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La jeunesse à nouveau une affaire d’Etat ?

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Il faut en finir avec l’idée que la jeunesse serait une classe dangereuse et mener des politiques de prévention portées au niveau de l’Etat. L’annonce de la création de 600 postes d’éducateurs et de médiateurs va dans le bon sens, mais une approche quantitative ne saurait suffire.

« L’information est passée quasiment inaperçue. Le 23 mars dernier, cinq éducateurs de rue ont été invités par la ministre chargée de la Ville à lui faire part de leurs analyses concernant les violences des jeunes(1). Plus prosaïquement, cette rencontre servait aussi de tremplin à l’annonce de la création des “bataillons de la prévention” composés de 600 éducateurs et médiateurs sociaux dans 45 quartiers prioritaires. On n’épiloguera pas ici sur la rhétorique guerrière qui gagne tous les registres de l’intervention publique, comme si celle-ci ne pouvait trouver d’autres sources de légitimité que le combat, y compris en matière de jeunesse et de prévention. On s’arrêtera plutôt sur le choix des interlocuteurs par la ministre, révélateur de plusieurs évolutions significatives concernant la jeunesse, ses problèmes, la considération accordée à ceux qui s’en occupent et la mobilisation pour réduire les tensions qui s’annoncent dans la société post-Covid.

Les phénomènes de “rixes” sont enfin pris en compte au niveau de l’Etat, alors que plusieurs collectivités s’en étaient déjà emparées(2). A force de répétition et de brutalité, ces événements qui voient des jeunes s’entretuer sous des prétextes dérisoires sortent de la seule rubrique des faits divers pour prendre un sens dans le champ plus large des modes de socialisation de la jeunesse à l’ère du numérique(3), et s’inscrire sur l’agenda politique autrement que sur un plan sécuritaire.

A un certain niveau de répétition et de gravité, on ne peut pas se contenter d’y répondre au coup par coup, sous le feu de l’émotion et de la communication institutionnelle. La mise en place de programmes de long terme s’impose. A côté des réponses policières qui interviennent lors des événements, doivent se développer des actions socio-éducatives. En amont, pour éviter aux protagonistes de s’y laisser entraîner et leur proposer des alternatives. En aval, pour gérer les conséquences des rixes à la fois pour ceux qui se trouvent directement impliqués mais aussi pour l’entourages, les amis, les familles et les spectateurs qui peuvent durablement être traumatisés par ces violences. L’action publique a besoin de relais solides qui puissent travailler avec les personnes impliquées (jeunes, familles, environnement proche) dans une relation de confiance, soit lors de la montée des problèmes quand les rivalités se cristallisent, soit quand il s’agit d’éviter les “matchs retours” aux multiples conséquences sur les plans humain et social.

Sur ce terrain, les éducateurs de rue retrouvent une crédibilité, après des années de critiques sévères sur leur utilité, voire de remises en cause pures et simples de leur existence. Ils se voient associés aux médiateurs sociaux, avec lesquels ils ont souvent été mis en concurrence, ceux-ci étant perçus comme une réponse plus neuve, plus souple et moins chère(4). Ces professionnels se rejoignent dans la mise en œuvre de l’“aller vers” (voir sur cette question notre évènement, page 6), si précieux pour engager des relations avec des jeunes en retrait de l’action publique.

Regrettable segmentation des publics

Il était temps. Car plusieurs années de rigueur budgétaire ont rigidifié les politiques sectorielles en direction de la jeunesse.

Du côté des conseils départementaux, la protection de l’enfance, qui finance la majorité de l’action de prévention spécialisée, n’a cessé de lui donner des cadres d’exécution de plus en plus contraints. Plutôt que de travailler sur des problématiques transversales ou des dynamiques collectives de quartier, les éducateurs de rue ont vu leur action découpée en tranches d’âge (par exemple, les”11-13 ans”) ou en thématiques (comme les “filles” ou la “radicalisation”). Comme si ces catégories avaient un sens en soi, et comme si la segmentation des publics était pertinente pour une forme d’action in vivo.

De plus, alors que la notion de “parcours” revient comme un mantra dans tous les discours, on voit dans les pratiques que l’accompagnement des jeunes adultes vers l’autonomie est incertain au-delà de 18 ans. Les contrats jeunes majeurs des conseils départementaux ont baissé drastiquement comme les dispositifs de la protection judiciaire de la jeunesse, créant un trou d’air dangereux pour les plus vulnérables quand la majorité sociale reste fixée à 25 ans pour la perception du revenu de solidarité active (RSA). Tout le monde voit bien que les conditions de vie et surtout les perspectives d’avenir des jeunes se détériorent dangereusement avec l’aggravation de la crise économique et sociale qui couve sous la crise sanitaire. En effet, étant les plus nombreux à occuper des emplois temporaires et les plus récents sur le marché du travail, ils ont été les premières victimes de la chute de l’activité(5). Et les choses ne vont pas mieux du côté des familles puisque plus d’un tiers des ménages avec enfants déclarent une dégradation de leur situation financière, alors que l’on sait que notre système rend dépendants des aides familiales les étudiants, les jeunes en emploi peu rémunéré et, à plus forte raison, les jeunes sans emploi ni formation.

Quant à la politique de la ville, qui finance tout ou partie de nombreux médiateurs, la sectorisation territoriale à partir de critères principalement économiques a laissé hors champ toute une partie de la jeunesse qui habite dans des quartiers non prioritaires mais rencontre autant de difficultés.

Certes, la prévention de la délinquance coproduite entre les communes et l’Etat est l’une des rares politiques où des actions sont élaborées de manière partenariale dans le cadre de stratégies partagées. Mais, malheureusement, elle aboutit souvent à générer des machines de guerre “anti-jeunes”, qui la confondent avec la lutte contre les délinquants. Les adolescents sont perçus comme des adversaires et non comme des interlocuteurs.

Il est possible – ou, disons, il serait souhaitable – que le changement de représentation des jeunes dans la société post-Covid devienne un effet collatéral positif de la crise qui les frappe si durement. Et comme l’image des éducateurs de rue et des médiateurs est naturellement indexée sur l’image des jeunes dont ils s’occupent(6), ceux-ci en bénéficient à leur tour.

Dans ce contexte, l’annonce de la création de 600 postes est une très bonne nouvelle. Un tel “contingent” représente l’équivalent d’environ 10 % des effectifs de la prévention spécialisée actuelle. Cet effort est donc à saluer. Il confirme surtout le retour de l’Etat sur le terrain de la jeunesse qu’il avait déjà amorcé avec la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, qui prévoyait la création de postes d’éducateurs de prévention spécialisée en direction des 18-25 ans pour élargir son champ d’intervention sur une question qui déborde largement les compétences exercées actuellement par les conseils départementaux et les communes(7).

Mais l’ajout de 600 postes restera limité si l’on se contente de faire simplement “plus de la même chose”. Autrement dit, l’apport de l’Etat ne doit pas être seulement quantitatif. Il doit aussi permettre l’impulsion d’une approche de la jeunesse qui ne la considère pas comme une nouvelle classe dangereuse et ne se limite pas à réduire des risques en silo. Il s’agit de mettre en place des actions de développement et d’éducation populaire qui bénéficieront d’autant plus aux jeunes en difficulté qu’elles seront de droit commun pour tous les jeunes des quartiers concernés. Et, pourquoi pas, au-delà. »

Notes

(1) « Quand les éducateurs de rue analysent la violence des jeunes », de N. Birchem – La Croix, 23 mars 2021.

(2) La démarche la plus aboutie étant à ce jour la stratégie parisienne de prévention des rixes – A lire sur : bit.ly/32IaVW2.

(3) « Prévenir les rixes à l’heure du numérique », intervention de G. Berlioz – Colloque de l’Association de prévention du site de la Villette (APSV), février 2019 – A voir sur : bit.ly/3azN3rU.

(4) « Médiation sociale et travail social sont dans un bateau… », de G. Berlioz – Les cahiers du développement social urbain n° 65, juill. 2017 – A lire sur : bit.ly/3xi8zv0.

(5) « 9 % des personnes en emploi avant le confine­ment âgées de 15 à 24 ans ont perdu leur emploi, contre moins de 2 % des actifs de 40 à 65 ans » – In Insee Première n° 1822, oct. 2020.

(6) Et parfois pour le pire : « La médiation sociale, c’est de la collaboration avec les crapules et les délinquants », Stéphane Ravier, maire (FN) du 7e secteur de Marseille, 18 mars 2015 – La Marseillaise (www.lamarseillaise.fr/societe).

(7) Rapport du Comité d’évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, mars 2021 – A lire sur : bit.ly/32GYJom.

Contact : gilbert.berlioz@wanadoo.fr

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