Ne pas attendre qu’une aide soit sollicitée, mais la proposer, sans l’imposer. Aller à la rencontre de l’autre, où qu’il se trouve et lorsqu’il est disponible, au lieu de lui donner un rendez-vous dans un bureau. L’écouter, sans lui administrer des solutions existantes. A la base de l’« aller vers », ces principes semblent simples à énoncer. Mais ils ouvrent sur une part d’incertitude et d’inconnu d’ampleur. Les experts le soulignent, les travailleurs sociaux perdent la maîtrise de l’espace et de la temporalité. La personne accompagnée devient maîtresse des horloges.
Et la seule durée qui vaille devient alors celle nécessaire à l’établissement de la confiance, sans laquelle rien ne s’avérera possible, aucune adhésion aux dispositifs disponibles, aucune acceptation d’un accompagnement social. Voilà pourquoi se niche, au cœur de l’« aller vers », la question du lien (page 10). Un lien qu’il convient de tisser, en créant avec l’autre un nouvel espace, géographique mais surtout de créativité, et en admettant que l’on n’est pas là pour plaquer sa conception de l’aide (page 12). Autant de démarches qui ramènent les travailleurs sociaux aux fondamentaux de leurs métiers, sollicitent leurs capacités d’adaptation et impliquent de les voir sortir de leurs bureaux, comme le souligne Frédérique Kaba, directrice des missions sociales de la Fondation Abbé-Pierre, dans le podcast SMS de cette semaine (à retrouver sur votre application d’écoute préférée). Mais de telles démarches peuvent aussi, si elles sont mal encadrées par les structures qui emploient ces éducateurs spécialisés, ces assistants sociaux, ces psychologues, ou trop peu soutenues par les politiques publiques, les mettre en danger (page 8). Ou les placer devant des injonctions contradictoires.
Les pouvoirs publics semblent doucement en prendre conscience. A raison, car cette mobilité des travailleurs sociaux contribue à l’ancrage territorial durable des populations, y compris dans des lieux qui pourraient se voir désertés, du fait de problèmes de mobilité et d’accès aux services publics. Un enjeu sociétal, en somme. Voilà bien l’un des impacts de l’« aller vers », de plus en plus à la mode dans les discours des uns et des autres, et plus encore depuis que le premier confinement l’a remis sur le devant de la scène.
Reste que cette démarche ouvre sur un large éventail de questions. Aller avec, oui, mais « jusqu’où accepterons-nous de nous rendre », s’interroge par exemple Adrien Breger, de la Fédération des acteurs de la solidarité. La réponse reste à écrire, avec la participation des personnes accompagnées.