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Une seconde de trop

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Elle pensait que ce serait facile. Deux ans de formation, un nouveau diplôme, une nouvelle vie. Après des années de galère et de petits boulots, deux ans, ce serait vite passé. Elle avait foncé tête baissée, confiante.

Bien sûr, elle avait lu quelques témoignages qui l’avaient fait douter. Certains disaient que c’était quand même dur de s’organiser, d’autres abandonnaient en cours de route. Mais elle, elle avait confiance. Elle pouvait compter sur sa famille, elle avait déjà un peu vécu, et il y avait des gens qui lui avaient dit que ce métier était fait pour elle.

Sa famille, son expérience et sa volonté la tiendraient à l’écart des difficultés. Deux ans de formation, un diplôme, un boulot à la clé, et à elle le retour à la vie « normale », avec des horaires « normaux » et un salaire « normal » ! Tout était planifié, tout allait bien se passer.

Elle n’avait pas imaginé tout ça. Se replonger dans les cours, trouver du temps pour les révisions, stresser pour les évaluations… Partir en stage loin de chez elle, loin de ses enfants, culpabiliser de rater les premiers pas du petit et le premier voyage scolaire de la grande.

Devenir élève et stagiaire. Trop vieille pour être jeune et trop jeune pour être vieille. Etre celle qui est trop et pas assez, souriante mais pas trop, discrète mais pas trop, qui s’affirme mais pas trop.

Calculer, se priver, recalculer. Parce que l’allocation formation ne remplace pas un salaire, parce que les stages lointains, ça coûte cher en essence, parce qu’il faut aussi payer la nounou, la garderie, la cantine. Calculer encore, et choisir. Un plein d’essence ou un caddie de courses. Inventer et tricher un peu sur les quantités. Ressers-toi ma grande, je n’ai plus faim. Prends un dessert mon bonhomme, moi j’ai fini. Maigrir un peu, puis un peu plus, et tenir à grandes rasades de thé sucré.

Elle s’est accrochée. Elle a fait des fiches avec plein de couleurs pour retenir ses cours. Elle a adopté la posture de l’élève appliquée et de la stagiaire aguerrie. Elle est restée souriante et enjouée devant ses enfants. Elle a bu des litres de thé. Mais ça n’était jamais assez. Ou toujours trop. Trop de cours et pas assez de temps. Trop scolaire et pas assez de questions. Trop de trajets et pas assez d’essence.

Elle avait deux ans à tenir. Elle y était presque. Dernier stage, derniers examens, dernière ligne droite.

Les yeux sur la route et la tête ailleurs. A quoi pensait-elle à ce moment-là ? A ses enfants qu’elle voyait à peine ? A son mari qui ne la voyait plus ? A ses fiches aux couleurs emmêlées ? Ou à son stage qui n’en finissait pas ?

Devant elle, il y avait ce scooter trop lent. Derrière elle, une voiture qui la collait un peu trop. Elle était en retard, agacée et stressée. Elle a accéléré, doublé, klaxonné en jurant. En face, il y a eu ce camion, sorti de nulle part, comme projeté sur la route. Elle a hésité. Juste une seconde. Une seconde pour choisir. Le stage, les examens, et après ? Sa famille éclatée, les dettes, le chômage, tout ça pour ce vide, pour ce rien… La route, le camion, et après ? Elle ferme les yeux. Elle a choisi.

La minute de Flo

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