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« Petit enfant ne doit pas signifier petits droits »

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Le défenseur des enfants regrette que l’inclusion en milieu scolaire ordinaire des jeunes placés et porteurs de handicaps s’opère sans une présence suffisante à leurs côtés de professionnels qualifiés. Et, de façon générale, il demande que ce public particulièrement vulnérable soit écouté et devienne sujet de droit à part entière.
En 2015, le défenseur des droits dressait d’inquiétants constats sur la prise en charge des enfants à la fois protégés et en situation de handicap. Les choses se sont-elles améliorées depuis ?

Toute la difficulté tient d’abord à ce que l’on ne dispose pas de nouveaux chiffres ni de données précises. On parlait à l’époque de 70 000 enfants concernés par cette double problématique. J’ai commencé ma carrière dans un IME [institut médico-éducatif], puis l’ai poursuivie dans l’aide sociale à l’enfance. Et, en trente ans, j’ai vu les choses « désévoluer », si j’ose un néologisme. Je ne dis pas, bien sûr, qu’il ne fallait pas effectuer de virage inclusif. Simplement, lorsque la pédo­psychiatrie se tourne vers davantage de soins ambulatoires, quand la protection judiciaire de la jeunesse recourt toujours plus aux actions pénales et moins aux mesures d’assistance éducative, quand l’aide sociale à l’enfance privilégie l’intervention en milieu ouvert au détriment de structures d’accueil et quand le secteur du handicap se tourne vers davantage d’inclusion, les effets de tout cela se conjuguent et à aucun moment on n’a réalisé d’étude d’impact. Ces enfants ne font donc plus l’objet d’une prise en charge globale. Le virage inclusif est indispensable mais il ne peut s’opérer à moyens constants. Or il s’est effectué dans de mauvaises conditions pour ces jeunes-là. Il ne fallait pas limiter le nombre de places en IME sans parallèlement garantir les moyens nécessaires à l’inclusion, d’autant que le nombre d’enfants en situation de handicap ne cesse d’augmenter. Résultat ? D’abord, les listes d’attente s’allongent. De nombreux parents nous saisissent d’ailleurs pour signaler avoir reçu de la MDPH [maison départementale des personnes handicapées] une orientation vers un établissement spécialisé non suivie d’effet. Ensuite, ces enfants ne bénéficient pas d’un parcours scolaire adapté, sont victimes de stigmatisation et ne voient pas leurs besoins pris en compte. A eux seuls, les AESH [accompagnants des élèves en situation de handicap] ne peuvent offrir le soutien d’un orthophoniste, d’un éducateur spécialisé. Ils s’occupent de plusieurs enfants, quelques heures par semaine. Or, plus un enfant est fragile, plus il devrait se voir entouré de professionnels formés, ce que ne sont pas suffisamment les AESH. Lesquels ne sont souvent pas remplacés, faute de politique de ressources humaines, lorsqu’ils tombent malades, par exemple.

Quelles solutions mettre en place ?

Adapter l’école pour y scolariser ces enfants dans les meilleures conditions. En intégrant par exemple en son sein des équipes dédiées. Ainsi les unités d’enseignement externalisées fonctionnent-elles très bien. Il faut les multiplier et en prévoir partout en France. Au lieu de cela, on poursuit le virage inclusif à marche forcée, sans veiller à garantir des réponses adaptées aux besoins de chaque enfant, notamment les plus gravement handicapés. Et on ne tient pas compte des effets certains de la crise sanitaire, qui risque de multiplier les situations de handicap social ou psychique.

Le volet handicap vous inquiète. Quant à la stratégie de protection de l’enfance, vous semble-t-elle aller dans le bon sens ?

Partout des équipes mobiles apparaissent pour appuyer ceux qui en ont besoin. Très bien ! Mais le vrai problème tient à ce que l’on manque de professionnels formés présents auprès de ces enfants. Qui accepte aujourd’hui, par exemple, de dormir auprès d’eux ? De travailler les soirs et les week-ends ? L’internat est dévalorisé, et il est sans doute nécessaire de reconsidérer le travail social en matière de vie avec les enfants. Ces jeunes très vulnérables doivent se voir entourés de professionnels qualifiés tout au long de la journée, exactement comme à l’hôpital où lon trouve en permanence du personnel médical. Et il est urgent de décloisonner les deux secteurs du handicap et de l’aide sociale à l’enfance : les organisations en silos créent des ruptures de parcours.

Quels sont, pour la durée de votre mandat, les sujets que vous voudriez pouvoir faire avancer ?

Les formations sur les droits de l’enfant. Des enseignements à destination des professionnels de terrain, mais pas uniquement. Les directeurs doivent aussi mieux appréhender ce sujet. Il convient aussi que les structures se remettent au service de l’enfant. Les professionnels ont beaucoup gagné, par exemple, à organiser des visites à domicile pendant le confinement. Ils ont retrouvé du sens au travail en s’éloignant des tâches administratives, ils me le disent. Ils ont aussi réinscrit leur action dans une nécessaire temporalité. Et justement, permettre à un enfant d’accéder à tous ses droits implique que l’on prenne le temps de lui expliquer au lieu de faire à sa place. Je veux aussi me battre pour que l’on entende la parole des enfants, au besoin en s’attachant au langage corporel et sensoriel, à travers des outils de communication pour ceux qui n’ont pas accès à l’expression orale, en cas de déficience intellectuelle. Prenons le cas des violences sexuelles. On dit que la parole se libère. Certes, mais c’est celle des adultes qui ont subi de tels actes pendant leur enfance, pas celle des enfants eux-mêmes. Pourquoi attendre qu’un enfant soit victime avant de prendre le temps de l’écouter ? Cela suppose de le considérer comme un sujet de droit à part entière. Petit enfant ne doit pas signifier petits droits. Sans cela, pas de dignité possible. Et le droit n’est rien sans accès aux droits, à la santé, à l’éducation et à la protection.

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