Recevoir la newsletter

Entre chien et gaz

Article réservé aux abonnés

J’aurais dû m’en tenir à la consigne : entretien du logement, point. Mais il faisait si beau, et ça faisait si longtemps qu’elle n’était pas allée plus loin que le bout du jardin. On pourrait prendre le chien, ça lui ferait une promenade à lui aussi, je vous prendrai le bras et vous tiendrez la laisse, toute seule je n’ose pas, mais avec vous je suis rassurée. Mais il y avait un chat sur le trottoir d’en face, le chien a bondi, j’ai tiré sur la laisse, la dame a perdu l’équilibre, alors j’ai tiré des deux côtés pour rattraper tout le monde, et aïe, mon épaule !

J’aurais pas dû déplacer le lit. Mais elle avait perdu son pendentif, il était là sans nul doute, regardez, dans le coin, tout contre la plinthe, il y a quelque chose qui brille. Mais le lit est lourd pour moi, tandis que vous, vous allez y arriver, c’est sûr, avec ces bras costauds, vous êtes jeune. Allez, vous tirez le lit et je passe derrière. Alors j’y suis allée franchement, c’est qu’il en fallait du muscle, un bon lit en bois massif ça ne vient pas en une pichenette, et aïe, mon épaule !

J’aurais pas dû le relever. Mais il était par terre, sa femme essayant tant bien que mal de le hisser sur le fauteuil, et vas-y que j’te tire d’un côté et que j’te pousse de l’autre. Elle était en sueur, il était en panique, et ça tombait drôlement bien que je sois là, parce que ça faisait presque une demi-heure qu’il était par terre. Elle aurait bien appelé les pompiers mais elle savait que j’allais arriver, alors si vous pouviez me donner un coup de main, parce que toute seule c’est difficile. Et… aïe, mon épaule !

J’aurais dû aller voir un médecin. Mais il fallait jongler sur le planning, c’était compliqué. Je devais voir avec la responsable, et j’imaginais déjà la scène : son soupir agacé et ses yeux au ciel, parce qu’il y a déjà trop d’arrêts, maternité, maladie, blessure, épuisement Covid et deuil. Et puis, si je m’arrêtais j’allais perdre ma prime de week-end, sans compter que je n’étais que remplaçante. « Si vous ne supportez pas ce travail, il y a du monde qui attend la place », m’avait dit un jour Madame Grandchef. Alors j’ai pris sur moi, pour finir la journée, la semaine, le week-end, en serrant les dents, en grimaçant, et j’ai tenu, tant bien que mal et plutôt mal que bien. J’ai tenu tant que j’ai pu, la semaine et celle d’après, j’ai tenu jusqu’à la bouteille de gaz, celle qu’il faut monter au quatrième étage. Aïe, mon épaule !

J’aurais pas dû pleurer. Mais il y avait la douleur, la fatigue, les heures qui s’enchaînaient, une de plus le matin et deux de plus le soir, et il faudrait revenir ce week-end, on manque de monde, les congés on en parlera plus tard si vous voulez bien, là c’est pas le moment. Il y avait le chien à promener, le lit à déplacer, le monsieur à relever, le gaz à monter puis l’école qui appelait le petit qui était malade et vite vite il fallait rentrer et vite vite il fallait courir chez le médecin et vite vite il fallait installer le petit sur la table d’auscultation. Et aïe, mon épaule !

La douleur, la fatigue, le chien, le lit, la chute, le gaz, le petit et l’épaule… J’ai craqué, j’ai pleuré. « Je vous fais un arrêt », m’a dit le médecin. Alors tant pis pour le planning, la prime et les collègues, tant pis pour ceux qui ont un chien qui tombe du lit en reniflant le gaz… Je capitule et je prends mon papier… Et aïe, mon épaule !

La minute de Flo

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur