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Les jeunes rentrent au Bercail

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Dans la commune de Gillonnay, en Isère, Le Bercail paysan accueille en journée des adultes en situation de handicap mental au sein d’une ferme agricole. En plus des activités quotidiennes, à terme, l’association espère devenir un véritable lieu de vie.

Il est 9 h lorsque Martine Croisier se gare devant la ferme du Bercail paysan, dans la petite commune de Gillonnay (Isère). C’est là que, chaque matin, elle dépose son fils, Simon C. C’est de là que, chaque matin, elle repart en toute quiétude pour aller travailler quelques kilomètres plus loin. Et c’est là qu’elle revient, chaque fin d’après-midi, pour le récupérer et rentrer chez eux, à Roybon. Ce matin de mars, elle l’a laissé aux côtés de quatre autres « accueillis » : Astrid, Sylvain, Romain et Simon M. Tous ont entre 20 et 30 ans et présentent un handicap mental. Depuis huit mois, ils viennent, entre quelques heures et plusieurs jours par semaine, pour travailler dans l’exploitation ovine de Romain Poureau, jeune agriculteur installé depuis moins d’un an, qui a noué un partenariat avec l’association Terre de Liens.

S’occuper des animaux, récolter les œufs, entretenir la serre, arroser les plants puis, bientôt, participer au ramassage des légumes et à la vente des récoltes. Les activités ne manquent pas. « On part de l’existant, c’est-à-dire la ferme, et on en fait des ateliers. Le Bercail peut être une solution pérenne pour certains ou transitoire pour d’autres. Notre but est de travailler avec toutes les personnes qui en ont besoin », explique Chantal Bouvier, éducatrice spécialisée, qui encadre les personnes accueillies.

Le soleil n’est pas encore au zénith que le petit groupe s’affaire dans le poulailler. A l’extérieur du cabanon, une pancarte indique « Atelier de poules pondeuses ». Derrière, le poulailler s’ouvre sur plusieurs hectares de prés, auxquels les 240 gallinacés ont directement accès. Concentrée, Astrid nettoie minutieusement chaque œuf à l’aide d’un torchon sec, suivi de près par Simon M., qui les marque d’un coup de tampon. « Pour pouvoir les livrer », souffle-t-il, le sourire aux lèvres. « Ce sont des œufs destinés à être vendus sur les marchés ou livrés chez le chocolatier du coin. Le tampon permet d’indiquer qu’il s’agit d’œufs bio issus de poules élevées en plein air », complète Chantal Bouvier.

En face, un large hangar abrite, d’un côté, les clapiers des lapins et, de l’autre, la bergerie. Avant le déjeuner, il faudra vérifier les réservoirs d’eau, distribuer le foin et remettre de la paille. « On fait ça tous les jours, puis c’est Romain qui vend les lapins », souligne Simon C., sa doudoune sans manches sur le dos. « C’est important de souligner qu’on ne fait pas de médiation animale. Les animaux jouent un rôle, bien sûr, mais on est vraiment dans une exploitation agricole où toutes les activités ont une utilité », précise l’éducatrice spécialisée. Dans le troupeau, les brebis n’ont d’ailleurs pas été nommées. « A l’exception de Neige, l’agneau à qui on donne le biberon », sourit l’encadrante.

Martine Croisier n’est pas qu’une mère. Secrétaire générale de l’association, c’est elle qui a cofondé Le Bercail paysan en partant de son histoire personnelle. « La genèse, c’est notre fils Simon, qui est autiste. Il a été scolarisé en milieu ordinaire – comme le permet la loi de 2002 – jusqu’à la 3e, de façon partielle. C’était un choix, mais il a fallu tout construire. » Vétérinaire en milieu rural, Martine Croisier envisage alors d’orienter son fils vers le secteur agricole. « Il a toujours été passionné de tracteurs, et on avait en tête que ce monde est historiquement un lieu d’accueil pour les personnes différentes. On se souvenait de ces hommes et femmes qui pouvaient toujours donner un coup de main et faire de petites choses à la ferme. » Surtout, Martine Croisier et son mari se montrent lucides. Voyant leur fils atteindre la majorité, ils décident d’agir. « Nous nous sommes dit que nous ne souhaitions pas attendre le moment où l’on ne serait plus en capacité de le garder chez nous. Aujourd’hui, la plupart des adultes handicapés vivent en famille sans aucune solution adaptée. » Rapidement, le couple se met à chercher une structure proche et commence à visiter des lieux de vie et d’accueil (LVA).

L’histoire aurait pu s’arrêter là et Le Bercail paysan ne jamais voir le jour. Mais c’était sans compter la saturation du secteur du handicap et l’énorme manque de diversité au sein des structures. « Nous ne voulions pas un simple lieu de vie mais nous souhaitions que le projet soit couplé à une activité agricole, raconte la mère. Or il n’y a aucune solution intermédiaire entre l’Esat [établissement et service d’aide par le travail] et les propositions d’activités purement occupationnelles. Nous, on voulait proposer des activités “fonctionnelles”. Dans le département, les seules structures existantes sont de grande taille, ça ne correspondait pas à nos attentes d’un lieu de vie familial. »

S’adapter au potentiel de chacun

L’association est créée en juillet 2017. Un processus long de trois ans aura été nécessaire pour que le projet voie le jour et que les premières personnes soient accueillies le 8 juin 2020. Depuis, Chantal Bouvier est embauchée à temps plein à la ferme. En plus de son diplôme d’éducatrice spécialisée, elle a travaillé pendant quatorze ans dans un élevage de chèvres. Au Bercail, elle s’occupe aussi bien d’encadrer les jeunes adultes que de faire le lien avec leurs proches. La structure s’est fixé l’objectif de ne recevoir que sept personnes en même temps. L’éducatrice reçoit chacune d’elles une première fois avec sa famille. Ensemble, ils visitent la ferme et élaborent un projet personnalisé. « Certaines personnes ne vont venir que par tranches de deux heures, sans forcément participer aux ateliers, simplement parce que l’environnement de la ferme et des animaux les apaise et que cela soulage un peu les parents », souligne Chantal Bouvier. Le lendemain, deux adultes doivent venir passer la journée. L’un est bipolaire et l’autre, autiste Asperger. « L’idée est vraiment de s’adapter au potentiel de chacun. C’est du sur-mesure que l’on construit avec les familles. C’est tout l’avantage d’une petite structure », appuie-t-elle.

L’objectif des ateliers organisés par Le Bercail paysan est double : offrir une échappatoire pour les parents au quotidien et renforcer l’estime que les adultes en situation de handicap ont d’eux-mêmes. « D’ordinaire, Simon a toujours besoin de quelqu’un pour s’occuper de lui. Mais ici, c’est lui qui s’occupe des autres, des animaux. C’est un renversement total », s’extasie sa mère. La vision est partagée par Jean-François Doloy, récemment recruté comme moniteu-éducateur à mi-temps et qui travaille depuis plus de dix ans avec des personnes atteintes d’un handicap. Tant le projet que la relation avec les animaux l’ont séduit. « Il y a un résultat immédiat dans le travail qu’on leur propose. Et puis cet aspect qui relève de l’indispensable quand on s’occupe d’animaux : c’est simple, si on ne les nourrit pas, ils meurent. » Pour les deux éducateurs, les ateliers doivent permettre aux jeunes adultes porteurs de handicap d’acquérir un statut social et une image auprès des autres. « Travailler à la ferme est une façon de se réaliser et d’avoir des choses à raconter en rentrant le soir », observe Chantal Bouvier. Assis à côté d’elle, Simon M. tape dans ses mains et affirme à voix haute : « Je suis fier de moi, on a bien travaillé ce matin. »

Les jeunes accueillis au Bercail signent un « contrat de prestation de service » et s’engagent sur une tranche horaire hebdomadaire pour l’ensemble des 42 semaines d’ouverture annuelle de l’association. « Il s’agit de personnes qui ne sont pas capables de travailler en Esat, donc il n’y a aucune obligation de rentabilité. C’est pour ça qu’on ne parle pas de contrat de travail, explique Martine Croisier, la secrétaire générale de la structure. En tant qu’agriculteur, Romain ne compte pas sur nous. On l’aide, ce qu’on réalise peut le soulager, mais son exploitation est calibrée pour une personne. » Mais si aucun lien de subordination ne le lie aux bénéficiaires du projet, le choix d’un tel partenariat est en adéquation avec ses valeurs et sa démarche d’agriculture extensive, bio et non mécanisée. Il aime qualifier ses acheteurs de « consomm’acteurs » : des personnes qui soutiennent par l’achat une agriculture respectueuse de l’environnement et un projet social d’inclusion.

Travailler sur les sens et les perceptions

Il est bientôt 14 h 30 quand la petite troupe rejoint à nouveau la ferme, après la pause déjeuner. Le soleil tape et tout le monde s’est débarrassé de son manteau. Toujours très silencieuse, Astrid a même troqué ses bottes vert fluo fleuries pour des baskets gris et rose. Accompagnée par Chantal Bouvier et Simon C., elle se dirige vers la serre pour un atelier jardinage, tandis que Jean-François Doloy et Simon M. s’attellent à la construction d’un bardage pour fermer le hangar des lapins. « Essaie, on fait ça ensemble tous les deux », lui chuchote le moniteur-éducateur, une longue planche de bois à la main.

Au travail, le professionnel utilise davantage les gestes que les mots. « C’est mon expérience qui m’a prouvé que, dans certaines situations, les signes et les gestes marchaient mieux que les mots, confirme-t-il. Il faut trouver les bons codes. » Avant d’ajouter : « Ce qui est compliqué, c’est de comprendre ce qui se passe en eux. Dans la ferme, avec les animaux et les différentes matières comme le foin, la paille, le bois, on travaille beaucoup sur les perceptions et les sens : le toucher, les odeurs, tout le côté sensoriel. » Les personnes porteuses de handicap ne parviennent effectivement pas toujours à verbaliser ce qu’elles vivent et ressentent. Pour Simon M., par exemple, le bruit de la perceuse et la sensation du bois ne sont pas faciles à supporter. « Mais il y arrive ! », se réjouit Jean-François Doloy.

Au loin, un bruit sourd attire leur attention. Les cheveux rassemblés en chignon, Romain Poureau, l’agriculteur, apparaît au volant du tracteur, sous l’œil émerveillé des deux Simon et d’Astrid. Il tracte une remorque, qu’il gare le long de l’enclos des brebis. Il est temps pour elles de rejoindre le pré, avant de partir en alpage pour l’été. Et bientôt, pour les jeunes adultes, de rejoindre leurs foyers respectifs.

Chaque soir, Martine Croisier revient chercher son fils, mais elle espère que, dans un avenir proche, il n’aura plus qu’à traverser la route pour rentrer chez lui. Car le projet, à terme, est de créer un lieu de vie complémentaire aux activités de jour. Pour cela, l’association doit encore faire ses preuves. « A l’heure actuelle, Le Bercail paysan ne bénéficie d’aucune subvention départementale. Ils ont peur que le projet ne tienne pas sur le plan économique. C’est séduisant sur le papier, mais c’est un pari risqué », concède la fondatrice. Pour répondre à la demande du conseil départemental (en charge des adultes handicapés sur le territoire), Le Bercail a monté un partenariat avec l’association Sainte-Agnès située à Saint-Martin-le-Vinoux (Isère), déjà gestionnaire de nombreux établissements médico-sociaux dans le secteur du handicap. Cette structure deviendrait dépositaire de l’agrément pour l’accueil résidentiel et Le Bercail, acteur de l’accueil en journée.

Avec cet agrément, Martine Croisier et son équipe espèrent pouvoir enfin bénéficier d’une subvention couvrant le coût journalier de l’accueil des adultes handicapés. Il s’élève à 12 € par heure, entièrement à la charge des familles. Un frein pour de nombreux ménages. Confiante, l’association a déjà investi dans la maison située juste en face de la ferme. Avec un peu de chance, d’ici quelques mois, tout le monde pourra rentrer au bercail.

Reportage

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