrice adjointe de l’Itep des Deux-Rivières, dans l’agglomération d’Agen. Pour elle, Clown en route a l’art et la manière de désamorcer des situations face à des enfants écorchés vifs, présentant des troubles du comportement. « Le bras d’honneur d’un enfant va par exemple être détourné, pour être agrandi et en faire une hélice d’hélicoptère. » Faire appel à Clown en route est un choix éducatif fort, malgré son coût, pour l’Association laïque de gestion des établissements d’éducation et d’insertion (Algeei), qui gère l’Itep.

L’activité est inscrite dans le projet personnalisé de l’enfant, qui travaille sur l’estime de soi, la place dans le groupe ou encore l’agressivité. Avec des résultats. En témoigne la situation de ce jeune, très agité, aux comportements délinquants. « A Clown en route, ça fonctionne : il est reçu à l’extérieur, le temps d’un atelier où il vient délesté de son histoire. Pour certains professionnels, ce n’est pas toujours facile à entendre, avoue même Carole Girone. Pourquoi Clown en route y arrive et pas nous ? » Régulièrement, les jeunes d’établissements spécialisés rencontrent des élèves d’écoles et de collèges partenaires mais aussi de futurs travailleurs sociaux en formation. Les plus expérimentés interviennent même lors de colloques, pour y apporter un regard décalé. Et toujours, sur scène, le statut s’efface, les différences s’estompent. Pour laisser place au jeu.

Les vertus du yoga du rire

La formation s’intitule « Sophrologie : être créatif et positif dans l’accompagnement au quotidien ». Dispensée par Institut régional de travail social (IRTS) en Hauts-de-France, elle initie les travailleurs sociaux, entre autres, au yoga du rire. Ici, point d’humour ni de parole. Mais un rire simulé, qui vire à la contagion. Aucune différence avec le rire spontané : les effets, relationnels et sur la santé, sont les mêmes. « Rire à gorge déployée favorise la digestion, le sommeil, muscle le cœur, réduit le stress, la douleur ou le mauvais cholestérol, détaille la formatrice Françoise Corman. Le rire diffuse une énergie positive qui invite à la bienveillance. Et donne envie de rire en dehors des séances. » Au-delà du yoga, la formation appréhende la psychologie positive. « Ce n’est pas la pensée positive : on arrive avec ses problèmes, mais avec le corps, on va s’ancrer dans le présent et sourire à la vie. C’est essentiel pour créer du relationnel, notamment avec les personnes accompagnées. »

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